06 juillet, 2023

L’AMÉRIQUE LATINE REPOUSSE L’UKRAINE DE L’ORDRE DU JOUR D’UN SOMMET AVEC L’UE

    [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

DESSIN LO COLE

Les pays d’Amérique centrale et latine ont repoussé les tentatives de l’UE visant à obtenir le soutien du continent pour l’Ukraine et ont appelé à des réparations coloniales dans une contre-proposition de projet de déclaration du prochain sommet avec l’UE, consulté par EURACTIV.

Édité par Anne-Sophie Gayet

ILLUSTRATION BSI

Les chefs d’État et de gouvernement de 33 membres de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) devraient se rendre à Bruxelles les 17 et 18 juillet prochains pour un sommet avec leurs homologues de l’Union européenne.

► À lire aussi  :   UKRAINE, POURQUOI LA CRISE

En amont de ce sommet historique, les pays de la CELAC ont envoyé une contre-proposition de 21 pages au projet de texte que les États membres de l’UE leur avaient envoyé le mois dernier, datée du 4 juillet et consultée par EURACTIV.

Le soutien à l’Ukraine

Le texte initial de la déclaration proposé par l’UE comprenait plusieurs paragraphes sur le soutien à l’Ukraine, faisant référence aux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU, ont déclaré trois personnes au fait de la question.

« Le texte sur l’Ukraine était très équilibré », a affirmé un diplomate européen à EURACTIV. « Il n’y a rien de spécial dans ce que nous leur avons envoyé », a ajouté un second diplomate de l’UE.

Toutefois, les États d’Amérique latine « ont supprimé tout ce qui concernait l’Ukraine », a déploré un troisième diplomate de l’Union après avoir vu la contre-proposition.

Depuis le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, les Européens soutiennent le fait que la paix d’après-guerre doit être construite selon les paramètres de Kiev, ce que la proposition de la CELAC ne mentionne pas.

Selon le texte modifié de la déclaration, les membres de l’UE et de la CELAC devraient ensemble « plaider en faveur de solutions diplomatiques sérieuses et constructives au conflit actuel en Europe, par des moyens pacifiques, qui garantissent notre souveraineté et notre sécurité à tous, ainsi que la paix, la stabilité et la sécurité régionales et internationales ».

« Il est crucial que la déclaration commune fasse référence à un engagement partagé envers tous les principes inscrits dans la Charte de l’ONU, y compris le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté, et la nécessité de condamner la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine », a expliqué un quatrième diplomate de l’UE à EURACTIV.

La contre-proposition devrait être discutée par les ambassadeurs de l’UE lors de leur réunion de vendredi (7 juillet) où les États membres devraient discuter des concessions qu’ils sont prêts à faire sur la formulation afin de sauver le projet de communiqué qui doit être prêt pour le sommet, qui a lieu dans deux semaines.

« La réaction initiale était quelque peu attendue — c’est maintenant que les véritables négociations commencent. Mais nous travaillerons avec acharnement pour obtenir une déclaration », a indiqué un cinquième diplomate de l’UE.

« Mais nous devons également prendre en compte la possibilité que le sommet se termine sans déclaration commune », a ironisé un sixième diplomate européen. Un autre a fait écho à ce sentiment.

VOLODYMYR ZELENSKY (DEVENU DEPUIS PRÉSIDENT DE L'UKRAINE)

La participation du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui avait initialement reçu une invitation à participer au sommet de la part de l’Espagne, a été annulée après un refus des dirigeants latino-américains. Cette invitation a constitué un point de discorde supplémentaire avant le sommet conjoint.

La guerre en Ukraine, un « problème européen »

Au cours de l’année écoulée, les Européens ont cherché à renforcer les liens avec leurs partenaires dans le monde entier afin de rallier le soutien à l’ordre international fondé sur des règles que la Russie a bafoué en attaquant l’Ukraine.

Bruxelles a également tenté de renforcer les liens politiques et économiques avec différentes régions du monde, y compris l’Amérique latine, les hauts fonctionnaires de l’UE soulignant la « similitude d’esprit » avec les partenaires de la région dans une série de domaines politiques clés.

