24 décembre, 2023

CUBA ANNONCE UN IMPORTANT PLAN DE RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES

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LE PREMIER MINISTRE CUBAIN, MANUEL MARREO,
LE 21 DÉCEMBRE À LA HAVANE.
PHOTO YAMIL LAGE / AFP
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LE MONDE

INTERNATIONAL / CUBA / Cuba annonce un important plan de restrictions budgétaires / Face aux effets conjugués de l’embargo historique imposé par les États-Unis, des suites économiques de la pandémie de Covid-19 et d’une croissance en berne, le gouvernement va réduire les dépenses publiques, reconnaissant des inégalités de revenus au sein de la société cubaine.

Par Angeline Montoya 

UNE DU GRANMA DU
23 DÉCEMBRE 2023
« L’île vit un scénario d’économie de guerre. » C’est ainsi que le premier ministre cubain, Manuel Marrero, a justifié, mercredi 20 décembre, lors d’un discours devant l’Assemblée nationale, un des plans de restriction budgétaire les plus importants de ces dernières années, que certains secteurs de l’opposition ont qualifié de « néolibéral ».

Le premier ministre, après avoir attribué la situation actuelle du pays, comme de coutume, à l’embargo imposé par Washington depuis plus de soixante ans et aux crises internationales, a admis devant les parlementaires que le gouvernement « aurait pu faire beaucoup plus ». Les autorités ont reconnu ces derniers jours que le pronostic de croissance pour 2023 avait été revu à la baisse (entre − 1 % et − 2 % au lieu de l’augmentation prévue de 3 %).

Estimant qu’il n’est plus possible de « continuer à gaspiller », M. Marrero a annoncé une série de mesures destinées à réduire les dépenses publiques, parmi lesquelles une augmentation du tarif de certains services publics, comme l’électricité, le gaz, l’eau ou le transport de passagers – parfois de l’ordre de 25 % –, ainsi que du prix de l’essence. « Dans quel autre pays peut-on obtenir 9 litres d’essence avec un dollar ? Il faut en finir avec ce luxe », a-t-il asséné, alors que le salaire moyen sur l’île ne dépasse pas 4 000 pesos, soit l’équivalent de 15 dollars (13 euros environ).

Pour « un schéma plus juste et efficace »

Il a également laissé entendre que le nombre de fonctionnaires pourrait être « révisé » et a annoncé une dévaluation du peso et une modification des conditions d’attribution des produits de première nécessité à bas prix à travers le « carnet d’approvisionnement » (la « libreta »).

« En ville, les gens ont faim » : le quotidien harassant des Cubains pour acheter du poulet, du café ou de la lessive

Cette libreta a été mise en place en 1963, après l’imposition de la mise sous embargo de l’île par les États-Unis, dans le but de rationner les aliments. Tous les Cubains, sans distinction de revenus, recevaient ainsi chaque mois à des prix très largement subventionnés par l’État poulet, viande rouge, huile, beurre, lait condensé, café, et d’autres produits de première nécessité. Le carnet existe toujours, mais la liste de produits distribués s’est réduite au fil du temps – et des pénuries –, et il ne permet d’alimenter une famille que pendant une dizaine de jours par mois.

« Il n’est pas juste que ceux qui ont beaucoup reçoivent la même chose que ceux qui ont très peu, a expliqué le premier ministre. Aujourd’hui, nous subventionnons de la même manière un vieux retraité et le propriétaire d’une grande entreprise privée qui a beaucoup d’argent. »

AFFICHAGE DES PRIX DES DENRÉES ALIMENTAIRES DANS UNE
ENTREPRISE PRIVÉE À LA HAVANE, LE 20 DÉCEMBRE 2023.
PHOTO YAMIL LAGE / AFP

Reconnaissant ainsi l’existence d’inégalités sur l’île communiste, il a annoncé que le ministère du travail et de la sécurité sociale établirait dans les prochaines semaines des gradations de « vulnérabilité » afin d’identifier ceux qui pourront continuer à recevoir des produits subventionnés et de « ne laisser personne dans le besoin ». Il s’agit, a-t-il poursuivi, de « subventionner les personnes, et non les produits » afin d’arriver à « un schéma plus juste et efficace ».

