La gueule de bois à l’Élysée / Ce jeudi, le président Macron recevait les responsables des partis représentés à l’Assemblée nationale. Ce n’était pas pour rompre son étrange silence sur l’affaire Bétharram, mais pour traiter des conséquences de la mise à l’écart de l’Europe par le tandem Trump-Poutine. L’extrême droite RN, désinvolte, avait mandaté Louis Aliot, maire de Perpignan, dont la principale qualification sur le sujet semble être d’avoir été invité à la cérémonie d’investiture de Donald Trump… La plupart des gens présents autour de la table ont été des faucons partisans de la guerre à outrance, de l’usage des armes de tir en profondeur et de toutes les gesticulations qui ont tenu lieu de politique européenne depuis trois ans. Ils ont été tous unis dans un même refus de la solution diplomatique et des garanties de sécurité mutuelle. Évidemment, ils ont été tous hostiles à toute lucidité sur le caractère désastreux pour l’Union européenne des sanctions économiques contre la Russie. Ils continuent à l’être en votant allègrement un seizième plan de sanctions, que personne n’appliquera plus évidemment, car les quinze précédents n’ont jamais empêché plus de quatre mille entreprises européennes et mondiales de continuer leurs activités en Russie. Les autres sont parties et ont été dûment remplacées par d’autres. La chambre de commerce des Français pourra sans doute un jour présenter un bilan de ce suicide de notre présence parfois séculaire.
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JEAN-LUC MÉLENCHON |
Représentés par le coordinateur du mouvement Manuel Bompard, les insoumis sont évidemment dans une toute autre situation. Le ralliement du président à la thèse du non-alignement, annoncé au cours de la réunion, est évidemment une démonstration de la bascule qui fait son chemin dans les esprits après la débâcle instituée par la convergence USA-Russie. La gueule de bois pousse aux bonnes résolutions ? Bompard a souligné à juste titre, dans son intervention à la sortie de la rencontre, que ce nouveau non-alignement présidentiel collait mal avec ses références continuelles au cadre de l’Otan dont il avait dit pourtant naguère qu’elle était en état de mort cérébrale. Dans les zigzags, tout dépend du moment où l’on rencontre le président.
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À cette heure, si elle aboutit sur un accord avec la Russie, la manœuvre entreprise par Trump à propos de l’Ukraine sera un coup terrible pour l’Europe. Non pas tant à cause du résultat matériel obtenu par les deux compères. Mais surtout parce qu’il sera prouvé que la politique européenne a bien été la suite de non-sens que nous avons dénoncés mille fois comme adversaires du traité de Lisbonne qui tient lieu de Constitution européenne. Certes, il y a eu la concurrence libre et non faussée, le libre-échangisme commercial, l’interdiction de l’harmonisation fiscale et sociale par le haut, le refus de la clause de non-régression, l’indépendance de la banque centrale interdite de prêt direct aux États et focalisée sur la seule stabilité de la monnaie. Certes, toutes ces merveilles ont rempli les poches des agioteurs, des actionnaires et des corrompus. Certes, les salariés pris à la gorge ont été humiliés, poussés à accepter des reculs sociaux très profitables pour les puissances d’argent. Quant aux peuples, leur situation est résumée par la dénatalité spectaculaire du vieux continent. L’avenir s’éteint irrémédiablement parce qu’il n’intéresse plus ou bien parce qu’il est encore plus déprimant que le présent. Ici, je veux laisser le bilan économique de côté. Nous l’avons fait tant de fois ! Le présent confirme toutes nos thèses sans exception.
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Mais l’impuissance absolue des européens devant la conclusion de la guerre d’Ukraine met en lumière une défaite si totale et sans espoir qu’on en reste sidéré. La paix en Europe est négociée en Arabie saoudite sans la présence des premiers concernés, Ukrainiens et Européens. Invraisemblable. Les Glucksmann, Bernard Henri-Lévy, Jadot, Cohn-Bendit et autres va-t-en-guerre illuminés ont prôné une ligne d’action directement répétée des éléments de langage des ambassades de Biden. Ils ont disparu ! Mais je les mentionne pour faire le lien entre cette déroute historique (les nouveaux munichois sont servis) et celle de Biden lui-même sous la forme de Kamala Harris. Le néolibéralisme de centre droit ou de centre gauche, c’est une seule et même chose à l’intérieur d’un pays et sur le plan international. C’est le club des Gamelin de l’histoire, chefs des déroutes les plus improbables.
