09 mars, 2019

POUR COMPRENDRE LA RÉVOLTE DES HAÏTIENS


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MANIFESTANT SAUTANT SUR UNE BARRICADE ENFLAMMÉE
LORS D’UNE ACTION ANTIGOUVERNEMENTALE EN HAÏTI

PHOTO JEANTY JUNIOR AUGUSTIN 
« Le Gouvernement des États-Unis exhorte tous les citoyens, partis politiques et organisations de la société civile à s’exprimer pacifiquement. La violence aggrave l’instabilité et la souffrance du peuple (…).  » Ce n’est bien entendu ni à l’opposition vénézuélienne, en phase insurrectionnelle en 2014 et 2017, ni à celle du Nicaragua, pareillement soulevée en 2018, que l’ambassade des États-Unis a adressé ce message. Ce 15 février 2019, à Port-au-Prince, la déclaration est destinée aux Haïtiens qui, depuis le 7 février, se soulèvent contre le pouvoir dans les principales villes du pays le plus pauvre d’Amérique latine et des Caraïbes. D’ailleurs, pour éviter toute ambiguïté, l’ambassade américaine précise en direction des forces de l’ordre qui mènent la répression : « Nous félicitons la Police nationale haïtienne d’avoir œuvré pour le maintien de la paix et de la stabilité tout en veillant à ce que les citoyens haïtiens exercent le droit de faire entendre leur voix. » Un droit des plus relatifs, pour qui aime pinailler : des chiffres non officiels font alors état d’une dizaine de victimes et d’une centaine de blessés ; deux semaines plus tard, le nombre des morts s’établira à vingt-six, d’après la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH).
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MANIFESTATION CONTRE LE PRÉSIDENT 
HAÏTIEN À PORT-AU-PRINCE,
LE 12 FÉVRIER 2019
PHOTO JEANTY JUNIOR AUGUSTIN 
Déjà, les 6 et 7 juillet 2018, signe d’une crise profonde, deux folles journées d’émeutes avaient jeté dans la rue des dizaines de milliers d’Haïtiens. Inspirée par le Fonds monétaire international (FMI), qualifiée d’ « irresponsable et inopportune » et de « mépris total de la population » par l’économiste Camille Chalmers, secrétaire exécutif de la Plateforme de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda) [1], une hausse allant jusqu’à 50 % des prix des carburants à la pompe venait de provoquer l’embrasement. Pour une multitude vivant avec moins de 2 dollars par jour et, faute de service public digne de ce nom, utilisant le kérosène dans ses foyers, ne serait-ce que pour y faire la cuisine, il s’agissait de la mesure de trop. Car survenant à un moment où déjà s’accumulaient de nombreux motifs d’indignation, dont l’un, particulièrement emblématique : le détournement par la classe dirigeante d’une part importante des 3,8 milliards de dollars du Fonds Petrocaribe, le programme d’aide mis en place par le Venezuela pour financer des projets sociaux [2]. Scandale révélé à l’automne 2017 par un rapport d’une commission du Sénat mettant en cause quinze anciens ministres et hauts fonctionnaires, dont deux ex-chefs du gouvernement. Rapport resté sans suite. D’où l’explosion brutale du mécontentement. Et ces deux jours d’insurrection populaire qui débouchèrent sur la démission du premier ministre Jack Guy Lafontant et le retrait de la mesure contestée sur les carburants.