20 décembre, 2021

LES CANDIDATS DE GAUCHE À LA PRÉSIDENTIELLE FRANÇAISE SALUENT LA VICTOIRE DE GABRIEL BORIC AU CHILI

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

PHOTO PAULO SLACHEVSKY
Les candidats de gauche à la présidentielle ont salué la victoire de Gabriel Boric au deuxième tour de l'élection présidentielle le 19 décembre, face à son adversaire conservateur Antonio Kast. Les candidats de gauche à l'élection présidentielle française de 2022, éparpillés à moins de quatre mois du scrutin, ont salué le 20 décembre la victoire du candidat de la vaste coalition de gauche Gabriel Boric, élu nouveau président du Chili.

RT avec l'AFP

À la tête d'une alliance allant du parti communiste au centre gauche, Gabriel Boric, 35 ans, l'a emporté au second tour (55,87% des voix selon les résultats quasi définitifs) face à son adversaire, le conservateur José Antonio Kast (44,13%), soutenu par l'ensemble de la droite chilienne

CAPTURE D'ÉCRAN

«Bravo à Gabriel Boric, le nouveau Président du Chili, bravo au peuple chilien, uni, qui reprend son destin en main ! Bravo aux communistes, aux syndicalistes, aux forces progressistes chiliennes qui ont participé à cette victoire», a twitté le candidat PCF à la présidentielle Fabien Roussel.

Jean-Luc Mélenchon, candidat LFI, a salué la victoire de celui qu'il a dénommé «notre candidat» tout en se félicitant de voir «l'extrême droite en déroute». 

CAPTURE D'ÉCRAN

 CAPTURE D'ÉCRAN
La candidate PS Anne Hidalgo, qui plaide pour l'organisation d'une primaire à gauche afin de désigner un candidat commun pour 2022, a vu dans le succès de Gabriel Boric «la victoire de la démocratie, de la justice et de l'égalité», dans un tweet rédigé en espagnol.

Son porte-parole Stéphane Troussel a analysé la situation de la gauche française à l'aune des résultats du scrutin chilien : «Le seul moyen pour permettre à la gauche de l'emporter, c'est de se rassembler. Regardez ce qui s'est passé, y compris à l'étranger, avec la belle victoire au Chili du candidat de la gauche unie, et près de 55% face à l'extrême droite alors que tout le monde le donnait battu», a-t-il fait valoir sur Sud Radio

«Félicitations et vifs encouragements à Gabriel Boric, candidat de l’unité devenu Président de la République du Chili. C’est ainsi, par pans, que le monde s’améliore», a de son côté souligné l'ancienne ministre Christiane Taubira, qui a annoncé le 17 décembre envisager de se présenter à la présidentielle.
CAPTURE D'ÉCRAN
L'union de toute la gauche, «c'est possible», a insisté le candidat ex-PS Arnaud Montebourg sur LCI, en saluant l'exemple chilien et l'initiative de Christiane Taubira, vue comme «un facteur d'unification».

GABRIEL BORIC, L'ANCIEN LEADER ÉTUDIANT QUI A ÉTÉ ÉLU PRÉSIDENT

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

DESSIN MAARTEN WOLTERINK


À 35 ans, il était le plus jeune candidat et veut mettre fin au néolibéralisme. / Écologiste, féministe et fervent critique du modèle néolibéral mis en place pendant la dictature militaire et consolidé plus tard dans la transition, Boric était aussi celui qui offrait le programme de changements le plus profond.

Par Guido Vassalo

DESSIN CARLOS LATUFF

"Si le Chili a été le berceau du néolibéralisme en Amérique latine, il sera aussi son tombeau". Les paroles de Gabriel Boric semblaient bien lointaines en juillet, lorsqu'il a été proclamé candidat et qu'il devait encore battre le favori du parti de gauche interne, Daniel Jadue. Mais à force d'une campagne intelligente et proche du peuple, l'homme de 35 ans a neutralisé une à une les attaques de son rival, l'extrême droite José Antonio Kast, pour devenir le président le plus voté et le plus jeune de l'histoire du pays.

Boric a été l'un des principaux protagonistes de la "révolution des pingouins", la rébellion étudiante chilienne qui, en 2006, a exigé un enseignement gratuit et de qualité et a marqué les premières fissures du modèle chilien. Son passage ultérieur en tant que député de la région de Magallanes lui a probablement appris à ne pas se laisser emporter par ses impulsions et à avoir le courage politique de forger des alliances avec d'autres secteurs.

Une partie de cette "maturité" a également pu être constatée pendant la campagne présidentielle, puisque, au fil des semaines, Boric a modéré son discours afin de séduire l'électorat centriste et les électeurs indécis qui doutaient d'un candidat constamment critiqué pour son inexpérience au pouvoir. Environnementaliste, féministe et fervent critique du modèle néolibéral mis en place pendant la dictature militaire (1973-1990) et consolidé pendant la transition, Boric est aussi celui qui a proposé le programme de changement le plus profond.

