04 juin, 2024

CHILI : LE MAIRE COMMUNISTE DANIEL JADUE EMPRISONNÉ POUR AVOIR PERMIS AUX HABITANTS D’ACHETER DES MÉDICAMENTS À PRIX COÛTANT

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« ILS ME JUGENT POUR NOTRE GESTION RÉVOLUTIONNAIRE.
JE N’AI PAS UN SOU EN POCHE, MAIS ON M’IMPOSE LA PIRE
MESURE CONSERVATOIRE », A RÉAGI DANIEL JADUE,
 LE MAIRE COMMUNISTE DE RECOLETA.
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L'HUMANITÉ

Chili : le maire communiste Daniel Jadue emprisonné pour avoir permis aux habitants d’acheter des médicaments à prix coûtant / Le maire communiste de Recoleta Daniel Jadue avait mis en place un système facilitant l’accès aux soins à ses administrés et inauguré la première pharmacie municipale, un modèle rapidement imité dans tout le pays. Une juge vient de l’envoyer en détention provisoire pour corruption. Ses soutiens dénoncent une persécution politique à l’encontre d’un maire qui se bat pour construire un autre modèle de société.

 par Luis Reygada

6 min

« Ils me jugent pour notre gestion révolutionnaire. Je n’ai pas un sou en poche, mais on m’impose la pire mesure conservatoire », a réagi Daniel Jadue, le maire communiste de Recoleta.

LA JUGE PAULINA MOYA, À LA TÊTE DU 3ème TRIBUNAL PÉNAL
 DE SANTIAGO, A DÉCIDÉ D’ENVOYER LUNDI 3 JUIN,  LE MAIRE 
DE LA MUNICIPALITÉ DE RECOLETA DANIEL JADUE EN PRISON. 
FOTOMONTAJE  AGENCIA UNO

« Sa liberté représente un danger pour la sécurité de la société ». Après quatre jours de procédure, la juge Paulina Moya, à la tête du troisième tribunal pénal de la ville de Santiago, a décidé d’envoyer lundi 3 juin, le maire de la municipalité de Recoleta (Santiago du Chili) Daniel Jadue en prison.

Le délit commis par cette éminente figure du parti communiste chilien (PCCh), ancien candidat à l’élection présidentielle ? Faire du droit à la santé une réalité, en facilitant l’accès à ses administrés à des médicaments à un coût jusqu’à 70 % inférieur à celui du marché ! À prix coûtant, pour être plus précis, dans un pays où la sécurité sociale n’existe pas et où trois groupes – déjà condamnés par le passé pour entente illicite sur les prix – contrôlent la quasi-totalité des pharmacies réparties sur le territoire.

En deux ans, 150 communes suivirent l’exemple de Daniel Jadue

Ce qui leur permettait de faire de très confortables bénéfices aux dépens des malades, jusqu’à ce que, en 2015, le maire communiste Daniel Jadue trouve une parade permettant de rendre un fier service à ses administrés. « Au Chili, les mairies peuvent acheter des médicaments pour leur centre de santé mais n’ont pas le droit d’en faire commerce. La loi définit un acte commercial quand il y a une marge entre le prix d’achat et le prix de revente d’un produit. En revendant les médicaments au même prix que nous les achetons, nous ne faisons pas de marge, donc nous ne faisons pas de commerce », expliquait-il quelques années plus tard à un correspondant de l’Humanité.

Soutenu par le gouvernement de l’époque (second mandat de la socialiste Michelle Bachelet), Daniel Jadue inaugurait ainsi la première pharmacie municipale du pays dans sa commune située dans le secteur nord de la capitale ; il était alors largement applaudi pour son « projet sans précédent ».

En deux ans, près de cent cinquante communes suivirent son exemple et installèrent une pharmacie populaire et celle de Recoleta rejoignit une coopérative regroupant la plupart des pharmacies populaires du pays.

Accusé de concurrence déloyale par les géants de la distribution

Critiqué par la droite, accusé de concurrence déloyale par les géants de la distribution, ses adversaires ont finalement réussi à l’envoyer en prison (préventive). Alors qu’aucune preuve solide ne paraît le compromettre, le procureur avance cinq chefs d’accusation qui lui seraient imputables alors qu’il dirigeait l’Association chilienne des municipalités dotées de pharmacies populaires (Achifarp) : corruption, administration déloyale, fraude fiscale, escroquerie et délits de banqueroute. « Ils me jugent pour notre gestion révolutionnaire. Je n’ai pas un sou en poche, mais on m’impose la pire mesure conservatoire. Nous ferons appel de cette mesure disproportionnée ! », a réagi l’intéressé sur X.

CAPTURE D'ÉCRAN

« Cette affaire est très clairement un cas de persécution politique, il s’agit d’un nouvel exemple de « lawfare » (à savoir l’instrumentalisation de la justice pour éliminer des concurrents politiques, NDLR) comme nombre d’autres qui sévissent dans notre région », a de son côté dénoncé un communiqué du comité international de soutien à l’élu Chilien, tout en pointant du doigt la complicité de certains médias locaux.

« La criminalisation des leaders sociaux et populaires détruit la politique ; nous pensons que l’objectif est de paralyser ce Daniel Jadue représente : un projet populaire qui a considérablement amélioré la vie de milliers de familles, au point de devenir une référence nationale et internationale en termes de gouvernance locale », ajoute le document.

ANJULI TOSTES, LA JEUNE PARTENAIRE DE DANIEL JADUE
QUI L'A ACCOMPAGNÉ LORS DE LA FORMALISATION
PHOTO AGENCIA UNO

Une « décision absurde »

De son côté, le Parti communiste chilien a déclaré dans un communiqué qu’il soutenait le maire de Recoleta. À la veille de la décision du tribunal, le président du PCCh, l'ancien député Lautaro CarmonaLautaro Carmona, avait déclaré que la détention provisoire du maire pourrait « avoir un impact très important sur la qualité de la coexistence politique ». Ce qui n’a pas manqué de provoquer des remous au sein de la coalition gouvernementale, dirigée par le socialiste Gabriel Boric mais composée de plusieurs communistes.

Après l’annonce de la décision de justice, Carmona s’est toutefois dit confiant quant à la résolution de l’affaire en faveur de Jadue devant la Cour d’appel.

Sur les réseaux sociaux, les messages de soutien au maire communiste se multiplient. « Cette (mesure de) détention provisoire est injuste. Un maire comme Daniel Jadue, qui s’est engagé à fournir des médicaments moins chers et de meilleurs soins aux habitants de sa commune, ne peut pas être un danger pour la société. J’espère que cette décision absurde sera annulée par la Cour d’appel » a exprimé sur X le sénateur de la région de Coquimbo Daniel Nuñez (PCCh).

CAPTURE D'ÉCRAN

Dans un communiqué publié ce mardi 4 juin, le parti communiste français a exprimé sa solidarité avec l’élu chilien et a exigé sa libération immédiate face à une situation d’« acharnement judiciaire sans précédent » au Chili contre un élu municipal. « Ce qui lui est reproché est d’avoir eu une gestion sociale de la municipalité de Recoleta », explique le PCF, non sans rappeler qu’« en quatorze ans de mandat, Jadue a été la cible d’une soixantaine de procédures, enquêtes, expertises, jugements, appels… Daniel Jadue a gagné tous ses procès ».

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LA STRATÉGIE DU « LAWFARE »
L'INSTRUMENTALISATION DE LA JUSTICE