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PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP L’avocat d’extrême droite, défenseur historique de la dictature Pinochet, sera opposé le 19 décembre à un candidat de gauche. Pour attirer les suffrages du centre et des indécis, il cultive une image de bon père de famille.
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Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)
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DESSIN ENEKO |
Il promet de « rétablir la paix, l’ordre, le progrès et la liberté ». Le 21 novembre au soir, à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle, José Antonio Kast, 55 ans, décrit les grands axes de son programme, face aux supporteurs qui célèbrent l’arrivée du candidat d’extrême droite en tête du ballottage, avec 27,9 % des suffrages. Il devance de deux points Gabriel Boric (gauche), alors qu’une poignée de semaines encore avant le scrutin, les sondages le donnaient à la quatrième place. Devant sa base qui savoure la victoire, l’avocat insiste sur le supposé dilemme entre la « démocratie et le communisme » posé par le second tour du 19 décembre, en référence à son concurrent, dont la vaste alliance incorpore le Parti communiste.
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Favorable à la réduction de la taille de l’État, intimement opposé à l’avortement, même en cas de viol, José Antonio Kast a fait campagne sur la thématique de la sécurité et de « l’ordre », son concept étendard. L’ordre face aux violences qui émaillent le conflit avec la population indigène mapuche dans le Sud, région où il a raflé plus de 40 % des suffrages. L’ordre face à l’arrivée de migrants dans le nord du pays. Une de ses idées phares est d’ailleurs la construction d’un fossé à la frontière chilienne, que les Vénézuéliens traversent à pied. Selon le candidat, celui-ci devra être agrémenté d’une « grille », afin d’éviter que « des enfants, des personnes et des animaux ne tombent ». L’ordre, enfin, face à la délinquance, au narcotrafic et aux violences qui ont pu entacher le mouvement historique de lutte contre les inégalités, lancé en octobre 2019. L’une des ses propositions : donner plus de moyens à la police.
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« Il s’inscrit dans la lignée de l’extrême droite chilienne, avec des positions ultraconservatrices sur les mœurs, contre les droits des femmes, contre la reconnaissance des minorités sexuelles », énumère Claudia Heiss, politiste à l’université du Chili. Avec un ensemble d’universitaires, elle a signé un texte alertant sur le risque de « recul démocratique » si le candidat d’extrême droite accède à la présidence, appelant à voter Gabriel Boric. « Kast est parvenu à construire un leadership individuel, charismatique et à se présenter comme un outsider, ce qui n’est pas le cas », poursuit Mme Heiss.
PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP |
Cadet d’une fratrie de neuf enfants, José Antonio Kast grandit dans une famille d’immigrés allemands, marquée par les extrêmes. Son père, arrivé au Chili autour de 1950, a rejoint le parti nazi, a confirmé début décembre l’agence Associated Press. Jusque-là, le candidat soutenait qu’il avait seulement été enrôlé dans l’armée pendant la seconde guerre mondiale, à l’instar de la plupart de ses contemporains.
Liens avec l’extrême droite à l’international
JAIME GUZMAN ET JOSÉ ANTONIO KAST |
Dans les années 1980, en pleine dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990), le jeune Kast, étudiant en droit, « est l’un des dirigeants les plus importants de la droite universitaire, au sein de sa faculté », retrace Victor Muñoz Tapayo, historien à l’Université catholique Silva Henriquez. « Il est un disciple de Jaime Guzman [l’une des têtes pensantes de la dictature], à l’idéologie conservatrice, influencée par le franquisme, grand défenseur du libéralisme », poursuit l’historien. Son frère, Miguel Kast, ministre sous la junte militaire, est l’un des idéologues de l’architecture néolibérale construite par la dictature.
Des années plus tard, José Antonio Kast ne cache pas ses affinités idéologiques avec cette période de l’histoire chilienne. Lors de la précédente élection présidentielle, en 2017, qui l’a crédité de près de 8 % des voix, il a assuré que, s’il était vivant, Augusto Pinochet voterait pour lui et que les deux hommes «prendraient un petit thé à la Moneda [palais présidentiel] ».
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Elu quatre fois député (2002-2018) sous la bannière de l’Union démocrate indépendante (UDI, droite conservatrice), « il a toujours représenté l’aile la plus à droite d el’UDI », observe M. Muñoz Tapayo. « Rien n’a fait plus de mal à ce gouvernement [celui de l’actuel président, Sebastian Piñera, de droite], que la droite light », s’est-il agacé dans un tweet, en 2019, avant de fonder son propre mouvement, le Parti républicain. Il a alors tissé des liens avec les extrêmes droites à l’international, notamment avec Vox, en Espagne. En 2018, selon la presse chilienne, il a manifesté, dans une lettre, sa sympathie à Jair Bolsonaro, alors candidat à la présidentielle brésilienne. Après le premier tour, le 21 novembre dernier, il a chaleureusement accepté les félicitations du député ultralibéral argentin Javier Milei en reprenant à son compte son slogan : « Vive la liberté au Chili et en Argentine, bordel ! »
Semer la confusion
Mais, à la différence de ces figures internationales, il ne vocifère pas. Aux questions les plus incisives des journalistes, il répond avec un sourire flegmatique. Ses mesures les plus polémiques sont annoncées d’une voix posée. À la fin de son discours, le soir du premier tour, il a écrit sur les réseaux : « Tranquille, tout va bien se passer. »
PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP |
« En quoi suis-je extrême ? Extrême parce que j’aime le Chili, la patrie ? », s’interroge-t-il sur le réseau des adolescents. Il sème la confusion en refusant l’étiquette d’extrême droite et a récemment assuré : «Je ne suis pas pinochétiste. » Dans la foulée du premier tour, le candidat a tenté d’arrondir les angles, pour s’attirer le soutien de la droite modérée, des électeurs du centre et des indécis. Celui qui avait annoncé la suppression du ministère de la femme – afin de réaliser des économies – a soudain fait de la «femme chilienne » une des priorités de son programme. Le ministère n’est plus menacé. Son idée « fut une erreur », a-t-il justifié.
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La baisse des impôts proposée – jugée irréaliste par de nombreux observateurs – sera finalement moins drastique. La lutte contre le changement climatique s’est soudainement invitée dans son programme, qui prévoit « d’aller plus vite » que les engagements de la COP26. Personnellement opposé au mariage pour tous – approuvé le 7 décembre par le Parlement –, il a assuré respecter, « en démocrate », les lois déjà votées. Doucement, son programme se met à ressembler à celui d’un parti de droite. « Cela suscite un doute, car, finalement, ses convictions personnelles restent les mêmes », dit Mme Heiss, tandis que M. Muñoz Tapayo y voit un « signe de pragmatisme ».
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