07 novembre, 2023

AVEC BEATRIZ HEVIA, L’EXTRÊME DROITE CHILIENNE SE REFAIT UNE JEUNESSE

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LA PRÉSIDENTE DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE CHILIENNE,
BEATRIZ HEVIA, APPLAUDIE LORS DE SA PRISE DE FONCTION,
LE 7 JUIN, À SANTIAGO DU CHILI.
PHOTO ELVIS GONZÁLEZ/EFE/ MAXPPP
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LE MONDE
CHILI / Avec Beatriz Hevia, l’extrême droite chilienne se refait 
une jeunesse / À 31 ans, la juriste préside le conseil chargé de rédiger la nouvelle Constitution du Chili, qui doit être soumise au référendum le 17 décembre. Affable, celle qui se garde bien de condamner la dictature de Pinochet défend une vision ultraconservatrice et néolibérale de son pays.

Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)

Temps de Lecture 3 min.

«NOUS ALLONS DIRE NON»

Le 7 novembre, le président de gauche chilien, Gabriel Boric (Convergence démocratique), recevra des mains de Beatriz Hevia, présidente du Conseil constitutionnel, chargé de l’élaboration d’une nouvelle Loi fondamentale, sa proposition de Constitution. Sur le plan des idées, tout les sépare. Gabriel Boric a porté lors de sa campagne ­présidentielle, fin 2021, un projet profondément progressiste et social. À l’autre bout du spectre politique, Beatriz Hevia, élue d’extrême droite, défend un modèle de société ultraconservateur et néolibéral. Leur point commun : ils sont tous les deux trentenaires. Gabriel Boric est le plus jeune président de l’histoire du pays, élu à 35 ans. Beatriz Hevia tient les rênes du Conseil constitutionnel, à seulement 30 ans.

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Comme l’ensemble des cinquante membres de cette assemblée constituante, l’avocate de formation a été élue le 7 mai, lors d’un scrutin au vote obligatoire. Le Conseil qu’elle préside est chargé de remplacer la constitution actuelle, héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Pour les Chiliens, ce processus a des airs de déjà-vu. Entre 2021 et 2022, une autre assemblée, penchant largement à gauche a rédigé un texte progressiste, féministe et social. Mais il a été rejeté par une large majorité de la population, le 4 septembre 2022, lors d’un référendum, entraînant une nouvelle élection.

En un ­mouvement pendulaire, de la gauche vers l’extrême droite, l’élection du 7 mai a consacré la percée du Parti républicain (extrême droite), auquel appartient Beatriz Hevia. Loin des sorties polémiques ou frontales de certains membres du parti, « Beatriz Hevia est jeune, intelligente. Elle est le visage affable des Républicains », observe Jeanne Simon, professeure associée et chercheuse en science politique à l’université de Concepción.

Conseillère parlementaire à 26 ans

Elue pour la circonscription de Los Lagos (930 kilomètres au sud de Santiago), elle représente le Chili des régions éloignées des lieux de pouvoir. Elle suit pourtant ses études de droit avec l’élite de Santiago, à ­l’université privée et catholique des Andes. Un campus aux faux airs américains, fréquenté par des étudiants issus de classes favorisées, dans une banlieue chic de la capitale. Beatriz Hevia est cette élève discrète, aux longs cheveux blonds et aux épaisses lunettes de vue. « Elle était très sérieuse, concentrée », se souvient Luis Silva, son ancien professeur de droit, élu à l’assemblée constituante pour le Parti républicain.

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L’étudiante aux idées conservatrices se fait remarquer par le député très à droite José Antonio K4st, futur fondateur du Parti républicain en 2019. À 26 ans à peine, elle devient conseillère parlementaire du député de droite Harry Jürgensen Rundshagen (de 2018 à 2021). Ils ont vingt-cinq ans d’écart mais leurs familles – d’importants éleveurs du sud du pays, d’origine allemande – se connaissent bien. « On a reçu la même éducation. Beatriz est une chrétienne qui défend ­profondément la famille et la vie dès la conception », décrit le député désormais allié à l’extrême droite.

Dans les couloirs du Congrès, la jeune conseillère parlementaire découvre les rouages du pouvoir et s’exerce à l’art de la négociation politique, « elle est perfectionniste, douée pour décrocher des compromis», poursuit Harry Jürgensen Rundshagen. C’est ce qui lui vaut de rejoindre, entre 2021 et 2022, le cabinet du ministère de l’économie, sous le mandat de Sebastián Piñera (droite), président jusqu’en 2022.

État en retrait, famille, patrie

En prenant la tête, le 7 juin, de ce Conseil constitutionnel, elle passe de l’ombre à la lumière. «Elle a une lourde tâche sur les épaules, pour son jeune âge. Mais Beatriz Hevia est une politique traditionnelle, dans le sens où elle maîtrise les codes », souligne Kenneth Bunker, politologue à l’université San Sebástian, au Chili. Malgré son âge, « elle s’est approprié sa fonction avec une très grande assurance. Elle n’hésite pas à rappeler les conseillers à l’ordre quand il y a du chahut », salue Luis Silva. Sur les plateaux de télévision, toujours calme, souriante et consensuelle, elle défend le travail des élus qu’elle préside. « On avance dans le sens du ­compromis », assure-t-elle le 1er septembre, sur la chaîne Youtube relatant officiellement le processus constitutionnel.

Pourtant, au sein de l’Assemblée, le climat n’est pas à la conciliation. Le Parti républicain, Beatriz Hevia en tête, œuvre pour son projet : État en retrait, famille, patrie. Le centre gauche, minoritaire, critique un texte aux airs de programme politique, et non porteur d’une vision constitutionnelle. La première version, conçue par un comité d’experts, est en train d’être durcie par les élus Républicains avec notamment l’adoption, en septembre, d’un article défendant « la vie de celui qui va naître ». Une remise en question d’un relatif droit à l’avortement, autorisé depuis 2017 uniquement en cas de viol, de danger pour la vie de la femme enceinte ou de non-viabilité du fœtus.

Interrogée sur la dictature militaire, sujet clivant au sein de la société chilienne, Beatriz Hevia, née deux ans après le retour de la démocratie, botte en touche : « Mon rôle est de regarder vers le futur, je suis née en 1992 », élude-t-elle. Elle reproduit ainsi le discours ambigu des Républicains sur la dictature, se gardant de condamner fermement le coup d’Etat, tandis que d’autres, au sein du parti, revendiquent explicitement l’héritage du modèle néolibéral d’Augusto Pinochet. Les Chiliens devront décider, le 17 décembre, lors d’un référendum, s’ils souhaitent adopter cette nouvelle Constitution, en remplacement de celle qui avait été écrite elle aussi en grande partie par l’extrême droite.

Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)


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