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POSSIBLE VICTOIRE DE LULA AU BRÉSIL
Le pays-continent joue son destin le 2 octobre avec le premier tour de la présidentielle. La fin de Jair Bolsonaro et la victoire possible de Luiz Inacio Lula da Silva, largement en tête dans les derniers sondages, suscitent d’immenses espérances. Mais les risques de déchirement d'une société dévastée et extrêmement polarisée restent présents. REPORTAGE.
Rio de Janeiro, Sao Paulo (Brésil), envoyée spéciale.
PHOTO MATIAS DELACROIX / AP |
Elle est restée quelques instants, presque une éternité compte tenu du tumulte qui l’entoure, à embrasser la foule du regard, à disséquer ses sourires, ses éclats et sa ferveur. C’est là, à Madureira, une banlieue populaire du nord de Rio de Janeiro, qu’elle a trouvé son pays. Loin du récit proposé depuis quatre ans par le pouvoir fasciste de Jair Bolsonaro.
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« On nous a jeté tellement de haine à la figure. Le Brésil est un pays de couleurs, de mélange. Le bolsonarisme, c’est le noir, l’obscurantisme, les bruits de bottes. Il nie notre identité culturelle », souffle Marisa, lorsque la sono lui en laisse la possibilité. Le trop-plein est atteint, les corps parlent. « Désormais, je fais de la tachycardie quand je l’entends », explique cette mère de huit enfants.
Au cœur de l’école de samba de Portela, l’une des plus titrées du pays, Luiz Inacio Lula da Silva mène, en ce 25 septembre, l’un de ses derniers rendez-vous de campagne. Au projet de politique de blanchiment de la population brésilienne décrit par Marisa, le candidat de gauche oppose l’exaltation du métissage, la célébration d’une culture qui puise ses racines dans l’esclavage et d’un lieu largement fréquenté par une population marginalisée, voire criminalisée.
PHOTO CARL DE SOUZA / AFP |
C'EST DANS LE SUD INDUSTRIALISÉ ET EUROPÉANISÉ, ABRITANT PLUS DE 40 % DU CORPS ÉLECTORAL, QUE JAIR BOLSONARO A RÉALISÉ SES MEILLEURS SCORES IL Y A QUATRE ANS.
En 2019, l’ancien maire de Rio de Janeiro Marcelo Crivella, membre du Parti républicain brésilien et évangélique notoire, avait privé les écoles de samba de leurs subventions. Réponse des « carnavalescos » au triste sire : l’année suivante, le défilé était placé sous le signe des droits des minorités, de la dénonciation des violences policières et de la déforestation.
PHOTO UESLEI MARCELINO / REUTERS |
33 millions de Brésiliens souffrent de la faim
Avant la présidentielle et les élections générales du 2 octobre, Lula, l’enfant du Nordeste, concentre tous ses efforts sur la partie méridionale du pays, qui abrite plus de 40 % du corps électoral. L’enjeu est de taille. Dans ce Sud industrialisé et européanisé, Jair Bolsonaro a réalisé parmi ses meilleurs scores, il y a quatre ans. Même en ces terres cariocas, où ses trois fils sont élus, le président sortant est donné à égalité avec Lula.
Face à l’affluence à Madureira, plusieurs centaines de sympathisants de gauche sont contraints d’écouter depuis la rue le meeting de « leur » président, le seul qu’ils reconnaissent. Accoudée à une barrière métallique, Gloria note à son tour : « Tout a changé avec Bolsonaro. La structure familiale a été durement touchée. Ma sœur est décédée du Covid. Il a pompé tout le sang du Brésil. Il y a tellement de souffrances. J’ai moi-même perdu mon emploi à l’hôpital. »
Jair Bolsonaro a beau se vanter d’un retour de la croissance (1,2 % au deuxième trimestre), la plus grande économie d’Amérique latine recense plus de 10 millions de chômeurs et un nombre croissant de travailleurs informels ; 33 millions de personnes souffrent par ailleurs de la faim, pourtant éradiquée grâce à la politique volontariste du Parti des travailleurs (PT) de Lula.
La démocratie, enjeu cardinal du scrutin
Des comités de quartier s’organisent, désormais, pour s’assurer que tout le monde mange à sa faim. Du PT à la Centrale unique des travailleurs (CUT) en passant par le Mouvement des sans-terre (MST), c’est une contre-société qui garantit le minimum décent en lieu et place du gouvernement. « Il devient difficile de s’acheter à manger. Je suis terrorisée à l’idée d’avoir faim », confirme Marlène. Comme un écho, sur la place du Marechal Deodoro de Sao Paulo, surplombée par la quatre-voies et saturée de tentes de sans-abri, une banderole aux couleurs du drapeau national témoigne que « le Brésil a empiré ».
Dans ce paysage de désolation, deux mots ont rythmé la campagne électorale de Lula, « bonheur » et « espoir ». L’hymne Sem medo de ser feliz (Sans avoir peur d’être heureux), reprise de la chanson de 1989, qui marqua la première élection post-dictature, s’avère être un clin d’œil au présent.
