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Argentine : l’ultralibéral Javier Milei prend ses fonctions et promet un « choc » d’austérité/ Dans son discours d’investiture, le nouveau président a annoncé, dimanche, une période « dure », marquée par le chômage, la stagnation économique et l’inflation.
Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)
« - Papa Milei a gagné... Vous nous entendez ? Milei a gagné ! - Vous vouliez une mort naturelle sans le déconnecter... » DESSIN SERGIO LANGER |
sous les vivats de la foule, le nouveau président de l’Argentine a annoncé des mois de sacrifice et de souffrance. Dimanche 10 décembre, l’ultralibéral Javier Milei a officiellement pris ses fonctions, à Buenos Aires, après sa large élection le 19 novembre (55,65 % des voix), face à Sergio Massa, candidat du gouvernement sortant d’Alberto Fernandez (centre gauche, 2019-2023). Une cérémonie d’investiture iconoclaste et à l’américaine : après avoir prêté serment au Congrès, le nouveau président ne s’est pas adressé aux parlementaires, comme le veut la tradition, mais à ses partisans, sur le parvis de l’institution.
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« Il n’y a pas d’argent », a lancé avec vigueur l’économiste de 53 ans, tournant le dos au Congrès. Il est largement revenu sur « le pire héritage » qu’un gouvernement ait jamais reçu, selon lui, oubliant la crise économique et sociale de 2001, mais aussi la dictature militaire (1976-1983). Ainsi, face à une inflation de 143 % sur un an, une balance commerciale déficitaire, une pauvreté de 40 %, « il n’y a pas d’alternative au choc » d’austérité, a-t-il expliqué à une foule dont la joie n’a pas été ébranlée par la description qu’il a faite des sombres mois à venir : chute de l’activité économique, de l’emploi et des salaires, augmentation de la pauvreté, et même de l’inflation.
Javier Milei s’est ensuite rendu en décapotable à la Casa Rosada, le palais présidentiel, où il a reçu les dignitaires étrangers venus assister à son investiture, parmi lesquels l’Ukrainien Volodymyr Zelensky, le Chilien Gabriel Boric, le roi d’Espagne Felipe, mais également les représentants de l’extrême droite mondiale : le premier ministre hongrois, Viktor Orban, l’ex-chef d’État brésilien Jair Bolsonaro, le dirigeant du parti espagnol Vox, Santiago Abascal…
LE PRÉSIDENT UKRAINIEN VOLODYMYR ZELENSKYY EMBRASSE LE NOUVEAU PRÉSIDENT ARGENTIN JAVIER MILEI. PHOTO GUSTAVO GARELLO / AP |
Puis, sortant au balcon de la Casa Rosada pour saluer la foule, Javier Milei s’est exclamé : « Aujourd’hui, nous, les Argentins dans le camp du bien, avons décrété la fin de la nuit populiste et la renaissance de l’Argentine prospère et libérale ! », avant de conclure par une série de « Vive la liberté, bordel ! », son indéfectible slogan.
Nécessité de tisser des alliances
Telle une première dame, sa sœur Karina Milei, 50 ans, « le chef », comme le président la surnomme, a occupé une place de choix tout au long de l’investiture, saluant la foule sur le chemin entre le Congrès et le palais présidentiel. Elle occupera le poste de secrétaire générale de la présidence, au plus près de son frère. Dimanche, Javier Milei l’a intronisée, la voix soudain prise par l’émotion. Il a dû pour cela abroger un décret de l’ex-président Mauricio Macri (2015-2019), qui interdisait la nomination de proches directs des membres de l’exécutif.
Une poignée d’heures après son investiture, Javier Milei a signé un autre décret, réduisant le nombre de ministères de dix-huit à neuf. Cette décision s’inscrit dans sa volonté de tailler dans les dépenses publiques. La santé, qui devait rejoindre un super-ministère du capital humain (travail, éducation, développement social), conserve finalement son propre portefeuille.