Le PS propose même de taper dans la caisse des actifs russes sous séquestre pour continuer la guerre aux côtés des Ukrainiens. Les actifs ? C’est illégal. N’importe quoi pour faire semblant… La guerre bidon après la censure bidon ? Mais là, on joue la peau des peuples. Continuer la guerre ? Il faut deux cent mille combattants sur les 3 400 kilomètres de frontière commune entre l’Ukraine et la Russie, disent les experts ukrainiens. Qui va les fournir ? Et pour combien de temps ? Avec quelles armes ? Quelles munitions ? Rien de tout cela n’existe. À part la France nucléarisée, tous les autres sont nus comme des vers devant quelque agresseur que ce soit.
Il va de soi que les amoureux transis de l’oncle Sam ne feront jamais le moindre bilan des conditions dont tout cela s’est mis en place, depuis les provocations européennes sur l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN à Bucarest en 2008. Mais, bien sûr, l’idée d’une invasion de l’Europe par la Russie est un de ces trompe-l’œil dont raffolent les gros malins. Ça leur donne une posture avantageuse, tout menton en avant. Mais surtout, ça permet de justifier une entrée sans complexe dans l’économie de guerre. Car tel est le nouveau facteur de développement européen en panne sèche quant au reste. L’Allemagne, en récession depuis deux ans, n’a qu’un secteur en expansion réalisant des beaux résultats : l’industrie d’armement. Tout le monde s’y est mis semble-t-il. « Quand la Russie produit mille chars, nous n’en produisons que cent » pleurniche un pousse-au-crime. Voilà le genre de refrain avec lequel doit se jouer le redéploiement européen. Version néolibérale. Les dépenses ne seront pas totalisées dans le déficit, se dit-il. La règle des 3 % est morte au champ d’honneur !
Ainsi ce qui était impossible pour la santé ou l’éducation devient tout d’un coup possible pour les bombes, les chars, les drones et missiles. Le rêve européen sent la poudre. Existe-t-il un espace pour en formuler une autre version plus proche de nos objectifs écologiques et sociaux ? Rien n’est moins sûr, car aucun signe de repentir ni de bilan critique n’a l’air de venir de la part des élites auteures de ce nouveau désastre. Les Allemands en particulier ne semblent pas être moins bornés qu’ils ne l’ont été jusque-là. Seule l’ingénue sottise française leur permet un plan de réarmement conventionnel aussi insupportable que leur trahison dans le domaine du char du futur, de l’Espace et tant d’autres occasions où ils ont confirmé leur mépris pour la relation entre nos pays quand elle ne sert pas servilement leurs intérêts. L’arrivée de Merz, le chancelier de droite, va être une apothéose de cette arrogance. Et si le PS allemand et les « écolos-réalos » de ce pays se jouent un « front républicain » gouvernemental face à l’AFD, les Français peuvent accrocher leur ceinture de sécurité. Dimanche en Allemagne se joue un épisode décisif de notre futur continental.
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JEAN-LUC MÉLENCHON PHOTO SEBASTIEN SALOM-GOMIS |
Post scriptum. Valeurs actuelles vaut mieux que Les Échos quand il s’agit de cohérence de la pensée ? L’hebdo d’extrême droite critique sévèrement le concept de créolisation que je présente à la suite d’Edouard Glissant. Ni injures ni flétrissures. Des idées. Opposées aux miennes. Je lui répondrai à mon retour du Mexique. Dans Les Échos, le contraire. Un de ces types pédants et verbeux, un peu… bizarre, croit pouvoir se mettre au niveau. Il pond une pauvre chose. La créolisation y est présentée dans la perspective habituelle de l’ultra-droite suprématiste : l’islamophobie obsessionnelle de certains milieux. Dommage. Le journal en profite pour publier une photo de moi aussi grande que le papier du suprématiste. Bouche ouverte et criant dans un moment de tension oratoire. Le seul but visé est cette diabolisation qui est la violence semée chaque jour sous toutes ses formes par ce type de propagande. Cela en dit long sur le niveau intellectuel que cette rédaction attribue à ses lecteurs. Elle estime qu’ils ont besoin d’une telle imagerie pour être satisfaits et bien contrôlés. Les mêmes s’étonneront ensuite du dégoût qu’ils suscitent. Si l’esprit de la dispute « à la française », comme disent les traditionalistes, c’est ça, c’est que la créolisation de ce type de presse s’est faite à partir de sources qui résument sa défaite morale.
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