LE MONDE ECONOMIE
Nickel, cuivre, zinc et même aluminium ont battu pendant l'été 2006 de nouveaux records : certains jours, une véritable frénésie a régné sur le "ring" du London Metal Exchange, la Bourse mondiale des métaux non ferreux. Mais c'est aussi de frénésie que l'on peut parler à propos des manoeuvres, fusions et offres publiques d'achat (OPA) en tout genre qui ont affecté le secteur minier, qui a connu en quelques semaines des bouleversements sans équivalent dans le passé. Une page en particulier s'est tournée avec l'entrée en jeu de nouveaux acteurs brésiliens, russes et demain chinois.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le secteur minier avait connu une première mondialisation épousant plus ou moins la logique des empires coloniaux : les Européens dominaient l'Afrique - les Belges au Katanga, les Anglais en Rhodésie et en Zambie (l'Afrique du Sud étant un cas particulier). En Asie se côtoyaient Britanniques et Néerlandais, tandis que l'Amérique du Sud était la chasse gardée des entreprises américaines, en particulier au Chili. Sept entreprises pour le cuivre, cinq pour l'aluminium, trois pour le nickel, contrôlaient ainsi l'essentiel des ressources du monde occidental.
Ce premier âge d'or des oligopoles miniers s'est terminé avec la vague des indépendances des années 1960, puis des nationalisations des années 1970 : l'exploitation du cuivre fut confiée à des sociétés nationales de manière quasi simultanée au Chili, au Pérou, au Zaïre et en Zambie. De nouvelles entreprises ont fait leur apparition comme la Codelco au Chili ou la Gecamines au Zaïre. Les grands projets miniers lancés au lendemain de la flambée des années 1970 l'ont été dans le cadre public, comme le célèbre gisement de minerai de fer de Carajas au Brésil par la CVRD. Les groupes miniers ont même fait, à l'époque, l'objet de rachats massifs par les entreprises pétrolières comme BP, Shell ou Elf Aquitaine.
Mais cet intérêt n'a guère duré : la chute des prix de la fin du XXe siècle a provoqué un retrait massif des pétroliers. Par ailleurs, les privatisations minières réalisées sous la contrainte de l'endettement massif des pays producteurs n'ont pas non plus suscité beaucoup d'enthousiasme, en particulier en Afrique. La mine n'intéressait guère en ces temps de "nouvelle économie" triomphante. A cette époque, l'investissement minier, relativement limité, s'est donc concentré dans quelques pays sûrs, Canada et surtout Australie. Là se sont reconstitués, à partir notamment du charbon et du fer, quelques groupes - BHP-Billiton, Rio Tinto - qui dominent aujourd'hui la scène mondiale.
La flambée des prix des métaux, à partir de 2003, a changé la donne et a procuré un nouveau lustre à l'industrie minière. Les prix ont tiré les bénéfices et donné des moyens à des entreprises jusque-là dédaignées par les milieux boursiers. Après une phase de consolidation, les choses se sont accélérées à partir de 2005, avec l'arrivée de nouveaux acteurs : des filiales d'entreprises de négoce (le suisse Xstrata lié au premier négociant mondial en énergie et métaux, Glencore), des entreprises de pays émergents (le chilien Codelco, seule entreprise majeure qui soit restée publique, le brésilien CVRD, le mexicain Grupo Mexico), des russes (Norilsk, Rusal) et même des chinois (Min Metals). Résultat à l'été 2006, Xstrata a absorbé le numéro deux mondial du nickel, le canadien Falconbridge ; le numéro un, son compatriote Inco, a non seulement échoué dans sa fusion avec Falconbridge et avec l'américain Phelps Dodge, mais est en passe d'être racheté par CVRD. Le même CVRD, associé, dit-on, avec Xstrata et Rio Tinto, songerait à s'attaquer au sud-africain (basé maintenant à Londres) Anglo-American pour mieux le dépecer. Glencore est allé se rapprocher des deux russes Rusal et Sual pour former le numéro un mondial de l'aluminium. Et pour l'instant, les Chinois attendent...
Ainsi se sont reconstitués les grandes multinationales minières d'antan : Rio Tinto (dont le nom rappelle les eaux rouges des rivières cuprifères espagnoles) et BHP-Billiton, solidement ancrées en Australie, Alcoa et Alcan, les jumeaux de l'aluminium, Xstrata, l'énigmatique émanation d'un négociant chargé de mystère, les groupes Russes, contrôlés par des proches de Vladimir Poutine, qui a remis les ressources naturelles sous le contrôle du Kremlin, et enfin les Latino-Américains, les Chinois et les Indiens, seuls pour l'instant à prendre le risque d'opérer en Afrique.
Le moindre projet minier dépasse aujourd'hui le milliard de dollars. Il est souvent porteur de déséquilibres économiques et sociaux et donc de risques, tant pour les investisseurs que pour les pays concernés. L'historien de l'économie Paul Bairoch rappelait que la mine n'avait jamais été un facteur de développement. Le monde a certainement besoin de métaux mais pas à n'importe quel prix !
Philippe Chalmin est professeur d'histoire économique à l'université Paris-Dauphine.
