30 décembre, 2023

PALESTINIENS DU CHILI : «ON NE PEUT EFFACER D’UN TRAIT CINQ GÉNÉRATIONS D’IMMIGRATION RÉUSSIE»


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UNE MANIFESTATION PRO-PALESTINIENNE DEVANT L'AMBASSADE
DES ÉTATS-UNIS, À SANTIAGO, LE 11 DÉCEMBRE 2023.
PHOTO CARLOS P. CARCAMO


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LIBÉRATION


Reportage / Palestiniens du Chili : «On ne peut effacer d’un trait cinq générations d’immigration réussie» / Article réservé aux abonnés / La guerre entre le Hamas et Israël dossier / Très loin de Gaza et d’Israël, le Chili accueille la plus grande communauté palestinienne du monde en dehors du Moyen-Orient. Un demi-million de personnes qui appelle à la fin d’un conflit qu’ils refusent d’importer dans les Andes.
UNE FEMME ET DEUX FILLETTES PALESTINIENNES, BLESSÉES
PAR UNE FRAPPE ISRAÉLIENNE, VIENNENT SE FAIRE SOIGNER
 À L'HÔPITAL DE KHAN YOUNÈS, DANS LE SUD DE LA BANDE DE
 GAZA, UNE ZONE CONSIDÉRÉE PAR L'ARMÉE ISRAÉLIENNE
COMME UN BASTION DU HAMAS.
PHOTO : AFP VIA GETTY IMAGES
Les manifestations contre les bombardements de Tsahal sur la bande de Gaza se sont tues depuis quelques semaines. Dans les artères de Santiago subsistent d’innombrables affiches qui stigmatisent le gouvernement israélien qualifié d’«État génocidaire», «qui a assassiné 2 000 enfants ces deux dernières semaines», ou qui «tue un Palestinien toutes les quatre minutes». A 13 000 kilomètres de l’enclave gazaouie, le Chili abrite en effet la plus grande diaspora palestinienne en dehors du Moyen-Orient, estimée à 500 000 personnes.

« FIN AU GÉNOCIDE»
PHOTO PRENSA LATINA

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«Y A-T-IL DES ENFANTS  ICI? »

«Le soutien du début s’essouffle, mais c’est presque logique. Au départ, tous ceux qui ont un pote ou un collègue d’origine palestinienne étaient sensibilisés par le massacre en cours, puis tout s’est tassé», explique Yamil, 24 ans, étudiante au Centre d’études arabes de l’université du Chili. Une partie de sa famille vit encore à Beit Jala, une ville de Cisjordanie entre Bethléem et Jérusalem. «Noël, la nouvelle année et les vacances qui arrivent, les Chiliens ont de quoi s’occuper. Nous autres qui avons des proches vivant à Gaza ou dans les territoires voisins, on tente de maintenir le contact malgré les coupures imposées par Israël. On vit dans une angoisse qui ne s’arrête jamais.» Attablée à une terrasse de la rue Marconi, elle enquille des cafés trop épais et des pâtisseries arabes déconseillées aux diabétiques.
DES PALESTINIENS DEVANT LES DÉCOMBRES LAISSÉS PAR LES
BOMBARDEMENTS ISRAÉLIENS, À RAFAH, LE 29 DÉCEMBRE 2023.
PHOTO FATIMA SHBAIR, AP
Les manifestations contre les bombardements de Tsahal sur la bande de Gaza se sont tues depuis quelques semaines. Dans les artères de Santiago subsistent d’innombrables affiches qui stigmatisent le gouvernement israélien qualifié d’«Etat génocidaire», «qui a assassiné 2 000 enfants ces deux dernières semaines», ou qui «tue un Palestinien toutes les quatre minutes». A 13 000 kilomètres de l’enclave gazaouie, le Chili abrite en effet la plus grande diaspora palestinienne en dehors du Moyen-Orient, estimée à 500 000 personnes.

UN GARÇON DE HUIT ANS DE LA VILLE PALESTINIENNE DE RAFAH
 EST ASSIS DANS LES RUINES DE SA MAISON BOMBARDÉE PAR
ISRAËL, LE 18 NOVEMBRE.
PHOTO EYAD EL BABA / UNICEF
À Patronato, sur la commune de Recoleta, dans le nord de la capitale chilienne, des drapeaux palestiniens continuent de flotter, épars, en haut des lampadaires. Dans ce dédale accidenté de quelques centaines de mètres carrés, un nombre incalculable d’étals de fortune ou de stands montés à la hâte proposent toutes sortes d’ingrédients ou de produits venus d’extrême ou du Moyen-Orient, hâtivement rebaptisés en espagnol. La foule infinie qui arpente ces rues à ciel ouvert n’en a que pour ses emplettes pré-nouvel an. Seuls quelques anciens restent agglutinés devant Al-Jazeera dans un rade de Santa Filomena, une artère dans laquelle figure San Jorge, la plus vieille église orthodoxe du pays que les premiers émigrés palestiniens ont construite il y a plus d’un siècle. «Ici, l’histoire de notre communauté remonte à la fin du XIXème siècle, argumente Daniel, 57 ans, entrepreneur dans le textile. Nos parents ont galéré pour se faire accepter, mais ils y sont parvenus. On reste néanmoins connectés à tout ce qui se passe en Palestine, à ces souffrances inacceptables. Malgré les nuits d’angoisse pour savoir si les nôtres sont toujours vivants, les «Chilo-Palestiniens» restent pacifiques. Le Hamas ne représente pas les Palestiniens, loin de là. On ne résoudra rien par la violence