Toutefois, la majorité des pays d’Amérique latine ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils ne souhaitaient pas être entraînés dans une guerre qu’ils continuent de considérer comme un « problème européen ».

Alors que le président brésilien Lula da Silva a tenté de mener son propre plan de paix pour l’Ukraine, de hauts fonctionnaires brésiliens ont rejoint le mois dernier leurs homologues d’Ukraine, du G7, d’Inde, d’Arabie saoudite, d’Afrique du Sud et de Turquie pour discuter des efforts à déployer pour rapprocher les différentes perspectives.

Le sommet ne peut pas se résumer à un appel des Européens aux pays d’Amérique latine pour qu’ils soutiennent la lutte de l’Europe contre les Ukrainiens, a indiqué un diplomate latino-américain à EURACTIV.

Il a en effet souligné que la région avait ses propres priorités : le développement socio-économique, la protection de l’environnement et la perspective d’un accord commercial avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) en suspens depuis longtemps.

La contre-proposition envoyée par les États de la CELAC à Bruxelles montre « que nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde, ou que l’UE doit travailler plus dur pour faire passer ses messages et pas seulement quand cela l’arrange », estime un huitième diplomate de l’UE. Il a en effet souligné que toutes les références à la lutte contre la corruption avaient été supprimées.

En partageant ce que les Européens considèrent comme une proposition audacieuse, « il semble qu’ils veuillent être perçus comme des partenaires égaux », ont-ils ajouté.

Réparations pour l’esclavage

Dans une démarche inattendue, les membres de la CELAC ont demandé aux Européens de verser des réparations pour les dommages causés par l’esclavage, ce qui risque de devenir une question potentiellement litigieuse.

« Nous reconnaissons la nécessité de prendre des mesures appropriées pour restaurer la dignité des victimes [de la traite transatlantique des Africains], y compris des réparations et des compensations pour aider à guérir notre mémoire collective et pour inverser les héritages du sous-développement », peut-on lire dans le projet de déclaration proposé.

Le texte proposé accorde une attention particulière aux « questions de santé, d’éducation, de développement culturel et de sécurité alimentaire » à cet égard.

« Nous reconnaissons et regrettons profondément les souffrances indicibles infligées à des millions d’hommes, de femmes et d’enfants du fait de la traite transatlantique des Africains », peut-on lire dans le texte.

En réponse à la stratégie « Global Gateway » de l’UE, qui vise à investir dans des projets d’infrastructure et à établir des partenariats économiques, les pays d’Amérique centrale et d’Amérique latine déclarent « prendre note du lancement », au lieu d’utiliser le langage diplomatique habituel qui consiste à dire qu’ils « s’en félicitent ».

Les partenaires de l’Union ont insisté sur le fait que les projets de développement lancés dans le cadre du programme de la passerelle mondiale devraient être élaborés en étroite collaboration avec les acteurs locaux et répondre aux besoins urgents des pays en développement.

Accord UE-Mercosur

Cette contre-proposition intervient une semaine après que les pays du Mercosur ont annulé les négociations commerciales avec l’UE, qui devaient débuter à Buenos Aires la semaine dernière, dans ce qui a été perçu comme une tentative du président brésilien de gagner du temps et de présenter une contre-proposition aux dernières exigences environnementales du bloc.

Le texte de la déclaration proposée indique notamment que les deux parties « attendent avec impatience la signature et l’approbation futures » de l’accord UE-Mercosur, qui est en négociation depuis l’an 2000.

Il condamne également « l’imposition de barrières commerciales unilatérales sous des prétextes environnementaux ».

L’UE s’efforce d’imposer une taxe carbone sur les importations : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).

Le texte souligne également que la transition vers un système économique plus durable doit « tenir compte des circonstances, des plans et des politiques nationales ». L’un des diplomates européens a déclaré que cela saperait les efforts de l’UE dans le cadre du Pacte vert pour œuvrer en faveur de la décarbonation.

[Édité par Anne-Sophie Gayet]