Ses débuts dans le militantisme étudiant

DESSIN PAUL LOMBARDI

Boric est né le 11 février 1986 dans la ville de Punta Arenas, à trois mille kilomètres au sud de Santiago, dans une famille de classe moyenne dont les arrière-grands-parents sont croates et catalans. Aîné d'une fratrie de trois enfants, il a émigré à Santiago pour étudier le droit à l'université du Chili. Lecteur passionné, il dit se détendre en lisant de la poésie et des livres d'histoire. Célibataire et sans enfant, il est en couple avec la politologue Irina Karamanos depuis près de trois ans.

Ses liens avec le monde politique commencent à l'université, où il rejoint le collectif Izquierda Autónoma. En 2008, il a été élu conseiller de la Fédération des étudiants de l'université du Chili (Fech) et en 2010, il a été président du Centre des étudiants en droit de la même université. En 2011, les trois principaux leaders de la rébellion étudiante de 2006 (Camila Vallejo, Giorgio Jackson et Boric) décident de se présenter aux élections législatives, les deux premiers pour la coalition de la Nouvelle Majorité, dirigée par l'ancienne présidente Michelle Bachellet, et Boric à l'extérieur, en tant que militant de la Gauche autonome.

L'atterrissage en politique

DESSIN MONSIEUR T

Occupant déjà un siège de député, Boric a fondé le Mouvement autonomiste en 2016 dans le but de renouveler la gauche chilienne doctrinaire et d'accélérer l'émergence d'une alternative en dehors des deux coalitions qui ont hégémonisé le système politique et gouverné pendant toute la période post-dictature. Afin de le disqualifier, les secteurs les plus conservateurs et de droite le qualifient de "communiste". En outre, comme cela s'est produit lors du dernier débat présidentiel avec le vaincu Kast, ils lui reprochent souvent la rencontre qu'il a eue en 2018 avec Ricardo Palma Salamanca, condamné pour le meurtre de l'ancien sénateur conservateur Jaime Guzmán, l'idéologue de la Constitution actuelle. 

"Notre génération a fait irruption en politique en 2011, se débarrassant un peu des peurs générées par la dictature et les pactes de la transition", a déclaré Boric dans une interview avant le premier tour. Il faisait allusion à la Concertación, la coalition de centre-gauche qui a gouverné une bonne partie des 31 ans de démocratie du Chili depuis 1990, et qui semble aujourd'hui discréditée, reflet de la grande crise de confiance institutionnelle. Cependant, M. Boric, sachant qu'il devait soigner son plancher de voix, a choisi d'apparaître plus proche du centre-gauche traditionnel et a obtenu en retour le précieux soutien des anciens présidents Ricardo Lagos et Michelle Bachelet.

Propositions du gouvernement

Pour les primaires présidentielles de cette année, Boric était en compétition avec le favori Jadue et, contre toute attente, il a gagné par plus de 20 points de pourcentage, devenant le candidat le plus voté aux primaires toutes forces confondues. Puis vint le premier tour, désormais anecdotique, au cours duquel Kast remporta 27,9 % des voix contre 25,8 % pour Boric.

Sa campagne au second tour était axée sur l'élargissement des droits, la décentralisation du pays, l'environnementalisme, la fin de l'héritage institutionnel de la dictature et le respect des peuples indigènes, nombre des revendications centrales de la contestation sociale de 2019 et de l'agenda actuel de la Convention constituante.

Boric propose un changement de modèle basé sur l'État providence des pays européens, considérant que le modèle chilien actuel est "absolument stagnant". "Un État-providence pour que tout le monde ait les mêmes droits, quelle que soit la somme d'argent qu'il a dans son portefeuille", a-t-il déclaré récemment dans une interview. Il y a quelques jours, lors de la clôture de sa campagne dans le parc Almagro de Santiago, il a donné un aperçu de ce que sera son administration : "Il est difficile de parler de la première chose que nous ferons si nous entrons au gouvernement, mais ce dont nous sommes sûrs, c'est que ce jour-là, nous n'entrerons pas seuls, le peuple entrera avec nous".

Traduction Bernard Tornare

Source en espagnol

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

DESSIN RAMSÈS MORALES IZQUIERDO


SUR LE MÊME SUJET :

18 décembre, 2021

ENTRETIEN AVEC ANTONIO VALDIVIA, MEMBRE DU PARTI COMMUNISTE CHILIEN

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

FLYER CAMPAGNE ÉLECTORALE GABRIEL BORIC

Entretien avec Antonio Valdivia, membre du Parti communiste chilien, 15 décembre 2021 – Membre du Parti communiste chilien habitant en France, Antonio Valdivia a accepté de répondre à des questions pour Initiative communiste, afin de faire le point sur la situation au Chili à la veille du second tour de l’élection présidentielle entre Gabriel Boric et José Antonio Kast. En espérant une victoire du camp patriotique et populaire ce 19 décembre 2021 porté par Gabriel Boric!

Initiative Communiste : 

ANTONIO VALDIVIA
PHOTO UNIDAD Y DIGNIDAD

Dimanche 19 décembre 2021 a lieu le second tour de l’élection présidentielle au Chili, opposant Gabriel Boric, issu du mouvement étudiant et populaire et bénéficiant du soutien du PC chilien, et José Antonio Kast, ultralibéral atlantiste nostalgique de Pinochet et arrivé, à la surprise générale, en tête au premier tour: comment vois-tu l’issue de ce scrutin ?

