22 juillet, 2023

GABRIEL BORIC, PRÉSIDENT DU CHILI : « LA CHINE OFFRE DES OPPORTUNITÉS À PARTIR DU MOMENT OÙ NOUS N’EN DEVENONS PAS DÉPENDANTS »

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LE PRÉSIDENT FRANÇAIS, EMMANUEL MACRON, ACCUEILLE SON
HOMOLOGUE CHILIEN, GABRIEL BORIC, À L’ELYSÉE, À PARIS,
LE 21 JUILLET 2023.
PHOTO CYRIL BITTON / DIVERGENCE

De passage à Paris après une tournée en Europe, il a aussi évoqué, dans un entretien au « Monde », ses craintes de la montée de l’extrême droite dans son pays. / Le président chilien, Gabriel Boric (gauche), a conclu à Paris, vendredi 21 juillet, sa première tournée européenne, qui l’a mené à Madrid et à Bruxelles.

Propos recueillis par Angeline Montoya

Temps de Lecture 7 min.

Quel est le bilan de votre visite ?

Il est très positif. Je suis fier de constater la forte valorisation du Chili à l’étranger. Notre pays fait entendre sa voix dans le débat géopolitique mondial et, face à la transition énergétique et dans la lutte contre la crise climatique, il joue un rôle important. Concernant mon entretien avec Emmanuel Macron, nous avons eu une conversation notamment sur les valeurs que nous partageons et sur la manière dont nous pouvons chacun lutter depuis nos espaces respectifs pour faire triompher les valeurs de la démocratie et des droits humains.

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À Bruxelles, vous avez signé un accord de coopération avec l’Union européenne autour du lithium et d’autres matières premières.

Il s’agit d’un accord concernant la production de minéraux critiques, pas seulement leur exploitation, mais également la création de chaînes de valeur et le transfert de technologies. Nous ne sommes pas venus en Europe juste pour vendre des cailloux. Le Chili a la chance de posséder certains minéraux ou certaines énergies importantes pour le monde d’aujourd’hui : le vent, le soleil, le lithium, le cuivre. Mais nous avons aussi des connaissances, de la technologie, des professionnels, et nous voulons leur donner de la valeur. Et l’accord que nous avons signé reconnaît le Chili comme un partenaire à part entière. L’idée est aussi de sortir du modèle purement « extractiviste » des matières premières.

Pensez-vous, comme votre homologue colombien, Gustavo Petro, que les pays du Nord ont une responsabilité envers les pays du Sud du fait des émissions de gaz à effet de serre ?

Il ne devrait même pas y avoir de discussion à ce sujet. Les pays du Nord sont ceux qui ont le plus pollué, et ont donc une plus grande responsabilité. Mais aujourd’hui, nous devons tous faire partie de la solution. Personne ne sera sauvé sans les autres. Donc la réponse des pays du Sud ne peut pas être : à présent nous allons faire la même chose que vous. Nous devons également nous fixer des normes élevées en matière de transition. C’est pourquoi, au Chili, nous avons adopté une loi visant à être neutre en carbone d’ici à 2050 et nous espérons y parvenir avant cela.

L’influence que la Chine peut avoir en Amérique latine suscite des inquiétudes chez les Européens et les Américains. La Chine offre-t-elle des perspectives ou représente-t-elle un risque pour le Chili?

Elle offre des opportunités à partir du moment où nous n’en devenons pas dépendants. La Chine est le principal partenaire commercial de presque toute l’Amérique latine. Il est de notre intérêt de diversifier notre économie et de ne pas dépendre d’un seul pays. À cet égard, je pense que l’Europe est un partenaire-clé, précisément en raison des valeurs que nous partageons. Cependant les Chinois n’essaient pas de nous acheter et ne cherchent pas à exercer une hégémonie absolue. Ils progressent dans la mesure où ils voient de l’espace pour avancer.

