11 mai, 2021

AU CHILI, LE PRÉSIDENT SEBASTIAN PIÑERA DANS LA TOURMENTE AVANT DES ÉLECTIONS HISTORIQUES

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DESSIN DE PANCHO CAJAS 
Les Chiliens doivent désigner les citoyens chargés de rédiger une nouvelle Constitution les 15 et 16 mai, dans un climat politique empli de défiance. Le président de droite est crédité de 9 % de taux d’approbation. 
DESSIN DE PANCHO CAJAS
Son impopularité ne faisait pas de doute. Mais la dernière enquête du Centre d’études publiques (CEP), qui prend le pouls de l’opinion chilienne, a confirmé, fin avril, la profonde défiance envers le président Sebastian Piñera (droite), crédité de 9 % de taux d’approbation seulement, au moment où le pays s’apprête à se rendre aux urnes pour des élections historiques, les 15 et 16 mai. Les Chiliens doivent désigner les citoyens chargés de rédiger la nouvelle Constitution du pays, principal aboutissement du mouvement social d’octobre 2019 qui réclamait l’enterrement d’une « Carta Magna » héritée de la dictature (1973-1990). Celle-ci est accusée de sanctuariser les bases libérales du pays qui, selon les acteurs de la révolte et l’opposition, sont une fabrique à inégalités.

Le rejet du président de droite, que la crise sanitaire n’a fait que renforcer, peut-il favoriser la gauche, elle-même atomisée ? Rien n’est moins sûr, « car il y a un problème systémique de crise de la représentation politique. Le résultat est donc totalement ouvert », observe Carmen Le Foulon, politiste au sein du CEP. Selon l’enquête qu’elle a pilotée, les partis politiques glanent à peine 2 % de taux de confiance. Inédite, la campagne pour l’élection constituante a vu émerger de nombreux candidats indépendants – près de huit noms sur dix – pour un scrutin qui établit la parité et réserve 17 des 155 sièges aux membres des populations autochtones – des règles sans précédent.

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PROPAGANDE ÉLECTORALE

« N'AYEZ PAS PEUR » 

« Il peut y avoir des surprises », corrobore Sergio Toro, politiste et enseignant à l’université de Concepción (centre du Chili), qui a passé au tamis le profil des électeurs du référendum d’octobre 2020, lors duquel les habitants, à 79 %, ont acté l’écriture d’une nouvelle Constitution. « Beaucoup plus de jeunes ont voté, comparé à l’élection présidentielle de 2017. Vers qui cette nouvelle masse électorale va-t-elle se tourner ? », s’interroge-t-il. Les rapports de force qui émergeront de l’élection seront d’autant plus significatifs qu’une majorité des deux tiers s’avère nécessaire pour approuver les articles de la Constitution.

Les 15 et 16 mai, les Chiliens doivent également choisir leurs maires, conseillers municipaux et gouverneurs. « Les élections municipales sont aussi très importantes, parce qu’elles servent traditionnellement de baromètre à la présidentielle », signale Carmen Le Foulon, en référence au scrutin du 21 novembre 2021, autre rendez-vous de ce calendrier électoral chargé.

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PROPAGANDE ÉLECTORALE

CANDIDATOS Y CANDIDATAS A CONSTITUYENTES 
LISTA CHILE DIGNO, VERDE Y SOBERANO
Des violations des droits humains

D’ici là, le temps semble long pour Sebastian Piñera, qui ne cesse d’essuyer les revers. En avril, le Parlement a voté un troisième retrait de 10 % des fonds de pension, à capitalisation privée, un système de retraite honni par la majorité des Chiliens. Ce prélèvement vise à financer l’urgence sociale alors que l’opposition reproche au gouvernement d’avoir manqué de vigueur dans les aides déployées. Le président était fermement opposé à ce nouveau retrait, qui, signe de sa grande fragilité, a pourtant été défendu par des parlementaires de sa propre majorité. « Il ne parvient pas à maintenir l’ordre au sein de sa propre coalition, qui ne souhaite pas être entraînée par son taux de désapprobation », note Carmen Le Foulon. Autres votes hautement symboliques : les députés ont approuvé un impôt sur les ventes du cuivre, secteur moteur de l’économie chilienne. Le gouvernement de Sebastian Piñera s’y était également opposé. Un projet d’impôt sur les très grands patrimoines fait son chemin au Parlement. La fortune du président est concernée.

En parallèle, Sebastian Piñera a été accusé par quatre associations de droits humains, devant la Cour pénale internationale, de crimes contre l’humanité. Les ONG pointent du doigt « les attaques généralisées et systématiques envers la population civile », commises à partir de la révolte sociale de 2019, à l’origine d’une trentaine de morts et de milliers de blessés, selon les organisations. Au moment même où les rues de Santiago et de différentes villes du pays s’emplissaient des slogans rejetant le gouvernement de Sebastian Piñera, diverses institutions, dont l’ONU, fustigeaient les violations des droits humains et l’usage excessif de la force de la part de la police.

La pandémie et le confinement ont eu raison de la mobilisation, alors même que, début mars 2020, celle-ci s’emparait de nouveau de la capitale. Avec des services hospitaliers qui ont frôlé la saturation et plus de 27 000 morts liés au SARS-CoV-2 (pour une population de 19 millions d’habitants), Sebastian Piñera a été accusé d’une gestion erratique de la pandémie. Face à la recrudescence des contaminations, quasiment tout le pays a dû se reconfiner fin mars, pendant plus d’un mois, et les élections prévues les 10 et 11 avril ont été repoussées, ajoutant à la lassitude des Chiliens. Succès incontesté du gouvernement, néanmoins : la campagne vaccinale, saluée pour son efficacité et sa rapidité à l’international. Mais rien ne semble redorer l’image présidentielle. « Sa légitimité est si basse que ce qui pourrait apparaître comme un triomphe à l’étranger ne se vérifie pas localement », décrypte Sergio Toro.

« Evidemment, nous avons commis des erreurs », a admis le président dans un récent entretien au quotidien britannique Financial Times. Fidèle à son style inflexible, il a aussi déclaré : « On n’est pas là pour se plaindre ou pleurer au sujet de ce qui ne peut être changé (…). On est là pour affronter l’adversité, la dépasser et avancer. » Affaibli, isolé, le président ne joue pas sa réélection, interdite par la Constitution pour un chef d’État en fonction, mais il lui reste à sauver sa coalition.