« Grave insécurité alimentaire »

Sur X, l’économiste cubain Pedro Monreal s’est inquiété de ce « plan d’austérité », considérant que les hausses des tarifs des services publics « affectent le niveau de vie » des Cubains. Pour le Food Monitor Program, une ONG qui étudie l’insécurité alimentaire à Cuba, l’initiative n’est pas tant due à une volonté d’équité, mais à « l’incapacité [du gouvernement] à importer les rares produits livrés mensuellement », l’État ne disposant pas des devises suffisantes, alors que le pays vit une crise agroalimentaire sans précédent. « Compte tenu de la grave insécurité alimentaire qui règne à Cuba, la réduction des quelques denrées alimentaires subventionnées (…) entraînera une plus grande inégalité dans l’accès des Cubains à la nourriture », anticipe l’organisation.

Face aux critiques de certains secteurs de l’opposition, le président cubain, Miguel Diaz-Canel, a soutenu, samedi 23 décembre, devant l’Assemblée nationale, «qu’il n’existe absolument pas de paquet néolibéral contre le peuple, ni de croisade contre les PME, ni d’élimination du panier alimentaire de base comme la contre-révolution l’a installé sur les réseaux sociaux ». Le chef de l’État a cependant reconnu que « toutes les mesures peuvent, au début, accroître certaines problématiques ». « Le défi, a-t-il ajouté, c’est de les appliquer de manière organisée en évaluant leurs impacts et (…) de donner un traitement différencié pour ceux qui seront les plus affectés. »

« Rien, absolument rien de ce que nous faisons n’est fait pour affecter les citoyens. Notre tâche principale est la relance économique », avait-il posté sur X jeudi.

Cuba vit une crise économique, financière et sociale plus profonde que celle qui avait suivi la « période spéciale », après la dislocation du bloc de l’Union soviétique au début des années 1990. Le quotidien des Cubains se compose aujourd’hui de coupures d’électricité récurrentes, d’une inflation galopante et de pénuries d’aliments, d’essence ou de médicaments.

Tourisme en baisse depuis le Covid-19

La pandémie de Covid-19, qui a durement affecté le tourisme, principale source de devises de l’île, explique en partie cette situation. Contrairement à la République dominicaine ou le Mexique, l’île n’a pas retrouvé ses niveaux d’avant 2020. Si le gouvernement tablait sur 3,5 millions de visiteurs en 2023, le nombre de touristes devrait difficilement atteindre 2 millions, alors que le pays en accueillait entre 4 millions et 5 millions auparavant.

L’unification, au 1er janvier 2021, des deux monnaies locales jusque-là en vigueur – l’une convertible en dollars, l’autre pas – a fait augmenter l’inflation, et a aggravé les pénuries, alimentant le mécontentement qui s’est exprimé dans la rue le 11 juillet 2021 et provoquant une explosion de la migration – près d’un demi-million de Cubains sont parvenus aux États-Unis en 2022 et 2023.

Le blocus économique imposé par Washington dès 1962 – le plus long de l’histoire moderne –, et alourdi par le président Donald Trump à partir de 2017, continue lui aussi de nuire à l’économie du pays. Le 2 novembre, l’Assemblée générale de l’ONU a voté pour la trente et unième fois depuis 1992 une résolution demandant la levée de l’embargo, à 187 voix pour, deux contre (les États-Unis et Israël) et une abstention (l’Ukraine). Selon La Havane, le blocus a représenté des pertes équivalentes à 160 milliards de dollars (145 milliards d’euros) depuis son entrée en vigueur.

Angeline Montoya 

Angeline Montoya


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