Je suis convaincu que la mobilisation de tous les démocrates portera ses fruits et que les rétrogrades n’auront pas la victoire, car on a vu ces derniers jours que la jeunesse a basculé du coté du changement ; de plus, les organisations sociales, les syndicats de travailleurs, les étudiants et les citoyens appellent à voter Boric, et surtout à voter contre Kast. Les sondages prévoient une plus forte participation qu’au premier tour, ce qui fera la différence en faveur de Gabriel Boric.

Initiative Communiste : Depuis plus deux ans, un immense mouvement populaire secoue le Chili et a débouché sur la fin de la constitution de l’époque de Pinochet. Alors qu’un processus constituant progressiste et populaire est en cours, comment expliquer que Kast soit arrivé en tête au premier tour?

PHOTO RODRIGO GARRIDO

Il faut d’abord préciser que la constitution de Pinochet est toujours en cours de validité, avec de petits changements mineurs, mais l’essentiel est là : comme une épée de Damoclès, elle nous rappelle contre quoi on se bat. Et ce ne sera qu’à la fin de ce processus constituant qu’une nouvelle constitution sera proposée aux Chiliens, qui devront l’approuver par référendum populaire ; si jamais elle n’est pas approuvée, la constitution actuelle, celle de Pinochet, continuera à régir la vie politique du Chili, mais cette fois ci légitimée par le refus de la nouvelle constitution.

Le score de Kast trouve ses origines dans la forte abstention, depuis le referendum du 25 octobre 2020 (78% des électeurs ont voté pour changer la constitution). En effet, le gouvernement de droite, les partis de droite et d’extrême droite, associés aux grandes consortium et groupes économiques, mènent une campagne de terreur médiatique, avec l’objectif final provoquer de l’apathie dans une partie de la population pour que cette dernière ne participe pas aux élections, en développant un discours de la peur attisé par l’abandon policier des quartiers populaires qui aggrave le sentiment d’insécurité. Ainsi, la propagande habile des médias (télévision, radio, journaux) fait ses unes sur les vols, agressions,      incendies criminels commis par des groupes d’inconnus, et plus encore l’utilisation de l’immigration comme cause des problèmes des Chiliens.

Aujourd’hui, le Chili attire les personnes des pays voisins : on décompte environ 450.000 Vénézuéliens, 235.000 Péruviens, 185.000 Haïtiens, 160.000 Colombiens, 120.000 Boliviens et autres nationalités pour arriver à plus d’un million d’êtres humains en situation de détresse. Car comme en Europe, cet afflux de main d’œuvre bon marché profite d’abord au patronat avec la séquelle de travail au noir, précarité aux postes de travail. C’est là qu’on voit le vrai visage des capitalistes.

Les forces de droite et d’extrême droite mènent une «sale campagne basée sur des mensonges » et des opérations médiatiques incitant à la « peur sociale » et au « terrorisme médiatique ». On peut voir une série de fausses nouvelles, mensonges, distorsions, fausses déclarations et informations erronées promues par l’extrême droite et ses associés

Enfin, la non-résolution de problèmes immédiats de la population comme l’emprisonnement politique des révoltés d’octobre 2019 justifie l’abstention, puisqu’il y a eu 5.084 personnes mises en examen, plus de 2.500 emprisonnés et aujourd’hui, plus de 50 sont encore en prison préventive. Les entourages de ces prisonniers est déçu des politiques : ils font partie de ceux qui ne se sont pas déplacés aux bureaux de vote.

Initiative Communiste : Le Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF), tout comme d’autres formations communistes et progressistes apporte son soutien complet au PC chilien et à la candidature Boric; Kast bénéficie-t-il du soutien de la droite et de l’extrême droite européennes et, si oui, comment ?

Oui. Ceux qui mènent cette campagne sont les partis de la droite espagnole – Partido Popular avec Pablo Casado et Vox avec Santiago Abascal. Mais il y a aussi Sven von Stock, époux de de la comtesse et députée de l’Alternative pour l’Allemagne (AFD) Beatrix von Oldenburg, sans oublier Viktor Orban en Hongrie. Leur soutien est financier et vise également à la formation de cadres et la mise en place de plans de saturation de réseaux sociaux à travers des fausses informations, des attaques contre les sites web alternatifs et la guerre cybernétique.

Initiative Communiste : En Europe, et notamment en France, nous assistons à une fascisation dans le cadre de l’Union européenne (qui assimile le communisme au nazisme) qui détruit les conquêtes sociales et démocratiques et qui menace les progressistes (et notamment les communistes). Qu’en est-il de la situation en Amérique latine ? La fascisation constitue-t-elle une menace aussi lourde pour les gouvernements progressistes, et plus spécifiquement pour l’avenir du Chili ?

