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PHOTO SOFIA YANJARI
Samedi 15 et dimanche 16 mai, les Chiliens votent pour l’élection de 155 délégués qui seront chargés de rédiger une Constitution totalement nouvelle, de A à Z. Un travail qui durera un an. Mais cet exemple historique permettra-t-il à lui seul de résorber les fractures dans un pays en pleine tourmente politique et sociale ? Un décryptage publié par El País América.
DESSIN LAUZAN |
Le Chili est traversé de convulsions multiples. Le Congrès – députés et sénateurs – est des plus divisé, et les partis politiques, loin de s’attacher à résoudre le problème, présentent au moins 16 candidats à la présidentielle, prévue en novembre prochain.
Par ailleurs, ces samedi 15 et dimanche 16 mai auront lieu les élections constituantes, qui doivent désigner les 155 rédacteurs de la nouvelle Constitution chilienne, la première depuis la dictature d’Augusto Pinochet, de 1973 à 1990 [lire encadré ci-dessous].
Un président sans majorité
Trente et un ans après le retour à la démocratie, le pays vit un moment historique, alors même qu’il vole en éclats et que personne ne s’accorde sur les causes précises de la déflagration, pas plus qu’on ne sait si la solution constitutionnelle saura mettre fin au chaos.
De son côté, le gouvernement conservateur du président Sebastián Piñera s’agite en tous sens pour éviter de sombrer. Privé de majorité parlementaire, l’exécutif s’est révélé incapable de sortir de la crise qui a éclaté en octobre 2019, quand des mouvements sociaux, sans meneurs clairs, l’ont envoyé dans les cordes.
Une bonne partie de l’opposition a beau vouloir sa destitution, aucune personnalité ne sort du lot, ni à droite ni à gauche, faute de renouvellement.
Absence de consensus
“La lecture de l’histoire est atomisée au Chili”, juge Ascanio Cavallo, journaliste politique et auteur de plusieurs travaux essentiels sur le passé récent de ce pays de près de 19 millions d’habitants. Il existe des interprétations très divergentes du mouvement de 2019, tout comme des premiers gouvernements de la démocratie, et même de la dictature, relève l’auteur de La historia oculta de la transición [“L’Histoire cachée de la transition”, non traduit en français].
« Il n’y a même pas consensus sur la façon de qualifier l’explosion sociale d’il y a deux ans. Certains parlent d’accès de violence, d’autres de prérévolution. S’il n’y a pas de mots pour décrire ce qui s’est passé, c’est parce qu’il n’y a pas encore de vraie compréhension de l’événement. »
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La mobilisation sociale de 2019 a reçu un coup d’arrêt avec la pandémie. Comme toute la planète ou presque, cela s’est traduit dans le pays par une crise sanitaire et économique, mais avec en plus, au Chili, une crise politique et sociale antérieure au Covid-19. La pandémie a éclaté dans un pays au gouvernement affaibli. Or, la défiance des Chiliens ne se porte pas que sur leur exécutif, elle touche l’ensemble des partis politiques, le Congrès et toutes les institutions de l’État.
“Une nouvelle pauvreté”
Pour l’historienne Sol Serrano, la promesse de prospérité qu’ont fait naître la transition et les gouvernements de centre gauche (1990-2010) n’a cependant pas été qu’un mirage. Ces trois décennies, explique-t-elle, ont été marquées au Chili par une modernisation très rapide et de nombreux changements:
« Une société ouverte s’est fait jour, avec un meilleur accès à la consommation et aux ressources en général et un recul considérable de la pauvreté. Par ailleurs, le Chili fait partie des pays où l’accès à l’enseignement supérieur a progressé le plus rapidement. Mais il y a eu aussi l’apparition d’une nouvelle pauvreté, plus hétérogène. »
Ils sont nombreux à tenter d’analyser cette crise multiplie que vit le Chili. Le sociologue Rodrigo Márquez fut parmi les initiateurs du Rapport sur le développement humain que publie le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), et qui, depuis 1998 au moins, tire la sonnette d’alarme face au mal-être chilien :
« C’est de là que date une montée des revendications, dans cette société qui n’offrait pas les conditions de sécurité fondamentales à sa population. Une société qui permettait de progresser et de se faire une vie meilleure que ses parents et ses grands-parents, mais à un coût tout à fait exorbitant. »
Après avoir longtemps couvé, ce mécontentement a explosé en 2019 dans les révoltes, analyse-t-il. Ce n’est pas le niveau d’angoisse qui a monté, c’est le seuil de tolérance qui a baissé : “Certaines choses sont devenues inacceptables. Le malaise diffus est devenu bien tangible, sous l’effet des injustices et des inégalités.”
