06 novembre, 2023

LE CHILI ENTRE DANS LA DERNIÈRE LIGNE DROITE D’UN NOUVEAU PROJET DE CONSTITUTION

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BEATRIZ HEVIA, LA PRÉSIDENTE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
CHILIEN, ISSUE DU PARTI RÉPUBLICAIN (EXTRÊME DROITE),
À SANTIAGO DU CHILI, LE 19 OCTOBRE 2023.
PHOTO PABLO COZZAGLIO / AFP
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LE MONDE

INTERNATIONAL / CHILI / Le Chili entre dans la dernière ligne droite d’un nouveau projet de Constitution / Le président de gauche Gabriel Boric recevra, mardi 7 novembre, la proposition d’un nouveau texte élaboré pendant huit mois par des experts et conseillers élus. Les sondages indiquent un possible rejet lors d’un référendum le 17 décembre.

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Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante

Temps de Lecture 3 min. 

«NOUS ALLONS NOUS DIRE NON»

Pour la deuxième fois en un peu plus d’un an, le Chili tente de remplacer sa Constitution actuelle, instaurée en 1980 par la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Et pour la deuxième fois, les Chiliens pourraient bien repousser le projet de texte, pour des raisons totalement opposées à la première. Mardi 7 novembre, le Conseil constitutionnel – élu le 7 mai et composé de cinquante membres – remettra sa proposition d’une nouvelle loi fondamentale au président, Gabriel Boric (gauche).

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LA « K4STITUTION » EST DE DROITE
ET PAS ADÉQUATE 
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Ce texte « est un outil fondamental pour sortir le pays de la stagnation, de l’insécurité et de l’instabilité politique et sociale », s’est félicitée Beatriz Hevia, la présidente du Conseil constitutionnel, issue du Parti républicain (extrême droite). Ce dernier, avec le soutien de la droite, a pu imposer au texte sa vision du pays, libérale et conservatrice, à l’antipode du premier projet qui avait été soumis au vote populaire le 4 septembre 2022 – et rejeté à 62 %.

Au cours des cinq derniers mois, le Conseil constitutionnel a œuvré à l’amendement d’un texte qui avait déjà été libellé entre mars et juin de cette année par une commission d’experts désignés par le Congrès. Ceux-ci reprenaient eux-mêmes de grands principes établis en octobre 2022 par les partis présents au Parlement, tels que le respect des emblèmes patriotiques ou la responsabilité fiscale. Ce processus très encadré, épaulé par un « comité technique », se conclura par un référendum au vote obligatoire, le 17 décembre.

Possible remise en cause du droit à l’avortement

Le texte final du Conseil reprend bien le concept d’«État social de droit » inclus dans le « préprojet » de la commission d’experts, mais celui-ci a été vidé de son sens, selon la gauche et le centre gauche, minoritaires au sein du Conseil constitutionnel, qui estiment que différents articles contradictoires à ce principe ont été introduits, comme la possibilité de choisir entre le système privé ou public dans le domaine de la santé, de l’éducation et des retraites.

En ce sens, le texte prolonge finalement la Constitution héritée de la dictature en consacrant le principe de « l’Etat subsidiaire » – l’Etat n’intervient qu’en second lieu, après le secteur privé –, un concept accusé d’avoir figé les inégalités sociales. « Ce nouveau texte est davantage centré sur les libertés individuelles que sur les droits, et en ce sens, il ressemble à la Constitution de 1980. La grande différence est qu’il a été écrit en démocratie », observe Sergio Toro, politologue à l’université Mayor de Santiago.

Parmi les autres normes polémiques : la protection « de la vie de celui qui va naître ». Selon ses détracteurs, cette formulation défendue par l’extrême droite risque de remettre en cause l’accès à l’avortement, permis dans trois cas seulement depuis 2017 au Chili (viol, non-viabilité du fœtus ou danger pour la vie de la femme enceinte). A ce sujet, « il n’y a aucun impact sur les lois actuellement en vigueur dans le pays », a tenu à souligner Beatriz Hevia jeudi 2 novembre, auprès de la radio locale Radio Sago. La droite a également adopté le principe de « l’expulsion le plus vite possible » des étrangers entrés de façon irrégulière au Chili, et celui de la suppression des impôts sur la résidence principale, un article accusé de favoriser les foyers les plus fortunés. « Différents articles font l’objet d’un débat entre experts constitutionnels et restent très ouverts à interprétation», analyse Sergio Toro.

La coalition de gauche Frente Amplio – dont est issu Gabriel Boric – a fait savoir, jeudi 2 novembre, qu’elle s’opposerait à « un texte extrême » qui « augmenter[ait] les inégalités, la division et les injustices » au Chili. Sans transmettre de consigne de vote, Gabriel Boric, élu en décembre 2021 et au pouvoir depuis mars 2022, a regretté « le manque de consensus » caractérisant le texte. « Evidemment, je suis inquiet car je vois que des erreurs ont été commises, comme lors du processus précédent », a-t-il dit mardi.

LE PRÉSIDENT CHILIEN GABRIEL BORIC CHANTE L’HYMNE NATIONAL
LORS DE LA PREMIÈRE SESSION DE RÉDACTION D’UNE NOUVELLE
CONSTITUTION, À SANTIAGO DU CHILI, LE 7 JUIN 2023.
PHOTO IVAN ALVARADO / REUTERS

La première tentative de réécriture, entre 2021 et 2022, avait été portée par une Assemblée de 154 membres penchant largement à gauche. Leur proposition de texte était féministe, sociale, écologique, en tout point différente du projet actuel. De nombreux Chiliens avaient jugé cette version trop radicale, notamment en matière de droits accordés aux peuples autochtones (13 % de la population). Les opposants au texte ont aussi reproché à l’Assemblée d’alors, composée surtout d’indépendants, son amateurisme et son manque d’écoute de la droite. Le processus actuel, bien plus cadenassé, technique et rapide, visait à ne pas tomber dans les mêmes écueils.

Près de 70 % des Chiliens opposés au nouveau texte

Cependant, de nombreux sondages montrent un fort rejet du nouveau texte. Selon une enquête d’opinion de l’institut Pulso Ciudadano, publiée au mois d’octobre, près de 70 % des Chiliens pensent s’y opposer. « Il faut rester prudent car il y a une grande volatilité du vote au Chili, cette tendance peut changer, avertit Sergio Toro. D’autant que le processus a été marqué par une forte apathie de la population. »

Le référendum devrait se transformer en un tremplin politique pour la droite, en vue de l’élection présidentielle de fin 2025. Une approbation serait aussi brandie comme une victoire par le Parti républicain. Depuis sa création en 2019, cette formation a réalisé une véritable percée dans la vie politique chilienne, en arrivant en tête du premier tour de la présidentielle en 2021, puis en raflant près de la moitié des sièges au sein du Conseil constitutionnel en mai 2023.

L’extrême droite se retrouve ainsi dans une position paradoxale, celle de faire campagne pour l’approbation d’un texte qu’elle a en grande partie rédigé, alors qu’elle s’était toujours opposée à toute réécriture de la Constitution. En cas de rejet, Gabriel Boric a indiqué que cette tentative serait la dernière, sous son mandat.

Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)


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