Effectivement, lorsque la droite et les milieux financiers s’aperçoivent que la volonté populaire est contraire à leurs intérêts de classe, ils enlèvent leur masque de droite républicaine et démocratique et ils deviennent moins démocratiques et plus autoritaires ; en somme, des fascistes ! Ils déploient un discours de la peur et de la haine d’autrui, basé sur l’intégrisme religieux chrétien. Leur slogan « Communisme ou Liberté » est martelé tous les jours, que ce soit au Brésil de Bolsonaro, dans la Bolivie de putschistes (avant l’arrivée au pouvoir de Luis Arce), et au Chili en mobilisant leurs miliciens contre les immigrés : ceci a culminé à Iquique, ville du nord du Chili, où les manifestants ont attaqué des personnes en attente de régularisation (voir les liens suivants : https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-58700359; https://www.rfi.fr/es/am%C3%A9ricas/20210927-ataque-contra-migrantes-venezolanos-en-el-norte-chile-desata-ira-del-gobernador-de-tarapac%C3%A1

Initiative Communiste : Qu’en est-il du Parti communiste chilien en termes d’influence et de forces nationales ainsi que et relations avec les autres partis communistes d’Amérique latine ?

« EN ATTENDANT LE SECOND
 TOUR DE L'ÉLECTION »

Le Parti communiste du Chili a obtenu le meilleur résultat électoral depuis 1973 lors des élections parlementaires du 21 novembre 2021 :2 sénateurs, 12 députés et 21 conseillers régionaux ont été élus. La députée    Karol Cariola a été réélue avec le plus grand nombre de voix de tout le Chili.  Le Parti communiste devient le parti majoritaire de la coalition de gauche. Ces bons résultats et les projections expliquent la campagne anticommuniste féroce menée par la droite et ses partenaires d’extrême droite.

De plus, lors des élections municipales et des conseillers municipaux le 16 mai 2021, le PC chilien a gagné la mairie de Santiago avec la jeune femme Iraci Hassler et 3 conseillères municipales PC, dont une d’elle obtient la première majorité ; dans les 52 communes de la région de Santiago, le PC obtient 63 conseilleurs municipaux : il devient ainsi le parti qui compte le plus d’élus dans la région.

Au niveau national, le PC chilien fait 9.23%.

Quant aux rencontres entre les communistes en Amérique latine, elles sont fréquentes, sauf dans cette période de pandémie : la dernière date du 16 avril 2019.

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

    DESSIN ENEKO
SUR LE MÊME SUJET :

17 décembre, 2021

CHILI. RODRIGO MUNDACA : « L’EXTRÊME DROITE MOBILISE UN DISCOURS ATAVIQUE DE L’ANTICOMMUNISME »

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]  

CAPTURE D'ÉCRAN
LOGO
L'HUMANITÉ

Venu des luttes pour l’eau comme bien commun, Rodrigo Mundaca a été élu, en mai, gouverneur de la région de Valparaiso. Il décrypte les raisons de la montée de l’extrême droite

par Rosa Moussaoui

ROSA MOUSSAOUI
PHOTO FACEBOOK

Dans certaines zones du Chili, des familles ne peuvent faire couler l’eau de leur robinet que quinze minutes par jour. Comment une telle situation est-elle possible dans un pays andin ?

Rodrigo Mundaca Le Chili est probablement un reflet sans équivoque de ce qui s’est passé avec les politiques néolibérales dans le domaine des biens naturels communs, l’eau en particulier. C’est le seul pays au monde à avoir privatisé ses sources d’eau dès 1981, conformément à la Constitution de 1980 forgée par un régime dictatorial. Le régime juridique privé de l’eau est enchâssé dans cette Constitution qui confère à des propriétaires privés des droits sur les eaux. La gestion de l’eau, elle aussi, a été offerte au secteur privé : les sociétés d’assainissement ont commencé à être privatisées à partir de 1997, avec l’entrée en scène de multinationales comme le groupe français Suez.

Lire aussi AU CHILI, LA LUTTE DE RODRIGO MUNDACA CONTRE LA PRIVATISATION DE L’EAU

[ Cliquez sur la flèche pour visionner la vidéo ]

Le Chili se caractérise par un modèle de développement dépendant des exportations de matières premières qui implique l’utilisation intensive d’actifs naturels limités, en particulier le sol et l’eau. Dans cette logique, l’industrie extractive est beaucoup plus importante que la sauvegarde de l’eau en tant que ressource commune et que l’accès à l’eau en tant que droit humain. Aujourd’hui, l’eau est captée par l’agro-industrie, l’exploitation minière, l’industrie forestière. La plupart des bassins s’épuisent ; il n’y a pas de ruissellement des eaux de surface dans les rivières, ce qui provoque une fracture métabolique du cycle hydrologique, donc l’approvisionnement pour tous en eau est compromis.

Issu du mouvement social, comment avez-vous franchi le pas de briguer des responsabilités institutionnelles ?

Rodrigo Mundaca Cette décision a donné lieu à des discussions très intenses dans le mouvement au sein duquel je milite pour la cause de l’eau, le Modatima, le Mouvement de défense de l’eau, de la terre et de protection de l’environnement. Notre mouvement a été historiquement persécuté, criminalisé, censuré, attaqué, maltraité. Et quand nous avons pris la décision de nous inscrire dans la bataille institutionnelle, nous l’avons fait après mûre réflexion. Aussi parce que généralement, les leaders sociaux qui franchissent ce pas finissent par être absorbés par l’institution. Nous avons mené une campagne collective, croisant les questions sociales et les questions environnementales, y associant les habitants des quartiers populaires.