Le référendum d’octobre 2020
Pour Rodrigo Márquez, les Chiliens lambda ne sont pas divisés, pour la bonne raison que “cela fait longtemps qu’ils sont très majoritairement, et de façon constante, dans une posture de revendication”, ainsi que l’ont montré à son avis les résultats du référendum d’octobre 2020 : 8 Chiliens sur 10 [avec cependant 49% d’abstentionnistes] ont voté pour la rédaction d’un nouveau texte qui enterrera la Constitution de 1980, rédigée sous la dictature :
« Le clivage est donc entre une société qui appelle au changement d’une part, et de l’autre des puissants qui gouvernent pour leurs propres intérêts et font semblant de ne pas entendre. »
“Une classe moyenne à bout”
Cette polarisation n’est pas nouvelle, juge Guillermo Calderón, dramaturge, dont l’œuvre reconnue est ancrée dans l’histoire contemporaine : “C’est l’expression politique de la ségrégation de l’éducation, de la santé, des villes…” La crispation ne l’étonne pas, et sa visibilité ne le dérange pas :
« Longtemps, le projet chilien tout entier s’est fondé sur une sorte de collaboration entre les élites économiques, censées mener le pays vers le développement, et le reste du pays, censé attendre que cette réussite rejaillisse un jour sur lui. »
L’anthropologue Pablo Ortúzar voit quant à lui “une classe moyenne à bout”, des “politiques, des milieux d’affaires et des responsables religieux marqués au fer par la corruption et l’iniquité” et des “classes supérieures en pleine guerre civile”. Selon ce chercheur à l’Instituto de Estudios de la Sociedad (IES) :
« Les avancées pragmatiques dont la classe moyenne aurait besoin (la construction et la consolidation, petit à petit, d’un État social plus protecteur) sont bloquées en haut par le délire et la furie des groupes dominants, quel que soit leur bord. »
Dans la rue, le feu de la contestation brûle toujours. La violence est de nouveau montée d’un cran au Chili quand, le 20 avril, Sebastián Piñera a annoncé la saisie du Tribunal constitutionnel pour empêcher une réforme adoptée par le Congrès autorisant les Chiliens à puiser dans leur épargne retraite [privée, gérée par des fonds de pension]. Une mesure populaire car, en pleine pandémie, les aides ne sont pas arrivées, dénoncent les critiques du gouvernement. [Le Tribunal constitutionnel a finalement rejeté le recours, désavouant le président].
Rocío Montes
DANIEL JADUE CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE DU CHILI |
Un scrutin inédit
Avec un vote étalé sur deux jours, les 15 et 16 mai, les Chiliens vont pouvoir élire directement leurs délégués à la future Assemblée constituante. Un scrutin unique, sans doute exemplaire dans l’histoire contemporaine mondiale. De multiples coalitions de partis et formations indépendantes se présentent sur 28 circonscriptions électorales. Pour 155 futurs constituants, plus de 1 400 candidats se présentent à la proportionnelle intégrale dans ces circonscriptions. L’une des obligations des listes est de respecter strictement la parité hommes-femmes. En outre, selon le site El Mostrador, qui reprenait un institut d’enquêtes, près de trois quarts des candidats (même ceux inclus dans les coalitions de partis) n’ont jamais exercé de fonctions politiques, voire administratives : “Depuis le soulèvement social [de 2019], les citoyens exigent que ce ne soient pas ‘ceux de toujours’” qui élaborent la nouvelle Constitution. L’Assemblée constituante aura un an pour rendre son texte, qui devra être approuvé ensuite par référendum. La dernière Constitution (1980) remontait à la dictature de Pinochet, même si elle a été maintes fois réformée depuis. Mais les manifestants de 2019 – aux slogans dispersés – réclamaient d’y inclure, notamment, plus d’égalité et de justice sociale.
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«NOUVELLE CONSTITUTION» DESSIN CAIOZZAMA |
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