De fait, quand la synagogue Bicur Joilim a été vandalisée dans le centre de Santiago vendredi 22 décembre avec de la peinture rouge sang et des slogans hostiles («Renversons le sionisme» ; «Palestine libre»), l’association de la Communauté palestinienne dans le pays andin, impeccable depuis le 7 octobre, s’est fendue d’un communiqué ferme et sans ambiguïté : «Nous réitérons ce que nous avions dit précédemment. Nous condamnons quiconque appellerait à s’attaquer aux institutions juives au Chili. Les expressions de soutien au sort des Palestiniens et la condamnation du génocide et du nettoyage ethnique du peuple palestinien par le gouvernement Nétanyahou ne peuvent inclure la violence. Qui se solidarise avec les revendications légitimes palestiniennes ne doit pas tomber dans les méthodes dont a souffert notre peuple depuis des décennies et surtout ne pas mélanger le judaïsme avec la politique de l’État d’Israël.»

Même si les Palestiniens ont une représentation diplomatique depuis douze ans au Chili, et le premier gouvernement Piñera, quelques incidents récents ont perturbé le quotidien des Chilo-Palestiniens. «Anuar Quesille était sur le point de devenir le médiateur d’une structure nationale pour enfants et certains parlementaires ont refusé de voter pour lui, parce qu’il a des ancêtres palestiniens, plaide Diego Khamis, avocat et porte-parole de la Communauté palestinienne à l’ombre de la cordillère. Nous sommes chiliens, mais ça ne nous empêche pas d’être viscéralement attachés à la terre de nos ancêtres. Le reste est plus diffus. Des bagarres dans des fêtes, des insultes dans la rue, sur les réseaux sociaux. Nous apercevons des choses jamais vues auparavant

Le gouvernement de Gabriel Boric s’emploie pourtant de son côté à ménager la chèvre et le chou, condamnant les attaques du 7 octobre, puis rappelant son ambassadeur en Israël après les bombardements sur Gaza. Il y a quelques jours, le président en place a célébré Hanoukka à la Moneda avant de commémorer le Noël des Chiliens d’origine palestinienne dans la capitale avec Sebastian Piñera et Michelle Bachelet, ses deux prédécesseurs. «Je ne crois pas à l’importation du conflit sous nos latitudes, pense savoir Marcel Aubry, politologue à la Faculté de gouvernement de Santiago. Il n’y a pas d’enjeu de territoire et la communauté palestinienne est parfaitement intégrée. Sans doute que la diffusion des images de l’attentat terroriste du Hamas par l’ambassade d’Israël a un peu ravivé les braises, mais on ne peut effacer d’un trait cinq générations d’immigration réussie.»

Près du pont Ronald-Wood, qui enjambe le Mapocho, ce cours d’eau torrentiel et boueux en ce début d’été austral qui sinue dans Santiago, se trouve une énorme bâche plastifiée qui proclame à la vue de tous : «Gaza résiste, la Palestine existe». Non loin de là, dans un café de la rue Bellavista, Francisca, 36 ans, est thérapeute la semaine et supportrice du Deportivo Palestino le week-end. Ce club de foot professionnel de la communauté joue dans l’élite du championnat andin, connu dans le monde entier, entre autres, pour avoir évolué il y a dix ans avec la carte de la Palestine d’avant la création de l’État d’Israël dessinée sur le dos de son maillot. La trentenaire théorise sa double culture. «Longtemps, nos familles ont été méprisées par la haute société chilienne. On disait qu’ils ne contribuaient pas à la société, qu’ils étaient ambitieux, licencieux d’un point de vue sexuel. Elle s’esclaffe avant de reprende. Depuis plusieurs décennies, on a investi tous les champs de l’économie d’ici. Peu importe que nous soyons assimilés ici, le sang ne devient pas de l’eau. C’est comme ce qui se passe en Palestine, ça n’a pas commencé le 7 octobre mais il y a soixante-quinze ans.»
Très loin de Gaza et d’Israël, le Chili accueille la plus grande communauté palestinienne du monde en dehors du Moyen-Orient. Un demi-million de personnes qui appelle à la fin d’un conflit qu’ils refusent d’importer dans les Andes.