Quel regard portez-vous sur cette campagne présidentielle ?

RODRIGO MUNDACA AVEC UN AVOCAT
PHOTO NICKY MILNE 

Rodrigo Mundaca Nous sommes extrêmement préoccupés par la présence au second tour de l’élection présidentielle d’un candidat appelant à combattre la migration en creusant des tranchées autour du territoire, à se retirer du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, prêt à persécuter les militants de gauche, à fermer le ministère de la Femme, à retirer leurs prérogatives aux gouverneurs de région. José Antonio Kast nie le changement climatique, relativise les pratiques violentes, cruelles et inhumaines de la dictature. Nous sommes très inquiets de l’ascension de ce candidat lié à Jair Bolsonaro, qui tourne comme lui le dos à la vérité et au bon sens.

Le 18 octobre 2019, nous avons connu un débordement de colère, un rejet du modèle économique qui creuse les inégalités. Ce mouvement a ouvert, dans un très court laps de temps, sur un processus constituant. Kast est le visage de la réaction des secteurs les plus conservateurs de la société chilienne à cette révolte sociale. Et puis, au Chili, il y a encore ce discours atavique de l’anticommunisme. Nous devons nous y opposer en parlant sans relâche de démocratie, de liberté, de respect des droits de l’homme, de récupération des biens communs, de nos droits, pour en finir avec cette logique néolibérale. C’est là que se trouve l’espoir.

SUR LE MÊME SUJET :

16 décembre, 2021

VIVE PINOCHET ! VIVE MILTON FRIEDMAN ! L’ACADÉMIE FRANÇAISE ACCUEILLE MARIO VARGAS LLOSA

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 
L’ACADÉMIE FRANÇAISE ACCUEILLE MARIO VARGAS LLOSA
LOGO
L'HUMANITÉ

Si chez nous c’est Pétain qu’on regrette, au Chili c’est Pinochet. José Antonio Kast, candidat d’extrême droite bien placé pour l’élection présidentielle du Chili, ce dimanche 19 décembre, est un fervent défenseur de la dictature militaire de Pinochet. Rien d’étonnant à ce qu’il soit soutenu par l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, connu depuis longtemps pour son militantisme ultra-réactionnaire et ultra-libéral très influent dans toute l’Amérique latine, et jusqu’en Espagne où il défend la mémoire de Franco.

Un ultra-libéralisme qui l’a conduit à se livrer à l’évasion fiscale, comme l’ont révélé les « Panama Papers » en 2015, et les «Pandora Papers » en 2021. Malgré tout ça – ou bien à cause de tout ça – il vient d’être élu à l’Académie française.

Aucun académicien (même pas Alain Finkielkraut) ne peut ignorer que le grand écrivain est un militant de l’extrême droite la plus obscurantiste et la plus radicale. Le peu d’étonnement qui s’ensuit montre  l’état  de  la  confusion  et de la banalisation des idées les plus réacs dans l’opinion et dans le monde intellectuel. Seuls quelques chercheurs ont publié  une  tribune.  Libération.fr

- Ñ - ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI
PROPAGANDE ÉLECTORALE
[ Cliquez sur la flèche pour visionner la vidéo ]

MENSAJES DE EUROPA PARA CHILE

 CE RAJEUNISSEMENT D’UN CADAVRE EST SUPRENANT

COUVERTURE

Dans La Tentation de l’impossible, un essai qu’il a consacré, en 2008, à Victor Hugo, Mario Vargas Llosa, dans un cri d’amour au « divin sténographe », dit toute son admiration pour Les Misérables, « une de ces œuvres qui ont incité tant d’hommes et de femmes à désirer un monde plus juste et plus beau ».

par Rosa Moussaoui

PHOTO REVUE BALLAST

À 85 ans, le flamboyant romancier péruvien, prix Nobel de littérature, aura emprunté une trajectoire politique radicalement opposée à celle choisie par Hugo, du soutien exalté à la monarchie restaurée jusqu’au poème « À ceux qu’on foule aux pieds », ode fraternelle aux communards, ardent plaidoyer pour leur amnistie. La jeunesse révolutionnaire de Vargas Llosa, les années de résistance à la dictature du général Manuel Odría quand, exilé à Paris, il défendait les guérilleros en estimant que « le seul recours, c’est la lutte armée », ne sont plus qu’un brumeux souvenir.

Lire aussi Présidentielle au Chili. Mario Vargas Llosa déclare sa flamme à José Antonio Kast

Depuis le fauteuil émeraude de l’Académie française qu’il occupe désormais, remplaçant là depuis le 25 novembre le philosophe Michel Serres, l’écrivain, à la veille du second tour de l’élection présidentielle au Chili, appelle à voter pour le candidat d’extrême droite José Antonio Kast, ami intime du brésilien Jair Bolsonaro, fils d’un officier nazi exilé en Amérique latine, néofasciste au ton suave promettant un prompt « retour à l’ordre » et revendiquant ouvertement l’héritage d’Augusto Pinochet.

