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Géopolitique. Entre l’UE et l’Amérique latine, le sommet de la discorde ? / Pour la première fois depuis 2015, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne vont rencontrer, lundi 17 et mardi 18 juillet, leurs homologues de la Communauté des États latino-américains et caraïbes, qui regroupe trente-trois pays. Ce “méga-sommet” a lieu alors que les deux régions s’éloignent de plus en plus.
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Le grand sommet, qui débute ce lundi 17 juillet à Bruxelles, entre les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (UE) et leurs trente-trois homologues de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac) était déjà mal parti, avant même l’ouverture des débats.
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Invité personnellement par le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, qui assume depuis le 1er juillet la présidence tournante de l’UE, le chef d’État ukrainien, Volodymyr Zelensky, ne sera finalement pas présent à Bruxelles.
Certains pays d’outre-Atlantique ont refusé sa présence, comme l’a révélé récemment Euractiv, sans préciser lesquels. Le site d’information consacré aux affaires européennes ajoute, citant un diplomate de l’UE, que “les États d’Amérique latine ont supprimé tout ce qui concernait l’Ukraine” dans le brouillon de communiqué final.
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LA PRÉSIDENTE DE LA COMMISION EUROPÉENNE URSULA VON DER LEYEN REÇOIT LE PRÉSIDENT BRÉSILIEN LUIZ INACIO LULA DA SILVA À BRUXELLES LE 17 JUILLET 2023 PHOTO JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN |
L’UE CHERCHE À DÉVELOPPER SES ÉCHANGES AVEC LES PAYS D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES
Les deux blocs se réunissent lors d’un sommet à Bruxelles, lundi et mardi, dans le but de renforcer leurs accords commerciaux. / Ils seront quasiment tous présents. Près de trente des trente-trois dirigeants de la Communauté des Etats de l’Amérique latine et des Caraïbes (Celac) se réunissent à Bruxelles, lundi 17 et mardi 18 juillet, à l’occasion d’un sommet avec l’Union européenne, le premier depuis 2015. Pour l’exécutif communautaire et l’actuelle présidence espagnole de l’UE, avoir réussi à convaincre tous ces chefs d’Etat et de gouvernement, notamment le président brésilien, Lula – mais pas le président mexicain, Lopez Obrador, dont le pays est la deuxième économie de la zone –, de rallier la capitale européenne, constitue un petit succès. L’objectif de cette rencontre à haut niveau est relativement simple, détaille-t-on, tant à Bruxelles qu’à Paris : il faut relancer la relation entre les deux parties du monde.
Par Philippe Jacqué (Bruxelles, bureau européen) et Angeline Montoya
LE PRÉSIDENT DE CUBA, MIGUEL DÍAZ-CANEL, EST ARRIVÉ À BRUXELLES, 16 JUILLET PHOTO PRENSA LATINA |
«Renforcer notre partenariat avec cette région est un impératif stratégique, juge Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne et l’une des chevilles ouvrières de ce sommet. Nous sommes parmi les régions du monde les plus alignées en matière d’intérêts et de valeurs. » Au-delà, l’Europe espère bien approfondir les liens économiques et commerciaux mutuels, afin de diversifier ses approvisionnements, notamment en matériaux critiques, pour sortir de sa dépendance à la Chine.
Rien n’a cependant été facile pour s’entendre entre les deux régions. D’abord du fait du format de cette rencontre. Sans secrétariat, la Celac est dotée d’une présidence tournante, démunie de moyens. Saint-Vincent-et-les-Grenadines a été chargé de la négociation de la déclaration finale avec Bruxelles. « Un calvaire, glisse un des négociateurs. Chaque pays glisse sa proposition, sans filtre, cela donne des discussions à n’en plus finir. »
D’autant que les sujets de crispation entre les deux continents sont nombreux. Il y a d’abord et avant tout la question de la guerre en Ukraine. Si les Européens plaidaient pour inclure dans la déclaration finale une condamnation du conflit déclenché par la Russie, les Etats sud-américains restaient plus divisés. La plupart de ces pays ont certes voté en faveur d’une résolution aux Nations unies condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, mais ils ne veulent pas aller plus loin. A leurs yeux, il s’agit d’une guerre européenne avant tout.
