01 décembre, 2023

LE CHILI SE SOUVIENT DE KISSINGER, « ARCHITECTE » DE LA DICTATURE PINOCHET

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 ILLUSTRATION MARÍA ELIZAGARAY ESTRADA

Le Chili se souvient de Kissinger, « architecte » de la dictature PinochetLes puissants du monde entier ont célébré la mémoire de l’ancien diplomate américain, décédé mercredi à l’âge de 100 ans. Mais au Chili, c’est son rôle dans le coup d’État sanglant d’Augusto Pinochet qui a été mis en avant, ravivant les divisions.

Yasna Mussa

Santiago (Chili).– 

KISSINGER AVEC LE DICTATEUR CHILIEN,
LE GÉNÉRAL AUGUSTO PINOCHET, EN 
JUIN
1976. 
PHOTO ARCHIVES DE
LA SÉCURITÉ NATIONALE

Dès l’annonce du décès d’Henry Kissinger, à l’âge de 100 ans, dans la nuit du mercredi 29 au jeudi 30 novembre, les réactions au Chili n’ont pas tardé. Car il ne s’agit pas d’un homme politique ordinaire pour ce pays d’Amérique du Sud.

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L’ancien secrétaire d’État des États-Unis, salué, à l’annonce de sa mort, par tous les puissants du monde, dont Emmanuel Macron, qui a évoqué un « géant de l’histoire », a occupé un rôle clé sous deux présidents, Richard Nixon et Gerald Ford. Mais il a surtout joué un rôle actif en fournissant des ressources et un soutien au coup d’État qui a renversé le gouvernement démocratique et socialiste de Salvador Allende en septembre 1973. À partir de ce moment, une persécution sanglante a été déclenchée contre les opposants à la dictature civilo-militaire.

L’AMBASSADEUR DU CHILI
À WASHINGTON, JUAN GABRIEL VALDÉS
 

« Un homme est mort dont l’éclat historique n’a jamais réussi à cacher sa profonde misère morale », a écrit sur son compte X (ex-Twitter) Juan Gabriel Valdés, ambassadeur du Chili aux États-Unis. Son message a été repris par le président Gabriel Boric lui-même, suscitant immédiatement une vague de critiques de la part de l’opposition, mais indiquant clairement que La Moneda, siège de la présidence à Santiago, soutenait les propos du représentant chilien à Washington.

Peu après l’élection du président Salvador Allende en 1970, Kissinger avait déclaré : « Nous ne laisserons pas le Chili tomber dans les égouts. » Il a alors lancé un plan visant à renverser le gouvernement socialiste par une campagne constante de harcèlement et de pression sur différents fronts, connue sous le nom de « Track I » et « Track II ». Malgré ce bilan, il a reçu en 1973 un prix Nobel de la paix, conjointement avec Le Duc Tho, le négociateur nord-vietnamien, « pour avoir négocié ensemble un cessez-le-feu au Viêt Nam en 1973 ». Le Duc Tho avait refusé le prix.

La députée Carmen Hertz, militante du Parti communiste, avocate des droits humains et veuve de Carlos Berger, disparu pendant la dictature, a également utilisé les réseaux sociaux pour exprimer son rejet de l’homme politique américain. Dans une publication, elle a détaillé son héritage : renversement du gouvernement chilien, soutien des États-Unis à la dictature d’Augusto Pinochet, bombardements au Cambodge et au Laos, soutien à l’invasion du Timor oriental, assassinats au Bangladesh, terrorisme d’État en Argentine, et coût humain de la guerre du Viêt Nam.

Lorena Pizarro, députée communiste et ancienne présidente de l’Association des familles de détenus disparus (Agrupación de Familiares de Detenidos Desaparecidos), a également eu des mots très sévères : « L’un des plus grands criminels de l’histoire meurt en toute impunité. Son sinistre passage dans le monde a fait des milliers et des milliers de victimes dans le monde entier. Avec lui, la misère humaine a été incarnée. » 

La droite en soutien

« L’ambassadeur Valdés a porté un jugement historique sur le fait qu’il ne fait aucun doute que le personnage n’a pas été positif pour le Chili et il a le droit d’exprimer son opinion. Il s’agit d’un jugement historique et non d’une opinion politique. L’influence des États-Unis dans le coup d’État est reconnue », a déclaré le président de la commission des affaires étrangères du Parlement, Tomás de Rementería, indépendant mais affilié au Parti socialiste au pouvoir.

Malgré les archives qui prouvent la responsabilité de Kissinger dans l’intervention américaine, sa figure suscite encore aujourd’hui la division. Face aux réactions de la gauche, la droite a répliqué pour défendre son allié durant les années sombres de la dictature d’Augusto Pinochet.

