30 novembre, 2023

ÉTATS-UNIS. HENRY KISSINGER, LE CERVEAU DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE AMÉRICAINE, EST DÉCÉDÉ

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KISSINGER AVEC LE DICTATEUR CHILIEN, LE GÉNÉRAL AUGUSTO PINOCHET, EN
JUIN 1976. IL A IGNORÉ LES PRÉOCCUPATIONS DE SES COLLABORATEURS
CONCERNANT LES ATROCITÉS COMMISES PAR LE RÉGIME CHILIEN EN MATIÈRE
DE DROITS DE L’HOMME, DISANT À PINOCHET : « NOUS VOULONS VOUS AIDER,
 PAS VOUS AFFAIBLIR. VOUS AVEZ RENDU UN GRAND SERVICE À L’OCCIDENT
EN RENVERSANT ALLENDE. »
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COURRIER
INTERNATIONAL
États-Unis. Henry Kissinger, le cerveau de la politique étrangère américaine, est décédé / Ancien secrétaire d’État sous Richard Nixon et Gerald Ford, Kissinger est mort mercredi à l’âge de 100 ans. La presse américaine pointe du doigt l’héritage complexe et controversé de ce géant de la diplomatie. [« Pourris en enfer ! »]

Noémie Taylor-Rosner, Courrier international

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HENRY KISSINGER ET RICHARD NIXON

Figure incontournable de la politique américaine, Henry Kissinger est décédé mercredi 29 novembre à l’âge de 100 ans “dans sa maison du Connecticut”, a annoncé son cabinet de conseil, Kissinger Associates. L’ancien secrétaire d’État de Richard Nixon et Gerald Ford fut certainement “le diplomate le plus influent d’Amérique”, résume Politico.

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 PHOTO STEPHEN VOSS

Seule personne à avoir été à la fois conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État de la Maison-Blanche, il a exercé un contrôle sur la politique étrangère américaine qui a rarement été égalé”, remarque le Washington Post.

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ENTRETIEN KISSINGER-PINOCHET / 1976 /
ARCHIVES HISTORIQUES DU MINISTÈRE
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU CHILI

Initiateur de la détente avec l’Union soviétique et du dégel des relations avec la Chine de Mao dans les années 1970, Kissinger peut “être considéré comme en grande partie responsable des changements politiques de très grande ampleur qui ont réorienté le cours des affaires mondiales”, souligne le quotidien américain.

LE DUC THO (À GAUCHE) MET EN LUMIÈRE HENRY KISSINGER
(À DROITE), LAURÉAT DU PRIX NOBEL DE LA PAIX, ALORS QU'IL
POSE POUR LES PHOTOGRAPHES À PARIS LE 23 MAI 1973.
PHOTO MICHAEL LIPCHITZ / AP

Avec le Vietnamien Le Duc Tho, le diplomate a aussi partagé le prix Nobel de la paix pour les négociations secrètes qui ont abouti aux accords de Paris de 1973 et mis fin à la participation militaire américaine à la guerre du Vietnam. “Sa célèbre ‘diplomatie de la navette’ [caractérisée par l’action d’une tierce partie servant d’intermédiaire entre différents belligérants d’un conflit] après la guerre du Moyen-Orient de 1973 a” par ailleurs “contribué à stabiliser les relations entre Israël et ses voisins arabes”, rappelle le Washington Post.

HENRY KISSINGER
 PHOTO GERO BRELOER
 

Un “héritage compliqué”

Mais la presse américaine, à commencer par le New York Times, pointe aussi unanimement du doigt “l’héritage compliqué” de l’ancien secrétaire d’État, dont l’influence considérable “façonna l’histoire de la guerre froide”. “Peu de diplomates ont été à la fois célébrés et vilipendés avec autant de passion que M. Kissinger”, souligne le quotidien américain.

« Kissinger est mort, voici son héritage»
FLYER DE « FUNES LE MÉMORIEUX »

Car l’homme politique a vu son image ternie par des pages sombres de l’histoire des États-Unis : il a notamment soutenu le coup d’État de 1973 au Chili ainsi que l’invasion du Timor oriental par le président indonésien Suharto en 1975, qui entraîna la mort de 200 000 personnes. “Les militants des droits de l’homme” ont aussi “longtemps soutenu que Kissinger aurait dû être accusé de crimes de guerre pour son rôle dans la supervision des bombardements secrets du Cambodge et du Laos par l’administration Nixon au plus fort de la guerre du Vietnam, note le Wall Street Journal. Les opérations militaires américaines ont tué des milliers de Cambodgiens et de Laotiens, selon les experts de l’Asie du Sud-Est, et ont par inadvertance contribué à amener le mouvement radical des Khmers rouges au pouvoir à Phnom Penh.

Un “praticien impitoyable de la realpolitik”

“Praticien impitoyable de l’art de la realpolitik”, Kissinger “percevait le monde comme un échiquier élaboré sur lequel il fallait jouer de manière habile”, analyse Politico. Quitte à “dépasser les limites de la morale”, souligne le Los Angeles Times.

HENRY KISSINGER AVEC LE DIRIGEANT CHINOIS MAO ZEDONG ET
 SON PREMIER MINISTRE ZHOU ENLAI, EN 1973 À PÉKIN. KISSINGER
A JOUÉ UN RÔLE DÉTERMINANT DANS LA MÉDIATION DE LA DÉTENTE
ENTRE LA CHINE  ET LES ÉTATS-UNIS, QU’IL CONSIDÉRAIT COMME UN
ÉLÉMENT CLÉ POUR SORTIR L’AMÉRIQUE DE LA GUERRE DU VIETNAM
ET POUR ÉQUILIBRER LES SUPERPUISSANCES DE LA GUERRE FROIDE.
KISSINGER S’ÉTAIT RENDU SECRÈTEMENT À PÉKIN EN 1971 POUR
NÉGOCIER LA VISITE DU PRÉSIDENT RICHARD NIXON L’ANNÉE SUIVANTE.
PHOTO AP

Les coups diplomatiques de Kissinger ont fait de lui un héros auprès des Américains […] craignant un Armageddon nucléaire”, rappelle le Wall Street Journal. Mais il s’est aussi “attiré la colère de la gauche américaine, qui le tenait pour responsable de brutalités commises à l’étranger, ainsi que de la droite, qui le considérait avec suspicion parce qu’il prônait la détente auprès des régimes communistes”.

Noémie Taylor-Rosner, Courrier international

Noémie Taylor-Rosner