11 juillet, 2021

CHILI: «LE PEUPLE A REJETÉ LES PARTIS TRADITIONNELS»

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STÉPHANIE ALENDA.
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ENTRETIEN - Stéphanie Alenda, professeur de sociologie politique à l’université Andres Bello de Santiago du Chili, explique les enjeux de la nouvelle constitution. 
Que signifie l’élection à la tête de l’Assemblée constituante d’Elisa Loncon Antileo pour le Chili?

Stéphanie ALENDA. - 
C’est une élection chargée de symbolisme, puisqu’elle a été élue à la tête de l’institution chargée de rédiger la nouvelle constitution. Elle a été élue parmi les 17 sièges réservés aux représentants des 10 peuples originaires reconnus au Chili: les Mapuches, dont elle fait partie, mais aussi les Quechuas, les Diaguitas, les Kollas, les Rapanuis, etc. Seuls 22,8% ont voté sur les 1.239295 Indiens recensés par la Conadi (Corporation nationale du développement indigène). Elle représente un groupe exclu de la Constitution en vigueur. Elle est issue des couches populaires, et cela a eu un écho très important dans la population chilienne. C’est la première fois qu’une femme mapuche occupe un poste d’une telle importance dans la politique chilienne.


Quelles idées porte-t-elle?

C’est une figure clé de l’éducation interculturelle. Elle défend la transmission de la culture indienne à travers une éducation qui réhabilite les langues indigènes. Elle est aussi connue pour sa défense du droit des femmes indigènes. Son discours inaugural avait une forte connotation féministe et anticoloniale. La thématique de l’écologie est également très présente chez elle, ce qui a une résonance particulière au sein des peuples indiens. Et ce n’est pas que symbolique, avec la «défense de la terre», car cela a des implications très concrètes liées notamment à l’eau. Le Chili est le seul pays dont la Constitution définit l’eau comme un bien privé. C’est un thème très sensible. Un consensus pour faire de l’accès à l’eau un droit public devrait être facile à trouver parmi les constituants. Sur d’autres points, ce sera plus compliqué, comme de faire du Chili un État plurinational.
« La droite et le gouvernement sortent très affaiblis de la pandémie et du mouvement social démarré en novembre 2019.»  Stéphanie Alenda.

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Le thème de l’État plurinational n’est-il pas trop clivant?

Ça fait un peu peur aux Chiliens, et il y a plus de divisions sur ce sujet. C’est un thème central dans les entretiens qu’Elisa Loncon a donnés. L’État plurinational est une des demandes clés des communautés indigènes, qui implique une grande charge de réparation historique. C’est complexe pour certains secteurs. Cela touche au droit de propriété, car on parle en même temps de récupération des terres. Un État plurinational, ce n’est pas qu’un symbole, cela peut avoir des effets très concrets. On peut entendre dans ce discours une volonté de revanche sur la colonisation espagnole. Elisa Loncon parle de «refonder la nation». Les références existantes sont la Bolivie ou l’Équateur. Pour la Bolivie, la Constitution garantit le droit à l’autodétermination, à l’autonomie, à l’autogouvernement, mais dans un État unitaire.

Le Canada ou la Nouvelle-Zélande sont des modèles un peu différents. Au Canada, il s’agit d’une valorisation des diversités ethniques, qui est pensée à partir d’un multiculturalisme invitant finalement à l’intégration. Le modèle chilien reste à définir. La droite est farouchement opposée à cette notion, mais elle ne dispose pas du tiers des sièges nécessaires pour bloquer un texte. Il y a une forte attente à ce sujet, et certains craignent une reconnaissance cosmétique des peuples indigènes au lieu d’avancer sur un modèle d’État donnant des droits réels à ces populations. Une majorité de constituants seraient favorables à un État plurinational: 118 constituants sur 155. Mais cela impliquerait ensuite une profonde redéfinition politico-administrative du pays.


Où en est la droite chilienne?

Les partis de droite ont subi des défaites successives aux dernières élections. La droite, au sein de l’Assemblée constituante, espérait obtenir un tiers des sièges. Elle n’en a obtenu que 37. Cela l’empêchera de faire barrage à certains articles. Car tous les articles doivent être approuvés par une majorité des deux tiers. La droite est donc dans une obligation de négocier, ce qui est très difficile, parce que personne n’a envie de négocier avec la droite. Le gouvernement de Sebastian Piñera a toujours une cote de popularité très faible et est très critiqué pour sa gestion de la pandémie. Il n’a pas su être à l’écoute d’une population qui, face aux difficultés générées par la pandémie, demandait un État plus social que libéral.

Les constituants de Vamos por Chile (la coalition de la droite) vont devoir négocier avec différents groupes. Des alliances variables et instables en fonction des articles et des thèmes vont se former. L’équilibre des forces au sein de la Constituante reflète une défaite de la droite après les défaites aux élections municipales et des gouverneurs. La droite et le gouvernement sortent très affaiblis de la pandémie et du mouvement social démarré en novembre 2019. Malgré tout, ils ont un candidat, Joaquín Lavín, qui dispute la première place des sondages avec le candidat du PC, Daniel Jadue. Tous deux ne recueillent cependant que de faibles intentions de vote (de 13 % à 14 %), ce qui rend très incertain le résultat des prochaines présidentielles du 21 novembre.

La droite conserve quelques chances de gagner si Joaquín Lavín disputait le second tour avec Daniel Jadue. Si elle l’emportait, le prochain gouvernement serait sans nul doute un gouvernement de transition, un gouvernement «ni droite ni gauche», car la population a montré son rejet des projets traditionnels.