« Félicitations, Président Milei ! Je ne changerais pas une seule virgule à son discours au Congrès », s’est enthousiasmé Mauricio Macri sur X. L’ex-président avait apporté un soutien de poids à Javier Milei entre les deux tours. Son parti, la Propuesta Republicana (PRO) ainsi que son ancien gouvernement de centre droit sont largement représentés parmi les ministres nommés par Javier Milei, illustrant l’influence de l’ancien chef de l’Etat mais aussi la nécessité pour le nouveau président de tisser des alliances au Congrès. La candidate de la droite arrivée troisième au premier tour, Patricia Bullrich, a ainsi été nommée à la tête du ministère de la sécurité, et son colistier, Luis Petri, au ministère de la défense.
Dette gigantesque
Surtout, Javier Milei a désigné deux hommes de l’ancien gouvernement de Mauricio Macri à des postes-clés au regard de son programme économique, faisant fi du mauvais bilan porté par l’ex-président : récession, hausse de la pauvreté et de l’inflation et une dette gigantesque auprès du Fonds monétaire international (FMI) de 45 milliards de dollars (42 milliards d’euros). Oubliées, donc, les diatribes de Javier Milei contre « la caste », l’élite politique au pouvoir ces dernières décennies.
Ainsi, Luis Caputo, surnommé « le Messi de la finance », occupe le poste de ministre de l’économie. Ancien ministre des finances de M. Macri lors de la demande de prêt au FMI, cet économiste cité dans les « Panama Papers » – une série de fuites concernant des sociétés offshore – a aussi été président de la banque centrale pendant trois mois en 2018. Son parcours est surtout marqué par son expérience dans le secteur financier, chez J.P. Morgan mais aussi chez Deutsche Bank. « Javier Milei a fait preuve de pragmatisme, Luis Caputo est un homme d’expérience et de réseau, avec des contacts à Wall Street et parmi les investisseurs étrangers », estime Diego Martinez Burzaco, directeur de stratégie au sein de l’entreprise d’investissement Inviu.
À la tête de la banque centrale, que Javier Milei avait promis de supprimer pendant sa campagne : Santiago Bausili, secrétaire des finances sous le gouvernement de M. Macri. Il affiche un parcours très similaire à celui de M. Caputo, avec une longue expérience dans le secteur privé, également chez J.P. Morgan et chez Deutsche Bank. Les deux hommes se connaissent bien. Avant de prendre leurs nouvelles fonctions, ils étaient associés au sein du cabinet de conseil financier Anker Latinoamerica.
Des mesures économiques attendues
Cette proximité est un « contresens », souligne Hernan Letcher, le directeur du groupe de réflexion Centre d’économie politique d’Argentine, alors que Javier Milei n’a cessé de répéter le besoin d’indépendance de la banque centrale. « Ce sont des personnes qui ont fait beaucoup de mal au pays. Ils incarnent la continuité avec le mandat de Mauricio Macri et l’insertion de la banque internationale au sein du cabinet de Javier Milei », ajoute l’économiste.
Le 5 décembre, juste avant la confirmation de Santiago Bausili à la banque centrale, la justice avait annulé la mise en examen de ce dernier dans une affaire de « négociations incompatibles avec l’exercice de la fonction publique ». Il était soupçonné d’avoir joué en la faveur de son ancien employeur, Deutsche Bank, alors qu’il officiait comme secrétaire des finances.
Sur le plan des réformes, les deux hommes ont pris leurs distances avec le programme radical de Javier Milei. Santiago Bausili a assuré que la fermeture de la banque centrale n’était pas à l’ordre du jour. Sa tâche consistera à arrêter l’émission monétaire, responsable de l’inflation galopante, selon Javier Milei. Luis Caputo, lui, n’est pas un fervent défenseur de la dollarisation, le remplacement de la monnaie nationale par le dollar, proposition phare du président, estimant que cela n’était pas une priorité.
Un ensemble de mesures économiques très attendues devraient maintenant être présentées au Congrès. « Le destin du pays va se jouer ces prochaines semaines », estime Diego Martinez Burzaco, soulignant que la possibilité réelle de Javier Milei d’activer sa thérapie de choc sans majorité au Congrès reste « une grande inconnue ».
Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)
Flora Genoux(Buenos Aires, correspondante)
DESSIN SERGIO LANGER |
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