17 juin, 2024

NICOLAS CATALDO, MINISTRE DE L'ÉDUCATION DU CHILI : « L’ÉDUCATION NE DOIT PLUS ÊTRE UN NÉGOCE »

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LE MINISTRE DE L'ÉDUCATION, NICOLAS CATALDO,
À SANTIAGO, 20 SEPTEMBRE 2023. PHOTO  DRAGOMIR YANKOVIC

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L'HUMANITÉ

Nicolas Cataldo, ministre de l'Éducation du Chili : « L’éducation ne doit plus être un négoce » À la tête du ministère de l’Éducation de son pays, Nicolas Cataldo poursuit la difficile tâche de transformer un système hérité de la dictature, fortement reproducteur des inégalités sociales. [ Entretien.]

LE MINISTRE NICOLAS CATALDO ET
 L'AMBASSADEUR RAÚL FERNÁNDEZ
DEVANT L’AMBASSADE
 DU CHILI À PARIS

Membre du Parti communiste chilien et ancien dirigeant étudiant, le ministre de l’éducation Nicolás Cataldo (39 ans) accompagne le président Gabriel Boric dans sa tournée européenne. Spécialiste des politiques publiques dans le domaine de l’éducation, il est de passage à Paris, ce lundi, dans le cadre d’une réunion multilatérale sur la transformation de ce secteur, organisée à l’Unesco. Entretien.

En tant qu’ancien dirigeant étudiant, vous êtes passé du côté de ceux qui exigent des changements à celui de décideurs qui doivent les mettre en place. Comment vivez-vous cette rupture ?

Nous considérons qu’il n’y a pas de fossé entre s’organiser pour changer l’état des choses et concrétiser les changements à partir de l’exercice du pouvoir. C’est un défi que nous relevons avec responsabilité et conviction sous la direction du président Boric et avec le soutien d’une coalition diversifiée. Mon parti a déjà fait partie d’un gouvernement, celui de la présidente Michelle Bachelet (2006-2010 et 2014-2018), qui a impulsé les principales réformes éducatives depuis le retour à la démocratie.

L’un des objectifs de ce gouvernement est de défendre et de poursuivre ces transformations, en renforçant l’éducation publique et en garantissant une éducation complète pour tous. C’est un nouvel épisode dans le cadre d’une longue lutte où différentes générations coexistent et sont bien conscientes que, pour aller de l’avant, il faut aussi défendre les acquis.

Le système éducatif chilien traverse une forte crise. Quels sont les principaux axes de travail face à cette situation ?

Notre action se déploie notamment dans deux domaines. D’une part, en s’attaquant aux défis structurels de notre système éducatif, qui reproduit les inégalités – ce qui est logique dans les systèmes où le marché définit l’accès à ce qui devrait pourtant être un droit. D’autre part, en s’attaquant aux multiples effets de la pandémie de Covid (retards d’apprentissage, désertion scolaire, problèmes de coexistence et de santé mentale) qui continuent d’affecter les élèves et le personnel enseignant. 

En ce qui concerne l’aspect structurel, les actions déployées sont multiples ; l’un des principaux fronts est de continuer à avancer dans le processus de mise en place du système d’éducation publique (SEP). Ce système, approuvé au Congrès de manière transversale en 2017, est la réponse à la crise profonde résultant de l’effondrement du modèle hérité de Pinochet.

Le SEP doit remplacer le système mis en place pendant la dictature (1973-1990), il reste encore cinq ans avant qu’il n’entre en vigueur dans tout le pays. En matière d’éducation, les changements de fond prennent bien évidemment du temps. Les initiatives que nous portons sont nombreuses (amélioration des conditions de travail des employés des établissements publics, réforme du programme d’éducation nationale, doublement des investissements pour les infrastructures, etc.) et leur progression dépendra de leur continuité sur le long terme.

Comment combler l’écart qui existe entre les écoles publiques et privées au niveau de la qualité de l’enseignement, dans un système où l’éducation a longtemps été considérée comme une marchandise et non comme un droit ?

C’est précisément ce à quoi nous nous attaquons en mettant en œuvre le SEP. La situation est très complexe car notre tâche ne consiste pas seulement à réhabiliter la qualité de l’enseignement public, mais aussi à garantir son financement.

Mais avec le SEP, nous voulons que l’enseignement public redevienne un moteur d’équité et une source de fierté pour nos concitoyens. Les premiers résultats sont prometteurs et nous permettent d’être optimistes et confiants dans le fait que nous avançons progressivement vers un système plus juste et plus démocratique, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Vous êtes de ceux qui pensent que « l’éducation ne change pas le monde mais forme ceux qui changeront le monde ». Que peut faire un ministre communiste pour initier ce changement ?

Je ne crois pas que les sociétés contemporaines soient captives du modèle dominant, mais au contraire qu’elles sont engagées dans des processus de recherche d’un ordre différent. En voyant les conséquences du néolibéralisme dans nos sociétés, je pense que cette préoccupation ne devrait pas être l’apanage d’un ministre communiste, elle devrait animer tous ceux qui croient en la nécessité d’évoluer vers un nouveau modèle de société fondé sur la solidarité, la coopération et le travail collectif pour atteindre le bien-être.

Nous déployons donc tous nos efforts pour transformer le système éducatif chilien. Nous nous engageons à défendre des principes fondamentaux, comme le fait que l’éducation ne peut être un négoce. L’éducation nous offre de nombreuses opportunités de prouver que nos sociétés peuvent être organisées différemment. Nous aspirons à ce que cette nouvelle organisation soit inspirée par les valeurs qui nous permettront de défendre et d’étendre les acquis sociaux dont nous avons tant besoin pour vivre avec justice et dignité.

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En décembre 2021, Gabriel Boric a été élu au second tour face à un admirateur de la dictature. Les valeurs démocratiques sont-elles toujours en danger au Chili ? L’éducation peut-elle jouer un rôle à cet égard ?

Les valeurs démocratiques ne sont jamais garanties. Il suffit de voir comment, partout dans le monde, progressent des dirigeants et des régimes qui défendent des principes qui fragilisent la coexistence, encouragent la discrimination et la haine, en s’appuyant sur la défiance à l’égard des institutions et de la politique.

Et qui profitent notamment de la peur et de l’incertitude qui se répandent au sein de la population en conséquence des crises produites par le néolibéralisme de façon périodique. Je crois profondément à l’éducation comme levier qui peut propulser les apprenants au cœur de ce qu’est la vie démocratique, c’est-à-dire apprendre à vivre ensemble et à prendre des décisions sans que notre diversité d’opinions et d’intérêts ne représente une menace mutuelle, ou ne rende impossible la conclusion d’accords.

L’éducation est la clé pour apprendre à créer des espaces d’entente, mais surtout pour nous former dès le plus jeune âge à la vie démocratique et à comment chacun doit y contribuer pour atteindre le bien-être de la société dans son ensemble.