09 décembre, 2019

BOLIVIE. CAMACHO, UN FASCISTE EN MISSION DIVINE


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LE 4 NOVEMBRE, À SANTA CRUZ. BIBLE EN MAIN, 
LE TRIBUN TRAITE EVO MORALES DE « DICTATEUR ET 
D’IDOLÂTRE QUI A FAIT ENTRER LA PACHAMAMA,
 (TERRE-MÈRE), AU PALAIS ».  DE QUOI HEURTER SA FOI. 
PHOTO DANIEL WALKER/AFP
Candidat à la prochaine présidentielle, cet avocat use de la religion pour asseoir son pouvoir autoritaire. Faute de ne l’avoir jamais emporté dans les urnes. Portrait.
LUIS FERNANDO CAMACHO VACA 
Par Lina Sankari
Bientôt, les supplices par l’eau et le feu. La « nouvelle Bolivie » renoue avec les ordalies, ces procès religieux médiévaux qui, par l’intervention divine, promettaient de conclure à la culpabilité de l’accusé. « Ce n’est pas de la haine, ni du ressentiment, c’est ce que l’on appelle la justice divine, et la justice divine a déclaré que ce qu’il fallait faire sur cette terre devait être fait, et que nous ne pouvons pas laisser impunis ceux qui ont détruit notre pays en quatorze ans », prêche ainsi le candidat d’extrême droite à la prochaine présidentielle (mars 2020), Luis Fernando Camacho. Le 4 octobre, quelques semaines avant le précédent scrutin, il réunissait ses partisans au pied d’un monument dédié au Christ rédempteur afin de les inciter à « punir le tyran par le vote » . Comprendre Evo Morales. C’est en cette place du Christ-Rédempteur que le pape François avait donné une messe sur le thème de la « mission » lors de son déplacement en 2015.


L’incarnation de la bourgeoisie de Santa Cruz


Pour Camacho, « Evo n’est pas seulement un “dictateur”, mais également un “idolâtre” qui a mis la Pachamama (déesse-terre – NDLR) au palais. » De quoi heurter sa foi. Selon le sociologue Julio Cordova, spécialisé dans les mouvements évangéliques, Luis Fernando Camacho, dont l’autorité n’est jamais passée par les urnes, « légitimise sa position autoritaire grâce au discours religieux à la manière de (Jair) Bolsonaro ». Depuis le coup d’État contre le président Evo Morales, cet avocat a pris la tête de l’opposition. Adepte des opérations coups de poing, il avait mené une marche, le 5 novembre, jusqu’au palais présidentiel afin d’obliger le président sortant à signer sa lettre de démission. Après le départ forcé de l’ex-chef de l’État andin au Mexique, l’un des premiers actes politiques de Luis Fernando Camacho fut de déposer la bible sur le drapeau national dans l’enceinte du palais présidentiel. Le même incite ses partisans à brandir des représentations de la Vierge Marie durant les manifestations. L’image tranche radicalement avec celle d’un Morales prêtant serment, en 2006, le poing levé aux sons des «pututu » (cornes des Indiens aymaras), remerciant la Pachamama et rendant hommage à Simon Bolivar, Che Guevara et au résistant anti-espagnol Tupac Katari.

Luis Fernando Camacho est l’incarnation de la bourgeoisie de Santa Cruz, le département dont il est issu, qui prétendait faire sécession en 2008. La région n’a cessé de cultiver son mépris raciste pour les Colla, les Indiens aymaras et quechuas des zones occidentales, et de s’opposer aux nationalisations. «La diabolisation des indigènes est ancrée dans une pensée coloniale qui, sans être dominante en Bolivie, est toujours opérante », souligne le sociologue des religions mexicain Hugo José Suarez.

Fief des grands propriétaires terriens blancs, Santa Cruz possède la majeure partie des gisements de pétrole, de gaz et des terres agricoles fertiles. Selon des statistiques officielles datées de 2016, le département pesait à lui seul 28,9 % du PIB national. Les élites locales n’ont eu de cesse de remettre en cause la légitimité d’Evo Morales depuis sa prise de fonctions en 2006. Leurs revendications autonomistes avaient alors obtenu l’agrément discret mais certain de l’ambassadeur des États-Unis, depuis expulsé, et qui fut en poste en Yougoslavie avant la dislocation du pays. À l’issue des élections d’octobre, Santa Cruz fut d’ailleurs l’un des épicentres de la sédition d’une partie des forces de police. C’est également là que les manifestants de droite s’en sont pris à la maire de Vinto, Patricia Arce (Mouvement vers le socialisme), la sortant de force de son bureau, avant de mettre le feu au bâtiment, de briser toutes les ­fenêtres et de lui couper les cheveux. Elle avait dû marcher, plusieurs kilomètres durant, pieds nus, peinte en rouge. L’humiliation en place publique.

Il est vice-président d’un mouvement paramilitaire raciste

Président du comité pro-Santa Cruz depuis 2017, une organisation qui lie commerçants, chefs d’entreprise et société conservatrice, Luis Fernando Camacho est également un entrepreneur de 40 ans qui a fait ses armes au sein de l’Union des jeunes crucénistes, un mouvement paramilitaire raciste qui revendique 20 000 miltants, et dont il fut vice-président. Né avec une cuillère en argent dans la bouche, il hérite des diverses entreprises et de l’immense fortune de son père dans la distribution du gaz. Des sommes ­colossales qu’il fait parfois fructifier en toute illégalité : son nom est cité dans le scandale de fraude fiscale mondial des Panama Papers. Les combats du fils héritier dépassent d’ailleurs largement le cadre national. Après le départ d’Evo Morales, Luis Fernando Camacho se sent pousser des ailes et promet : « La Bolivie va être l’espoir de toute l’Amérique latine. Le communisme, c’est fini ! Nous aurons la liberté et la ­démocratie. Nous, Boliviens, allons reprendre le combat pour que le Venezuela retrouve sa dignité, ainsi que tous les pays qui ont été humiliés. »

Luis Fernando Camacho est également un machiste assumé. « Macho Camacho », comme il est parfois surnommé, a suscité de vives réactions des organisations féministes qui qualifient, à l’instar d’Adriana Guzman du mouvement d’Abya Yala, « le coup d’État en Bolivie (de) ­raciste, patriarcal, ecclésiastique et économique ». Dernière référence de Camacho : le baron de la drogue colombien, Pablo Escobar, dont il loue les méthodes et qui avait, en son temps, formé une unité de tueurs spécialisés.
Lina Sankari



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