Le 11 septembre marquera le 50ème anniversaire du coup d’Etat au Chili. Après le rejet, en septembre 2022, du premier projet de réécriture de la Constitution héritée d’Augusto Pinochet, le Conseil chargé d’élaborer un nouveau texte est dominé par l’extrême droite. Dans ce contexte, comment abordez-vous cette commémoration ?

Comme une chance. Au Chili, il y a une plaie ouverte qui ne peut être ignorée. En parler contribue d’une manière ou d’une autre à la guérir. Il peut y avoir différentes interprétations sur la raison pour laquelle le premier projet a échoué. Mais il faut parvenir à un consensus pour dire que ce qui s’est passé en 1973 ne peut pas se reproduire, que rien ne justifie de violer les droits humains de ceux qui pensent différemment. Je crois donc que cette commémoration est l’occasion de réfléchir à la manière de renforcer la démocratie alors qu’aujourd’hui, pour des raisons autres que celles d’il y a cinquante ans, elle est également menacée.

Vous avez lancé un plan de recherche des disparus de la dictature. Y a-t-il un consensus au Chili sur ce sujet ?

Prendre position à ce sujet devrait intéresser tous ceux qui croient en la démocratie et au respect des droits humains. D’un autre côté, nous sommes confrontés à une difficulté inexorable, celle du temps. L’Etat doit faire un plus grand effort, avant que tous les protagonistes de cette époque ne finissent par mourir, pour découvrir la vérité sur les personnes disparues, mais aussi pour obtenir justice concernant ce qui s’est passé.

Comment vivez-vous la montée de l’extrême droite au Chili ?

La politique évolue en cycles longs. Je ne pense pas que nous devons vivre dans l’angoisse du présent. Nous devons nous interroger non seulement sur la montée de l’extrême droite, mais aussi sur les raisons pour lesquelles certaines idées issues de l’extrême droite ont du sens pour des fractions importantes de la population. Quelles sont ces peurs que, depuis le progressisme, nous n’avons pas été en mesure de canaliser, de résoudre ? Comment pouvons-nous faire de la démocratie un outil utile pour ces personnes également, et pas seulement une discussion d’élite 

Comment expliquez-vous l’échec de la première tentative de réécriture de la Constitution ?

Ça a été une défaite. Mais je ne dirais pas que ce fut un échec. Nous avons vécu une expérience civique très importante en tant que société. Le rejet s’est produit parce que les secteurs que nous représentons se sont éloignés du bon sens de la majorité de la population, ce qui a été une erreur. Il est possible d’inverser la tendance, mais cela nécessite d’abord une autocritique importante, plutôt que de blâmer l’adversaire.

Comment définiriez-vous la nouvelle gauche latino-américaine que vous incarnez avec Gustavo Petro ?

C’est un projet politique qui, tout en recherchant et en œuvrant pour une meilleure répartition de la richesse et du pouvoir, en approfondissant la démocratie, intègre des questions qui, au XXème siècle, n’étaient pas fondamentales, telles que l’égalité des sexes ou la lutte contre la crise climatique.

Votre gouvernement affronte de grandes difficultés depuis votre entrée en fonction en mars 2022. Le Congrès a rejeté la réforme fiscale que vous souhaitiez pour mener à bien vos autres réformes. Quelle est votre stratégie pour l’obtenir ?

Cette réforme fiscale est indispensable. Si nous voulons financer des dépenses sociales plus importantes, nous avons besoin de recettes plus élevées, en plus d’une plus grande efficacité des dépenses publiques. J’espère que la droite et les grandes entreprises vont se rendre compte que le malaise qui s’est manifesté en 2019 [lors de la révolte populaire] est toujours latent et que, si nous ne sommes pas en mesure de garantir aux citoyens des droits sociaux universels qui ne dépendent pas de la logique du marché, ce malaise va à nouveau exploser. Améliorer les conditions de vie de la majorité de la population et mieux répartir les richesses est un devoir.