Dans un cordial échange virtuel organisé le 3 décembre par la Fondation internationale pour la liberté, un think tank ultralibéral et férocement anticommuniste, les deux hommes se perdent en congratulations ; l’écrivain assure que « les yeux de toute l’Amérique latine sont tournés vers le Chili aujourd’hui ». « Je pense qu’il n’y a pas d’autre alternative que de gagner les élections », assène-t-il. « C’est littéralement la liberté contre le totalitarisme que nous représentons », affecte Kast. « C’est vrai », répond Vargas Llosa, en mettant en garde contre le péril « socialiste » et « communiste ».

En 2019, dans les colonnes du Figaro, le romancier  s’alarmait  de  «  la montée en puissance un peu partout dans le monde non seulement des populismes et des nationalismes locaux, ces nouvelles  formes  d’égoïsme, mais des extrémismes de toutes sortes, qui parfois avancent masqués ».  Le Fgaro.fr Au même moment,  il  affichait en Amérique du sud son soutien aux candidats d’une ultra-droite ne s’embarrassant guère des libertés ni des droits humains : Iván Duque, démolisseur des accords de paix en Colombie, où  des  leaders  sociaux, paysans et indigènes, des syndicalistes, d’ex-guérilleros ayant déposé  les armes sont chaque jour assassinés ; dans sa patrie de naissance, Keiko Fujimori, fille du  satrape  Alberto  Fujimori  qu’il  affronta  sans  succès  lors de  l’élection  présidentielle  de  1990  ;  Mauricio  Macri,  l’intégriste néolibéral qui a laissé  en  un  mandat  l’économie  argentine  exsangue  ; Carlos Mesa, porté en Bolivie par les putschistes à l’origine du coup d’État contre Evo Morales.

Du guévarisme de ses débuts à sa conversion au reaganisme et au thatchérisme, de l’élan tiers-mondiste à ses ennuyeux prêches pour la « liberté » (celle des capitaux et des marchandises), Vargas Llosa s’est depuis longtemps laissé engloutir par les marécages du néoconservatisme, de la régression sociale, du libre-échange fanatique, de l’exportation des idéaux « démocratiques » par les invasions militaires. Il sombre encore, mais peut-on parler de rupture ? Lui-même assure avoir été foudroyé, au début des années 1970, par la lecture de Karl Popper et celle de Friedrich Hayek, l’apôtre du marché libéralisé comme « ordre spontané », partisan d’un système anti-démocratique confiant la décision politique aux « experts ». Comme Milton Friedman qui forma les Chicago boys, inspirateurs de la brutale conversion économique conduite par Augusto Pinochet, Hayek offrit à la junte militaire une indéfectible caution intellectuelle : il y avait, selon lui, dans le Chili de Pinochet, théâtre d’une répression anti-populaire d’une horreur sans nom, « plus de liberté que sous le gouvernement d’Allende ».

En bon disciple de Hayek, Vargas Llosa déteste les impôts : son nom apparaît dans le scandale des «Pandora Papers », comme propriétaire d’une société offshore domiciliée dans les îles Vierges britanniques, un paradis fiscal vers lequel affluaient ses droits d’auteurs et le fruit de la vente de plusieurs propriétés Le Monde.fr. 

Il partage aussi l’aversion de l’économiste et philosophe austro-britannique pour la démocratie et le suffrage populaire, quand leurs verdicts lui déplaisent. « Ne vous y trompez pas : des élections libres sont très importantes, mais il est également très important que ceux qui votent votent bien. Bien voter n’est pas facile », expliquait-il sans fard en septembre dernier, devant la Convention nationale du Parti populaire espagnol. Loin, très loin de l’auteur des Misérables qui appelait à « regarder à travers le peuple » pour y« apercevoir la vérité ».

À l’heure où la nostalgie de Pinochet étend son ombre au Chili, menaçant d’étrangler tous les espoirs nés de la révolte sociale de 2019, il faudrait oublier les élucubrations du dernier entré à l’Académie française pour repenser à ces mots de Victor Hugo : « le passé, il est vrai, est très fort à l’heure où nous sommes. Il reprend. Ce rajeunissement d’un cadavre est surprenant. Le voici qui marche et qui vient. Il semble vainqueur ; ce mort est un conquérant. Il arrive avec sa légion, les superstitions, avec son épée, le despotisme, avec son drapeau, l’ignorance ; depuis quelque temps il a gagné dix batailles. Il avance, il menace, il rit, il est à nos portes.