CHRONIQUE PHILIPPE CHALMIN
Nickel, cuivre, zinc et même aluminium ont battu pendant l'été 2006 de nouveaux records : certains jours, une véritable frénésie a régné sur le "ring" du London Metal Exchange, la Bourse mondiale des métaux non ferreux. Mais c'est aussi de frénésie que l'on peut parler à propos des manoeuvres, fusions et offres publiques d'achat (OPA) en tout genre qui ont affecté le secteur minier, qui a connu en quelques semaines des bouleversements sans équivalent dans le passé. Une page en particulier s'est tournée avec l'entrée en jeu de nouveaux acteurs brésiliens, russes et demain chinois.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le secteur minier avait connu une première mondialisation épousant plus ou moins la logique des empires coloniaux : les Européens dominaient l'Afrique - les Belges au Katanga, les Anglais en Rhodésie et en Zambie (l'Afrique du Sud étant un cas particulier). En Asie se côtoyaient Britanniques et Néerlandais, tandis que l'Amérique du Sud était la chasse gardée des entreprises américaines, en particulier au Chili. Sept entreprises pour le cuivre, cinq pour l'aluminium, trois pour le nickel, contrôlaient ainsi l'essentiel des ressources du monde occidental.
Ce premier âge d'or des oligopoles miniers s'est terminé avec la vague des indépendances des années 1960, puis des nationalisations des années 1970 : l'exploitation du cuivre fut confiée à des sociétés nationales de manière quasi simultanée au Chili, au Pérou, au Zaïre et en Zambie. De nouvelles entreprises ont fait leur apparition comme la Codelco au Chili ou la Gecamines au Zaïre. Les grands projets miniers lancés au lendemain de la flambée des années 1970 l'ont été dans le cadre public, comme le célèbre gisement de minerai de fer de Carajas au Brésil par la CVRD. Les groupes miniers ont même fait, à l'époque, l'objet de rachats massifs par les entreprises pétrolières comme BP, Shell ou Elf Aquitaine.
Mais cet intérêt n'a guère duré : la chute des prix de la fin du XXe siècle a provoqué un retrait massif des pétroliers. Par ailleurs, les privatisations minières réalisées sous la contrainte de l'endettement massif des pays producteurs n'ont pas non plus suscité beaucoup d'enthousiasme, en particulier en Afrique. La mine n'intéressait guère en ces temps de "nouvelle économie" triomphante. A cette époque, l'investissement minier, relativement limité, s'est donc concentré dans quelques pays sûrs, Canada et surtout Australie. Là se sont reconstitués, à partir notamment du charbon et du fer, quelques groupes - BHP-Billiton, Rio Tinto - qui dominent aujourd'hui la scène mondiale.
La flambée des prix des métaux, à partir de 2003, a changé la donne et a procuré un nouveau lustre à l'industrie minière. Les prix ont tiré les bénéfices et donné des moyens à des entreprises jusque-là dédaignées par les milieux boursiers. Après une phase de consolidation, les choses se sont accélérées à partir de 2005, avec l'arrivée de nouveaux acteurs : des filiales d'entreprises de négoce (le suisse Xstrata lié au premier négociant mondial en énergie et métaux, Glencore), des entreprises de pays émergents (le chilien Codelco, seule entreprise majeure qui soit restée publique, le brésilien CVRD, le mexicain Grupo Mexico), des russes (Norilsk, Rusal) et même des chinois (Min Metals). Résultat à l'été 2006, Xstrata a absorbé le numéro deux mondial du nickel, le canadien Falconbridge ; le numéro un, son compatriote Inco, a non seulement échoué dans sa fusion avec Falconbridge et avec l'américain Phelps Dodge, mais est en passe d'être racheté par CVRD. Le même CVRD, associé, dit-on, avec Xstrata et Rio Tinto, songerait à s'attaquer au sud-africain (basé maintenant à Londres) Anglo-American pour mieux le dépecer. Glencore est allé se rapprocher des deux russes Rusal et Sual pour former le numéro un mondial de l'aluminium. Et pour l'instant, les Chinois attendent...
Ainsi se sont reconstitués les grandes multinationales minières d'antan : Rio Tinto (dont le nom rappelle les eaux rouges des rivières cuprifères espagnoles) et BHP-Billiton, solidement ancrées en Australie, Alcoa et Alcan, les jumeaux de l'aluminium, Xstrata, l'énigmatique émanation d'un négociant chargé de mystère, les groupes Russes, contrôlés par des proches de Vladimir Poutine, qui a remis les ressources naturelles sous le contrôle du Kremlin, et enfin les Latino-Américains, les Chinois et les Indiens, seuls pour l'instant à prendre le risque d'opérer en Afrique.
Le moindre projet minier dépasse aujourd'hui le milliard de dollars. Il est souvent porteur de déséquilibres économiques et sociaux et donc de risques, tant pour les investisseurs que pour les pays concernés. L'historien de l'économie Paul Bairoch rappelait que la mine n'avait jamais été un facteur de développement. Le monde a certainement besoin de métaux mais pas à n'importe quel prix !
Philippe Chalmin est professeur d'histoire économique à l'université Paris-Dauphine.
CHRONIQUE PHILIPPE CHALMIN