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PHOTO SEBASTIAN CASTANEDA / REUTERS
À 99,9 % du dépouillement, Pedro Castillo mène avec une courte avance de 48 000 voix.
Par Amanda Chaparro (Lima, correspondance)
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Elle avait promis qu’elle respecterait les résultats de l’élection présidentielle du 6 juin. Pourtant, dès le lendemain du vote, voyant la victoire lui échapper, Keiko Fujimori, la candidate de la droite populiste tendance autoritaire, a lancé une offensive juridique pour contester les résultats. D’abord en lançant des accusations de « fraude systématique » sans fondements, quand tous les observateurs saluaient des élections sans irrégularités – jetant l’opprobre sur le scrutin. Puis, en envoyant ses avocats déposer des demandes d’invalidation de quelque 200 000 votes (principalement pour de supposées falsifications de signatures), risquant de déstabiliser un peu plus un pays fragilisé par une des campagnes électorales les plus agressives et polarisées de son histoire.
Ainsi, sept jours après le scrutin, le Pérou n’a toujours pas de vainqueur officiel. Pedro Castillo, candidat de la gauche de la gauche, mène avec une courte avance de 48 000 voix qui semble à ce stade irrattrapable. Selon les estimations du média d’investigation IDL-Reporteros, 38 700 votes sont en jeu, parmi les 200 000 mentionnés par Mme Fujimori – la plupart des contestations n’étant plus recevables car arrivées hors délai légal. Même si 100 % des votes contestés étaient annulés, Pedro Castillo l’emporterait.
Toutefois, l’organisme électoral n’a pas déclaré de vainqueur officiel, attendant que le Juré national des élections (JNE) se prononce sur les suffrages qui font l’objet de contestation, d’autant que Fuerza Popular, le parti de Mme Fujimori, a menacé de faire appel. Pedro Castillo, qui avait prononcé plusieurs discours aux allures de victoire dans le courant de la semaine passé, s’est dernièrement montré plus prudent, enjoignant ses partisans à ne pas céder à la provocation et à attendre calmement le dépouillement final.
Campagne de haine
Mais le récit de la fraude a créé de vives tensions et a eu pour effet de diviser encore un peu plus la population. Samedi 12 juin, des milliers de partisans de Keiko Fujimori étaient réunis dans le centre de Lima, la capitale, pour « défendre leur vote » et « défendre la démocratie ». « Le plus important est que vous ne capituliez pas », s’est exclamée Mme Fujimori.
Sur les réseaux sociaux, les fujimoristes ont lancé une campagne de haine, incitant leurs partisans à harceler des personnalités publiques, journalistes, artistes et politiques critiques de leur leader, sous la consigne #ChapatuCaviar (« attrape ton caviar », en référence à la gauche caviar). D’autres partisans se sont réunis devant la maison du président du Juré des élections, proférant des insultes.
En prétendant invalider des milliers de votes, la plupart provenant des zones rurales et pauvres ayant massivement voté pour M. Castillo, Keiko Fujimori a fait preuve d’un comportement antidémocratique, raciste et classiste, estiment de nombreux analystes. La candidate s’est également attiré les foudres des organisations autochtones. Ces dernières sont montées au créneau et ont menacé de marcher vers la capitale pour faire respecter leurs voix.
« Racisme évident »
« D’abord ils nient notre existence, puis maintenant ils veulent annuler nos votes. En voulant contester le vote de communautés amazoniennes et andines, [ils font preuve d’un] racisme évident », a déclaré Lizardo Cauper, président de l’Association interethnique pour le développement de la forêt tropicale péruvienne, une importante association amérindienne, qui représente environ 650 000 femmes et hommes autochtones.
Celle qui pendant la campagne électorale avait construit un discours de défenseure de la démocratie face au « péril rouge » Pedro Castillo a révélé son vrai visage, ironisent ses détracteurs, se montrant prête à mettre la démocratie en danger pour sauver sa peau. Pour la candidate, cette troisième défaite dans les urnes rimerait avec un procès en justice et peut-être le retour à la case prison – elle a effectué seize mois de détention préventive entre 2019 et 2020. Elle est accusée d’être à la tête d’une organisation criminelle et poursuivie pour présumé blanchiment d’argent d’apports illicites de ses campagnes électorales de 2011 et 2016. Le parquet a requis trente ans de prison à son encontre et son procès pourrait commencer dès les élections terminées.