Votre gouvernement est touché par des scandales de détournement de fonds. Comment comptez-vous convaincre de la nécessité d’augmenter les impôts ?

Utiliser ces faits inacceptables comme excuse pour ne pas répartir les richesses de la meilleure façon possible au Chili, cela relève plus de l’opportunisme que d’un débat raisonné. Les cas de corruption ou d’utilisation abusive de ressources publiques doivent être traités en toute transparence. Les responsables doivent être punis politiquement et pénalement. Qu’il n’y ait aucun doute à ce sujet. Mais la nécessité d’augmenter et d’améliorer la manière dont on dépense les impôts reste une réalité, indépendamment de ces scandales.

Vous attendiez beaucoup de la nouvelle Constitution et on vous reproche d’avoir perdu un an dans l’attente de son approbation. Est-ce votre sentiment ?

On ne peut pas dire que nous n’avons rien fait en un an ! Nous avons rendu l’ensemble du système de santé public gratuit, obtenu l’augmentation la plus significative du salaire minimum depuis des décennies – 21 % –, réduit le temps de travail hebdomadaire à 40 heures. Et tout cela, grâce à un dialogue entre les travailleurs et les employeurs, et pas seulement les grands entrepreneurs, mais également les petites et moyennes entreprises.

En tant que candidat, vous appeliez à la régularisation des migrants et vous critiquiez les expulsions. Or, vous menez une politique bien différente aujourd’hui et vous avez militarisé la frontière nord.

Je suis convaincu que nous devons aborder la question de la migration du point de vue des droits humains. Nous parlons de personnes désespérées qui fuient leur pays à la recherche d’une vie meilleure. Mais il faut une migration réglementée. Et peut-être l’avons-nous effectivement constaté d’une manière plus concrète depuis que nous sommes au gouvernement. Aujourd’hui, il y a environ 700 000 Vénézuéliens et 190 000 Haïtiens au Chili, un pays de 19 millions d’habitants. Cela génère un impact non négligeable. Nous devons être en mesure de les accueillir correctement. Dans les cas de migrants qui n’ont commis aucun délit, nous venons d’introduire une nouvelle politique d’immigration pour les régulariser.

Dans le Sud, où sévit le conflit autour des autochtones mapuche, vous avez prolongé l’état d’exception et déployé les soldats alors que vous vous disiez, là encore, contre la militarisation…

Le devoir de l’Etat est de garantir la sécurité de tous ses habitants. Malheureusement, certains groupes minoritaires mènent des attaques inacceptables mettant la vie de personnes en danger. C’est intolérable. Mais tout cela est la conséquence d’un problème historique dans les relations entre l’Etat chilien et le peuple mapuche. Nous venons donc de lancer une commission pour la paix et l’entente afin de pouvoir aborder les revendications territoriales des Mapuche depuis une perspective historique. D’un autre côté, nous avons lancé un plan d’investissement dans la région. C’est par ces trois étapes – sécurité certes, mais aussi dette historique et investissements – que nous pourrons résoudre le problème.

Vous condamnez ouvertement l’invasion russe en Ukraine, les violations des droits humains au Venezuela ou au Nicaragua. Des positions très différentes de celles de certains de vos homologues latino-américains de gauche.

En mai, il y a eu un sommet de pays sud-américains à Brasilia, au cours duquel le président brésilien, Lula, fort de son leadership et de son expérience, nous a appelés à agir ensemble sur la scène internationale. Et cela me semble souhaitable et possible. En ce qui concerne nos différences, cela ne nous empêche en aucun cas de continuer à travailler ensemble dans d’autres domaines de l’intégration. Mais après avoir vécu une dictature cruelle, meurtrière et illégitime, nous ne pouvons pas rester silencieux face à des violations des droits humains, quel que soit le gouvernement qui les viole.

Angeline Montoya


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