« La position latino-américaine est qu’il doit y avoir un accord de paix parce que la hausse des prix des denrées alimentaires génère des souffrances croissantes, confiait récemment à El Pais Gustavo Petro, le président colombien. Nous ne sommes pas intéressés par la poursuite de cette guerre. Le discours qui consiste à s’opposer à certaines invasions et pas à d’autres ne nous semble pas franc, d’autant que ceux-là mêmes qui rejettent ces invasions ont mené des invasions contre d’autres pays. »
Concentrés sur l’économie
Au sein de la Celac, des soutiens ouverts à la Russie existent, à l’instar du Nicaragua, de Cuba ou du Venezuela, pour lesquels le lien avec le régime de Vladimir Poutine est existentiel et la condamnation de l’invasion de l’Ukraine par Moscou inenvisageable. D’autres pays, comme l’Uruguay, le Chili et le Costa Rica, condamnent les agissements de la Russie, mais ils préfèrent rester discrets. Pour inciter leurs interlocuteurs à faire des concessions sur ce sujet, les Européens se sont engagés à faire mention des crimes commis pendant l’esclavage et de la nécessité d’une réparation des victimes, une demande récurrente de la Celac.
Les dirigeants des deux blocs seront cependant davantage concentrés sur l’économie, alors que leurs échanges ont augmenté de 40 % au cours des cinq dernières années. L’Europe est prête à mobiliser 10 milliards d’euros pour la région, dans le cadre de sa politique dite « Global Gateway ». Quelque 108 projets de développement sont dans les tuyaux, afin d’améliorer à la fois les infrastructures, les transitions verte et numérique. Malgré le discours volontariste de la Commission et de l’Espagne, peu de progrès sont toutefois attendus en matière d’accords commerciaux. La mise à jour d’un traité entre le Chili et l’UE est en cours et pourrait être validée dans l’année.
En revanche, les accords avec le Mexique ou le Mercosur sont au point mort. Le premier bloque sur la réglementation de l’énergie et fait l’objet de négociations complexes. Pour le second, son avenir pourrait se jouer à Bruxelles. Les Européens ont ajouté, cette année, une clause sur le respect de l’accord de Paris sur le climat et les réglementations environnementales, qui déplaît foncièrement aux quatre pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay).
« La France bloque toujours »
Pour le Brésil, un accord, même au rabais, permettrait de sauver cette zone de libre-échange, car, sans accord avec l’UE, plus de bloc commercial en Amérique du Sud. L’Uruguay fait, en effet, l’objet d’approches de la Chine pour un traité bilatéral de libre-échange. « Certains dirigeants latino-américains, comme Lula, défendent cet accord avec l’objectif d’éviter d’être pris en tenaille entre les Etats-Unis et la Chine », analyse Gaspard Estrada, de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes de Sciences Po.
En Europe, l’Autriche, la Pologne et surtout la France s’opposent à ce traité poussé par l’Espagne ou l’Allemagne. « Après vingt ans, la France bloque toujours. Si l’on veut que l’UE devienne un acteur géostratégique, l’un des premiers instruments nécessaires, c’est bien ce type d’accord commercial », peste un diplomate européen. Contrairement à l’Allemagne ou à l’Espagne, qui dispose quant à elle d’une stratégie claire pour la région, « la France peine à en avoir une, poursuit-il. Elle est très opportuniste. Elle va se mobiliser sur la résolution de certaines crises au Venezuela ou en Haïti, mais pas sur des dossiers structurants. On a besoin de la France, mais elle n’est pas là ».
Depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron ne s’est jamais rendu en Amérique latine. L’Elysée assure cependant que « le président de la République est totalement disposé à se rendre dans la région. Ce n’est plus qu’une question d’agenda ». Au-delà, l’entourage du président de la République estime qu’« à titre national nous avons des dialogues bilatéraux avec les pays de la région, notamment le Mexique, le Brésil, la Colombie et l’Argentine ».
Par Philippe Jacqué (Bruxelles, bureau européen) et Angeline Montoya
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