23 avril, 2022

AU CHILI, L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE EST DE PLUS EN PLUS CRITIQUÉE

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PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP

Le projet de Constitution instaure l’idée d’un État solidaire. Les polémiques et une communication inaudible participent au discrédit de l’assemblée.
 
DESSIN LAUZAN
Ce sont pour l’instant près de 80 pages qui tissent le contenu de la nouvelle Loi fondamentale chilienne, élaborée par 154 élus depuis juillet 2021. Après trois mois consacrés à ficeler son règlement, l’Assemblée constituante – fruit d’un référendum, en mai 2020, approuvant à 78 % l’idée de la réécriture de la Constitution – continue de plancher sur le fond des articles. Le texte doit remplacer celui qui avait été approuvé en pleine dictature (1973-1990) et qui consacrait le principe d’un État en retrait face au secteur privé.
RÉFÉRENDUM SUR LA NOUVELLE CONSTITUTION
FIXÉ AU 4 SEPTEMBRE 2022
La demande d’une nouvelle nomenclature constitutionnelle était devenue l’une des grandes exigences de la rue lors de l’historique mouvement contre les inégalités de 2019. Une exigence de justice sociale qui s’est également exprimée avec l’élection, en novembre 2021, du président de gauche Gabriel Boric, arrivé au pouvoir le 11 mars. Alors député, il avait lui-même promu la rédaction d’un nouveau texte, en novembre 2019, afin d’apaiser l’ardeur des manifestants.

« Le Chili est un État social et démocratique et de droit. Il est plurinational, interculturel et écologique » : cet article donne le « la » du texte, rédigé par une Assemblée qui penche largement à gauche. Il grave dans le marbre la notion d’un État solidaire, reconnaissant formellement l’existence des populations indigènes, auxquelles dix-sept sièges sont réservés. Le « droit à la sécurité sociale » mais aussi à « un logement digne et adéquat » a été approuvé, tandis que les articles portant sur d’autres piliers de la vie des citoyens, tels que l’éducation ou les retraites, doivent encore être étudiés.

RÉFÉRENDUM SUR LA NOUVELLE CONSTITUTION
FIXÉ AU 4 SEPTEMBRE 2022
« On voit clairement apparaître un cadre social-démocrate, avec le concept de parité qui le traverse entièrement », remarque Juan Pablo Rodriguez, sociologue au Centre d’études du conflit et de la cohésion sociale. Article-phare des élus promouvant les droits des femmes, la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse a rejoint le brouillon du texte. « De façon générale, les articles approuvés sont les plus ouverts, ce qui laisse la place à l’interprétation politique, poursuit l’universitaire. On peut dire que si la Constitution actuelle est néolibérale et l’héritière de la dictature, celle-ci est le bébé de la révolte sociale de 2019. »

Sondage défavorable

Pourtant, le divorce entre l’opinion publique et l’Assemblée n’a jamais été aussi criant. Renversant la dynamique du référendum de 2020 qui avait approuvé massivement la rédaction d’un nouveau texte, un sondage vient de donner, début avril, et pour la première fois, une majorité en faveur d’un rejet de la nouvelle Loi fondamentale : selon l’institut Cadem, 46 % des personnes interrogées voteraient contre ce texte lors du référendum prévu le 4 septembre, et 40 % pour.

« L’écriture est très technique et complexe, il est vraiment difficile de comprendre ce qui se passe au sein de l’Assemblée sans avoir des connaissances juridiques », admet Danilo Herrera, politiste à l’Université catholique du Chili. Le travail des élus a ainsi pu sembler inaudible. Leurs carences en matière de communication leur ont régulièrement été reprochées. Des articles approuvés en commission thématique ont parfois été interprétés, dans les médias, comme définitivement adoptés, participant à une musique brouillonne entourant le processus constitutionnel. « Il y a eu une campagne de discrédit, de la part d’élus de droite et des principaux médias, conservateurs, qui souhaitent conserver l’actuelle version », évalue Juan Pablo Rodriguez.

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Autre élément creusant le déficit de confiance, l’un des élus, Rodrigo Rojas Vade, icône des mouvements de protestation, a renoncé à son siège en septembre 2021 après avoir révélé que le cancer dont il assurait souffrir, et nourrissant sa popularité, était un mensonge. La question de son éventuel retour, en mars – ensuite définitivement écarté –, a ravivé le discrédit qu’il symbolise.

PHOTO ESTEBAN FELIX / AP
Une personne portant un masque inspiré de la série télévisée « La Légende de Korra » dépouille les bulletins de vote, lors de l’élection des membres de l’Assemblée constituante, à Santiago, en mai 2021.
Avec une majorité d’élus indépendants, sans expérience de militantisme au sein d’une formation politique, les négociations de couloirs, huilant souvent les rouages des sessions au Parlement, ont fait défaut, les débats se jouant presque entièrement lors de plénières- marathons. « Tout le travail est marqué par le manque de temps. Il lui reste trois semaines pour voter tous les articles, et l’Assemblée doit encore se prononcer sur les droits fondamentaux, revoir des articles de la commission environnementale », liste Danilo Herrera. Cette dernière commission, notamment, a été accusée d’utiliser un vocabulaire cryptique, avec des articles jugés trop spécifiques pour une Constitution, et rejetés en plénière.

Intimidation publique

Autre fait marquant et ternissant un peu plus l’image de la commission : la séance du 21 avril a donné lieu à une véritable intimidation publique menée par certains représentants, accusant des élus socialistes de trahison. Une méthode jugée « absolument inacceptable » par le président Gabriel Boric, vendredi 22 avril. « En démocratie, les différences s’expriment et elles sont légitimes. S’il y a un désaccord sur les idées, il est possible de voter de façon différente », a-t-il insisté.

« Clairement, il y a une sensation d’inquiétude ou d’incertitude [de la part des citoyens], qu’il faut que l’on assume », a reconnu Maria Elisa Quinteros, présidente de l’Assemblée constituante, lors d’une interview à la radio Universidad de Chile, le 9 avril. «J’ai la conviction que lorsque l’on commencera à montrer à la société quels sont les articles en matière de santé, de logement, de retraites, l’intérêt et le soutien des citoyens augmenteront », a assuré, de son côté, Gaspar Dominguez, vice-président de l’Assemblée.

Prochain chapitre : celui de la commission d’harmonisation qui devra, à partir du 17 mai, lier et hiérarchiser les différents articles, polir les éventuelles répétitions. Selon le règlement, le processus doit être terminé en juillet. S’ouvrira alors la campagne précédant le référendum, une étape cruciale au regard de la volatilité de l’opinion publique.

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