Pour ce scrutin historique, l’enjeu cardinal reste la lutte pour la démocratie. Il est posé comme tel par la gauche rassemblée pour sortir Jair Bolsonaro du palais du Planalto. Quitte à balayer la question du projet. Le candidat du PT évoque la relance du programme de logement pour les plus pauvres (Minha casa minha vida), l’éradication de la faim, l’arrêt de l’invasion des terres indigènes et l’investissement dans l’agriculture.
Sans préciser les modalités et les marges de manœuvre financière qu’il entend dégager. « À sept jours de l’élection, je ne peux pas dire que je reviendrai sur tout ce qui a été fait, ce serait irresponsable. J’ai d’abord besoin de comprendre ce qui a réellement été fait », souligne celui qui entend réunir les gouverneurs afin de définir les projets d’investissements de manière concertée.
Les partisans chauffés à blanc de Bolsonaro
En évoquant la « saudade de la démocratie », Lula fait le lien avec la nostalgie – réelle – de sa présidence (2003-2010), lorsque le Brésil flirtait avec des taux de croissance insolents et sortait 40 millions de personnes de la pauvreté.
À gauche, les dents ont pourtant grincé lorsqu’il a désigné le conservateur et néolibéral Geraldo Alckmin comme colistier. Un homme capable de rassurer les milieux financiers et d’attirer une partie de la droite, lasse des errements économiques de Jair Bolsonaro. Il pourrait également lui permettre de nouer des alliances de circonstance au Parlement afin de faire avancer ses réformes.
Dans un podcast évangélique, Jair Bolsonaro annonçait qu’il respecterait « la volonté de Dieu » et se retirerait de la politique si les Brésiliens en décidaient ainsi. Pourtant, dans un communiqué publié le 28 septembre, le Parti libéral, la formation du président, met en doute la probité du Tribunal supérieur électoral.
Ses partisans, chauffés à blanc pendant quatre ans, font craindre une action similaire à celle des soutiens de Donald Trump au Capitole. Les agressions de militants ou sympathisants de gauche ont bondi ces derniers mois. Comment pourrait-il en être autrement alors que le chef de l’État n’a eu de cesse de provoquer des ruptures institutionnelles, de dénoncer les pouvoirs du Parlement, de questionner le vote électronique utilisé depuis 1996 ?
Lever le sceau du secret
La Cour suprême, qui ordonna la libération de Lula, jugeant qu’il avait été victime d’un procès à charge, a elle aussi été mise en cause. « Un jour, relève le candidat du PT, qui compare son sort à celui de Mandela et Gandhi, la justice devra réparer tous les préjudices que j’ai subis » en passant plus d’un an et demi incarcéré sur la base de fausses accusations de corruption.
Dans les cent premiers jours de son mandat, il promet par ailleurs de lever le sceau du secret, posé pour cent ans par le président sortant, dans toutes les affaires le concernant. Dernière en date, ce 27 septembre, avec l’enquête ouverte sur les transactions suspectes du couple Bolsonaro afin de financer les dépenses personnelles de son épouse.
Épargner au Brésil de nouveaux déchirements
Donné gagnant dès le premier tour dans certaines enquêtes, autour de 47 % dans la majorité des autres, le PT a appelé ses partisans à aller chercher les voix susceptibles de faire basculer le scrutin dès dimanche, de rendre le résultat incontestable afin d’épargner au Brésil de nouveaux déchirements. « Chacun doit prendre ses responsabilités. Allons chercher un, deux, trois votes de plus. Il y a encore beaucoup de gens qui disent vouloir voter blanc. Le vote est notre seule arme », insiste la présidente du PT, Gleisi Hoffmann, par opposition au chef de l’État qui a libéralisé le port d’armes.
Au regard de la polarisation de la société, Lula estime qu’il est inutile de chercher à convaincre « les fanatiques » bolsonaristes (33 % selon les sondages). Ce n’est pas le cas du candidat Ciro Gomes (7 %). Censé incarner une troisième voie centriste, il n’a eu de cesse de dresser un parallèle entre Lula et Jair Bolsonaro et de draguer les partisans de ce dernier. Quitte à faire le jeu du fascisme.
La chercheuse Ana Carolina Evangelista, de l’Institut d’études des religions de Rio de Janeiro, estime que les classes sociales les plus représentées dans le mouvement évangélique, force d’appui de Jair Bolsonaro, sont « les femmes, les Noirs et les urbains à bas salaires qui ne se déterminent pas seulement en fonction de leurs convictions religieuses mais également de leur condition sociale ».
En 2018, 70 % des évangéliques se sont prononcés en faveur de Jair Bolsonaro. Aujourd’hui, 48 % d’entre eux choisiraient un autre candidat du fait de la détérioration des conditions de vie. En juin, un sondage Datafolha estimait, par ailleurs, que l’adhésion aux idées de gauche grimpait à 49 % dans la population, soit l’indice le plus élevé depuis 2013. Lula l’assure : « Notre printemps est arrivé. » À Madureira, les bourgeons sont déjà là.
LULA |
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