« La gauche que représente l’ambassadeur n’a pas le droit de porter un jugement moral sur une figure de l’histoire américaine, l’une des plus influentes du XXème siècle. Un homme politique qui a vu le danger que représentait Salvador Allende, mais qui a eu la lucidité d’entrevoir l’importance de la Chine à l’époque de la guerre froide [...]. Monsieur l’ambassadeur, vous n’avez rien à faire dans le rôle de commentateur. Vous feriez mieux de vous consacrer à attirer les investissements américains », a déclaré Iván Moreira, sénateur du parti de droite Union démocratique indépendante (UDI), défenseur de la dictature de Pinochet et membre de la commission des relations extérieures du Congrès.

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Il n’est pas le seul à défendre la mémoire de l’ancien diplomate. D’autres parlementaires se sont joints à la critique. Le député Stephan Schubert a souligné que « M. Valdés, malgré son expérience, oublie qu’il représente et travaille pour le Chili aux États-Unis. Le gouvernement devrait réglementer l’utilisation des réseaux sociaux, afin de signaler à ses employés, fonctionnaires et représentants qu’ils ne peuvent pas continuer à exprimer leurs opinions personnelles ».

L’ambassadeur Valdés s’est justifié par la suite au micro de la radio Cooperativa, soulignant que Kissinger « a commis un certain nombre de crimes absolument hors du commun », même si « c’était un homme brillant intellectuellement ». « Mais il avait la mégalomanie de prétendre gérer l’histoire, comme l’ont fait d’autres tyrans au XXème siècle. Il a toujours pensé qu’il allait résoudre les problèmes. »

Les archives de Kissinger

Le 3 novembre 2020, à l’occasion de l’anniversaire commémorant le jour où Salvador Allende a accédé à la présidence de la République, les archives nationales de sécurité des États-Unis et le chercheur Peter Korbluhn avaient publié un ensemble de documents expliquant en détail comment et pourquoi le président Nixon et son conseiller Henry Kissinger ont mis en œuvre une politique agressive de déstabilisation du Chili. Des opérations secrètes qui, comme le dira plus tard Kissinger, ont « créé les meilleures conditions » pour le coup d’État de 1973.

« Henry Kissinger a été le principal architecte de la politique américaine qui a contribué au démantèlement de la démocratie et à l’avènement de la dictature au Chili », a écrit Peter Kornbluh, directeur de la section Chili des archives de la sécurité nationale de l’université George Washington, dans le journal La Tercera. 

Le travail méticuleux de Kornbluh a mis en évidence chaque étape de la stratégie d’intervention de Kissinger pour détruire la démocratie chilienne. « Ses sinistres efforts au Chili, consignés dans ses propres documents secrets, seront toujours le talon d’Achille de son héritage », relève-t-il.

En 1976, Kissinger s’est rendu au Chili, trois ans après le putsch de Pinochet, pour afficher son soutien au régime, malgré les violations des droits humains. « Nous sympathisons avec ce que vous essayez de faire ici. Vous avez rendu un grand service à l’Occident en renversant Allende », a-t-il alors déclaré à Pinochet, ajoutant : « Vous êtes une victime de tous les groupes de gauche dans le monde et votre plus grand péché a été de renverser un gouvernement qui était en train de devenir communiste. »

Le discours officiel

Dès 1974, le New York Times avait dévoilé, grâce à une enquête du journaliste Seymour Hersh, les opérations secrètes de la CIA visant à saper le gouvernement Allende, déclenchant un énorme scandale.

Le rôle clandestin joué par les États-Unis au Chili a été révélé au grand jour, ce qui a donné lieu à la première enquête de fond du Congrès sur les opérations secrètes américaines, aux premières auditions publiques sur les opérations de la CIA et à la première publication d’une étude majeure sur ce chapitre sombre, « Covert Action in Chile, 1963-1973 », rédigée par la commission spéciale du Sénat américain et présidée par le démocrate Frank Church.

« La nature et l’étendue du rôle joué par les États-Unis dans le renversement d’un gouvernement chilien démocratiquement élu sont des questions qui préoccupent profondément et en permanence l’opinion publique », a alors déclaré le sénateur Church.

Toutefois, l’administration du président Gerald Ford a gardé secrètes certaines des informations (finalement publiées en 2020 par les Archives nationales de sécurité), s’appuyant sur ce que l’on appelle le « privilège de l’exécutif ». Alors que les responsables américains cherchaient à cacher l’objectif de l’intervention américaine au Chili, les enquêteurs du Sénat n’ont pas eu accès à l’historique complet des délibérations et des décisions de la Maison-Blanche sur le Chili dans les jours qui ont précédé et suivi l’investiture d’Allende.

Immédiatement après les révélations de Hersh, le président Ford a publié une reconnaissance sans précédent, quoique fallacieuse, des opérations secrètes de la CIA dans ce pays d’Amérique du Sud. Dans le même temps, son administration continuait à accorder des prêts à la dictature. Et Washington rassurait le régime chilien face aux menaces du Congrès.

Yasna Mussa


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BENDER, NIXON ET KISSINGER
FUTURAMA 



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