07 juillet, 2021

CARAÏBES. LE PRÉSIDENT HAÏTIEN ASSASSINÉ PAR UN COMMANDO ARMÉ

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PHOTO CHANDAN KHANNA / AFP

Jovenel Moïse, 53 ans, a été tué dans la nuit de mardi à mercredi, dans l’assaut de sa résidence privée, sur les hauteurs de Port-au-Prince. Entré en fonction en 2017, contesté par la rue, il était soupçonné de collusion avec les gangs armés.

par Rosa Moussaoui 

PHOTO JOSEPH ODELYN / AP

Décidé à s’accrocher au pouvoir par tous les moyens, il avait laissé le pays s’enliser dans une grave crise politique et sombrer dans la violence et l’arbitraire entretenus par les gangs. Jovenel Moïse a fini, à son tour, par ne plus être à l’abri nulle part. Dans la nuit de mardi à mercredi, le président haïtien a été assassiné à son domicile de Pétion-Ville, sur les hauteurs de Port-au-Prince, pris d’assaut par un commando d’hommes en armes. Hospitalisée dans un état grave, son épouse, Martine Moïse, a finalement succombé à ses blessures.

Un acte « inhumain et barbare », a réagi le premier ministre par intérim, Claude Joseph, en annonçant le décès du chef d’État, abattu selon lui par « des étrangers qui parlaient anglais et espagnol ». Nommé le 5 juillet, son successeur Ariel Henry, le septième chef de gouvernement depuis l’investiture de Moïse, le 7 février 2017, n’aura même pas eu le temps d’entrer en fonction. Un saut dans le vide institutionnel s’annonce : contesté par la rue, qui réclamait sa démission, le défunt président avait vu le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire haïtien donner raison aux manifestants, au début de l’année, en confirmant la fin de son mandat le 7 février, alors qu’il entendait se maintenir au pouvoir encore un an.

Valse des gouvernements et scandales politico-financiers

Faute de Parlement – les élections législatives prévues en 2018, sans cesse repoussées, n’ont jamais eu lieu –, le président gouvernait par décret depuis janvier 2020. Il avait bien mis en chantier une réforme institutionnelle – surtout destinée à renforcer les prérogatives de l’exécutif –, mais le référendum constitutionnel, initialement prévu en avril 2020, deux fois reporté en raison de la pandémie de Covid-19, avait encore été repoussé au 26 septembre. Cet affairiste, entré sur le tard en politique, avait été élu en 2016, au terme d’un imbroglio électoral, sur la promesse de développer l’économie du pays, le pays le plus pauvre de l’Amérique latine et des Caraïbes et parmi les plus pauvres du monde. Sous son mandat, le climat d’insécurité s’est alourdi au point de rendre invivable le quotidien des Haïtiens, avec la prolifération des enlèvements contre rançon et les affrontements entre bandes rivales qui poussent des milliers d’habitants, démunis, à fuir certains quartiers populaires. Depuis le début du mois de juin, les règlements de comptes entre factions criminelles dans l’ouest de Port-au-Prince paralysent toute circulation entre la moitié sud du pays et la capitale haïtienne. Le 30 juin dernier, 15  personnes avaient été tuées dans une fusillade en plein cœur de la ville. Parmi les victimes : un journaliste, Diego Charles, et une militante d’opposition, Antoinette Duclair. Alors que la dégradation de la situation sécuritaire échappait à tout contrôle, Moïse avait décrété l’état d’urgence le 19 mars, en jurant de restaurer ainsi « l’autorité de l’État » dans les secteurs contrôlés par des gangs armés, classés « zones rouges ». Il tentait de se poser en garant de « la sécurité du territoire ». Sans convaincre ses détracteurs, qui soupçonnaient plutôt les siens de collusion avec des bandes criminelles choisissant opportunément certaines cibles : bien des journalistes sont tombés sous leurs balles, tout comme le bâtonnier de Port-au-Prince, Monferrier Dorval.

Sur fond de choc économique, de crise sociale, de violence et de délitement des institutions, les gouvernements se sont succédé depuis quatre ans, en Haïti, au même rythme que les scandales politico-financiers, attisant une révolte populaire qui déborde l’opposition politique et les syndicats. La pandémie de Covid-19, l’an dernier, avait un temps suspendu ce mouvement de protestation continue, qui a resurgi avec force le 7 février, pour exiger la formation d’un gouvernement de transition chargé d’organiser des élections, la mise en place de programmes sociaux, des poursuites en justice pour les responsables politiques corrompus. Cet élan démocratique s’est heurté jusque-là au double veto de l’oligarchie locale et de la communauté internationale, États-Unis en tête, qui accompagnent, depuis la fin des années 1980, le démantèlement de l’État, la mise sous tutelle des institutions financières internationales, la casse des services publics et la libéralisation de l’économie qui ont dévasté le pays. Mercredi, dans un pays sous le choc, au bord du chaos, des autorités aussi fragiles que peu légitimes décrétaient l’état de siège. Haïti plonge dans l’inconnu.