15 mai, 2007

Au Chili, rêver contre la dictature

Deux mois en enfer, de septembre à novembre 1973, à s’entendre crier : «Mains sur la nuque, communistes de merde !» Deux univers s’opposent : d’un côté, le stade national de Santiago du Chili, où des centaines de «prisonniers de guerre», comme osent le dire les militaires, sont accusés d’avoir organisé d’affreux projets d’extermination, dont le plan Z visant à décapiter les forces armées ; de l’autre, le monde fabuleux qu’invente, jour après jour, l’un de ces prisonniers pour que lui et ses compagnons de misère s’arrachent à la souffrance causée par la torture et l’écrasement de l’Unité populaire. «Ce sont les plus vieux qui ont le regard le plus triste. Tant d’années de luttes, de syndicalisme, de pas de fourmi pour en arriver là. Chaque jour apporte son lot de violence et de mauvaises nouvelles. J’ai beau lutter contre la déprime, elle me gagne quelquefois. Ma seule façon d’en sortir, c’est d’inventer ces histoires énormes, farfelues, que je raconte à mes camarades. Ça les aide eux aussi, j’en suis sûr.»

Aussi l’auteur, qui a lui-même traversé cet enfer, propose-t-il aux lecteurs, en une alternance que rythme une notation répétée – «Retour au vestiaire n° 5» –, un roman bâti sur le contraste entre ce qui ressort de faits historiques ainsi que d’expériences vécues et, par ailleurs, l’envolée dans un conte où ces mêmes faits prennent une dimension fantastique.
Les faits sont vus à travers les yeux de Rafael, un jeune homme pacifiste, naïf et doté d’humour, à qui son amie Tina, mère d’un petit Camilo, reproche de ne pas être un «vrai révolutionnaire». Sympathisant du gouvernement de l’Unité populaire, il aide les petites vieilles de son quartier au sein d’une association chargée de surveiller le ravitaillement et les prix. Délit suffisant pour qu’il soit catalogué comme subversif par des voisins hostiles et arrêté aux premières heures du coup d’Etat. «Coup de bol, j’étais avec le dessus du panier», s’étonne-t-il : journalistes de renom, dirigeants politiques, artistes. Ensemble, soucieux de défendre le seul bien qui leur reste, la dignité, résistant grâce à l’organisation et à une solidarité à toute épreuve, ils réagissent aux événements.


Témoignage rédigé à la première personne dans une langue crue : des phrases sèches et courtes où se reflète la cruauté des bourreaux. C’est pour leur échapper que « Rafa », puisant dans une imagination fertile, usant d’un style tout nouveau, fleuri et débridé, se lance dans l’improvisation d’une histoire et d’un personnage portant le nom de l’enfant qu’il aimait, Camilo. «J’ai reçu à ma naissance différents pouvoirs. Je suis un peu voyant, un peu devin, entre chaman et charlatan», dit cet espiègle génie, né dans le Chili des vignobles et des traditions, qui connaîtra moult aventures placées sous le signe du vin, de l’amour et de la révolution en faveur des pauvres.
Françoise Barthélemy.