Quant à nous, ne désespérons pas. (…) Nous qui croyons, que pouvons- nous craindre ? Il n’y a pas plus de reculs d’idées que de reculs de fleuves. »

  Rosa Moussaoui

SUR LE MÊME SUJET :

15 décembre, 2021

PRÉSIDENTIELLE AU CHILI: DERNIER DÉBAT DE LA CAMPAGNE, LES DEUX CANDIDATS AU COUDE À COUDE

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]  

PHOTO ELVIS GONZALEZ

Au Chili, ce lundi soir avait lieu le dernier débat avant l'élection présidentielle la plus importante depuis près de trente ans. Les électeurs devront départager dimanche 19 décembre 2021 le candidat d'extrême droite José Antonio Kast et l'ancien leader étudiant de gauche Gabriel Boric. C'est la présidentielle la plus polarisée depuis la fin de la dictature du général Pinochet. Et hier soir ce dernier débat a été assez tendu, en particulier sur les questions des droits des femmes et de la communauté LGBT+.
 - Ñ - ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI
PROPAGANDE ÉLECTORALE
[ Cliquez sur la flèche pour visionner la vidéo ]

avec notre correspondante à Santiago, Justine Fontaine

  DESSIN ENEKO

Dès la première partie du débat, le candidat d'extrême droite José Antonio Kast est confronté à d'anciennes déclarations. En 2017 il avait parlé de «dictature gay», et ces dernières semaines il a du revoir son programme concernant les droits des femmes.  

 - Ñ - ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI
PROPAGANDE ÉLECTORALE
[ Cliquez sur la flèche pour visionner la vidéo ]

Un manque de respect selon son concurrent, l'ancien leader étudiant de gauche Gabriel Boric : « Fermer le ministère des Femmes, discriminer pour les aides sociales les femmes célibataires aux dépens des femmes mariées, ou obliger une femme violée à devenir mère, voici le respect qu'il propose. »

Les deux hommes se distinguent aussi par leurs programmes économiques. À gauche, Gabriel Boric, 35 ans, promet d'aller vers un État-providence, vers davantage de droits sociaux. Face à lui, José Antonio Kast défend le modèle néolibéral hérité de la dictature d'Augusto Pinochet et promet de réduire le rôle de l'État dans l'économie : « Quand nous disons que nous allons réduire l'impôt sur les entreprises, cela va créer de la croissance, et s'il y a de la croissance il y a davantage d'emploi et des emplois plus dignes. »

FAKE NEWS : L'ARME DE LA FACHOSPHÈRE

Le candidat d'extrême droite lance aussi plusieurs fausses affirmations [fake news] et accuse son concurrent d'être manipulé par le Parti communiste. Il conclut le débat en remerciant Dieu.

Les sondages donnent les deux candidats au coude à coude. L'élection prévue dimanche se déroule en pleine rédaction d'une nouvelle Constitution, qui pourrait remplacer le texte actuel, hérité de la dictature de Pinochet. CHILI


SUR LE MÊME SUJET :

14 décembre, 2021

JOSÉ ANTONIO KAST, APÔTRE DE « L’ORDRE» À LA PRÉSIDENTIELLE CHILIENNE

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP

L’avocat d’extrême droite, défenseur historique de la dictature Pinochet, sera opposé le 19 décembre à un candidat de gauche. Pour attirer les suffrages du centre et des indécis, il cultive une image de bon père de famille.
 - Ñ - ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI
PROPAGANDE ÉLECTORALE
[ Cliquez sur la flèche pour visionner la vidéo ]


 

Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)

Temps de Lecture 5 min.

  DESSIN ENEKO

Il promet de « rétablir la paix, l’ordre, le progrès et la liberté ». Le 21 novembre au soir, à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle, José Antonio Kast, 55 ans, décrit les grands axes de son programme, face aux supporteurs qui célèbrent l’arrivée du candidat d’extrême droite en tête du ballottage, avec 27,9 % des suffrages. Il devance de deux points Gabriel Boric (gauche), alors qu’une poignée de semaines encore avant le scrutin, les sondages le donnaient à la quatrième place. Devant sa base qui savoure la victoire, l’avocat insiste sur le supposé dilemme entre la « démocratie et le communisme » posé par le second tour du 19 décembre, en référence à son concurrent, dont la vaste alliance incorpore le Parti communiste.

 - Ñ - ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI
PROPAGANDE ÉLECTORALE
[ Cliquez sur la flèche pour visionner la vidéo ]

Favorable à la réduction de la taille de l’État, intimement opposé à l’avortement, même en cas de viol, José Antonio Kast a fait campagne sur la thématique de la sécurité et de « l’ordre », son concept étendard. L’ordre face aux violences qui émaillent le conflit avec la population indigène mapuche dans le Sud, région où il a raflé plus de 40 % des suffrages. L’ordre face à l’arrivée de migrants dans le nord du pays. Une de ses idées phares est d’ailleurs la construction d’un fossé à la frontière chilienne, que les Vénézuéliens traversent à pied. Selon le candidat, celui-ci devra être agrémenté d’une « grille », afin d’éviter que « des enfants, des personnes et des animaux ne tombent ». L’ordre, enfin, face à la délinquance, au narcotrafic et aux violences qui ont pu entacher le mouvement historique de lutte contre les inégalités, lancé en octobre 2019. L’une des ses propositions : donner plus de moyens à la police.

Lire aussi Au Chili, un racisme croissant envers les immigrés

« Il s’inscrit dans la lignée de l’extrême droite chilienne, avec des positions ultraconservatrices sur les mœurs, contre les droits des femmes, contre la reconnaissance des minorités sexuelles », énumère Claudia Heiss, politiste à l’université du Chili. Avec un ensemble d’universitaires, elle a signé un texte alertant sur le risque de « recul démocratique » si le candidat d’extrême droite accède à la présidence, appelant à voter Gabriel Boric. « Kast est parvenu à construire un leadership individuel, charismatique et à se présenter comme un outsider, ce qui n’est pas le cas », poursuit Mme Heiss.

PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP

Cadet d’une fratrie de neuf enfants, José Antonio Kast grandit dans une famille d’immigrés allemands, marquée par les extrêmes. Son père, arrivé au Chili autour de 1950, a rejoint le parti nazi, a confirmé début décembre l’agence Associated Press. Jusque-là, le candidat soutenait qu’il avait seulement été enrôlé dans l’armée pendant la seconde guerre mondiale, à l’instar de la plupart de ses contemporains.

Liens avec l’extrême droite à l’international

 JAIME GUZMAN ET 
JOSÉ ANTONIO KAST 

Dans les années 1980, en pleine dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990), le jeune Kast, étudiant en droit, « est l’un des dirigeants les plus importants de la droite universitaire, au sein de sa faculté », retrace Victor Muñoz Tapayo, historien à l’Université catholique Silva Henriquez. « Il est un disciple de Jaime Guzman [l’une des têtes pensantes de la dictature], à l’idéologie conservatrice, influencée par le franquisme, grand défenseur du libéralisme », poursuit l’historien. Son frère, Miguel Kast, ministre sous la junte militaire, est l’un des idéologues de l’architecture néolibérale construite par la dictature.

Des années plus tard, José Antonio Kast ne cache pas ses affinités idéologiques avec cette période de l’histoire chilienne. Lors de la précédente élection présidentielle, en 2017, qui l’a crédité de près de 8 % des voix, il a assuré que, s’il était vivant, Augusto Pinochet voterait pour lui et que les deux hommes «prendraient un petit thé à la Moneda [palais présidentiel] ».

Lire aussi Chili / « Le retour à l'ordre »

Elu quatre fois député (2002-2018) sous la bannière de l’Union démocrate indépendante (UDI, droite conservatrice), « il a toujours représenté l’aile la plus à droite d el’UDI », observe M. Muñoz Tapayo. « Rien n’a fait plus de mal à ce gouvernement [celui de l’actuel président, Sebastian Piñera, de droite], que la droite light », s’est-il agacé dans un tweet, en 2019, avant de fonder son propre mouvement, le Parti républicain. Il a alors tissé des liens avec les extrêmes droites à l’international, notamment avec Vox, en Espagne. En 2018, selon la presse chilienne, il a manifesté, dans une lettre, sa sympathie à Jair Bolsonaro, alors candidat à la présidentielle brésilienne. Après le premier tour, le 21 novembre dernier, il a chaleureusement accepté les félicitations du député ultralibéral argentin Javier Milei en reprenant à son compte son slogan : « Vive la liberté au Chili et en Argentine, bordel ! »

Semer la confusion

Mais, à la différence de ces figures internationales, il ne vocifère pas. Aux questions les plus incisives des journalistes, il répond avec un sourire flegmatique. Ses mesures les plus polémiques sont annoncées d’une voix posée. À la fin de son discours, le soir du premier tour, il a écrit sur les réseaux : « Tranquille, tout va bien se passer. »

PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP
Ce fervent catholique, qui a eu neuf enfants avec son épouse, cultive l’image d’un bon père de famille. Lors d’un entretien télévisé, soigneusement mis en scène, le 8 décembre, sa femme a fait irruption sur le plateau, guitare à la main, poussant la chansonnette, accompagnée de leurs enfants, chacun affublé d’une étiquette déclinant son prénom. L’informalité est également jouée sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok, où le candidat distille ses éléments de langage, entre pas de danse sur fond de musique hip-hop et références humoristiques.

« En quoi suis-je extrême ? Extrême parce que j’aime le Chili, la patrie ? », s’interroge-t-il sur le réseau des adolescents. Il sème la confusion en refusant l’étiquette d’extrême droite et a récemment assuré : «Je ne suis pas pinochétiste. » Dans la foulée du premier tour, le candidat a tenté d’arrondir les angles, pour s’attirer le soutien de la droite modérée, des électeurs du centre et des indécis. Celui qui avait annoncé la suppression du ministère de la femme – afin de réaliser des économies – a soudain fait de la «femme chilienne » une des priorités de son programme. Le ministère n’est plus menacé. Son idée « fut une erreur », a-t-il justifié.

Lire aussi Gabriel Boric, un jeune espoir contre l’extrême droite chilienne

La baisse des impôts proposée – jugée irréaliste par de nombreux observateurs – sera finalement moins drastique. La lutte contre le changement climatique s’est soudainement invitée dans son programme, qui prévoit « d’aller plus vite » que les engagements de la COP26. Personnellement opposé au mariage pour tous – approuvé le 7 décembre par le Parlement –, il a assuré respecter, « en démocrate », les lois déjà votées. Doucement, son programme se met à ressembler à celui d’un parti de droite. « Cela suscite un doute, car, finalement, ses convictions personnelles restent les mêmes », dit Mme Heiss, tandis que M. Muñoz Tapayo y voit un « signe de pragmatisme ».

SUR LE MÊME SUJET :