De violents affrontements ont eu lieu jeudi dans la capitale, fragilisant la Présidente.
Avis de gros temps sur le gouvernement de la socialiste chilienne Michelle Bachelet, la seule femme à la tête d'un pays d'Amérique latine. «La capitaine du navire fait face et va devoir faire face à plusieurs mutineries», estime Patricio Nava, analyste politique à l'université Diego Portales de Santiago. Investie il y a à peine plus d'un an, Michelle Bachelet a encaissé plusieurs coups cette semaine : chute brutale de sa popularité, remaniement forcé de son gouvernement ; puis, dans la journée et la soirée de jeudi, des manifestations et des heurts violents avec la police qui se sont soldés, selon le dernier bilan (vendredi) du ministère de l'Intérieur, par plus de 800 interpellations et une trentaine de policiers blessés. Le ministère indiquait, par ailleurs, que «120 personnes» devaient être placées en garde à vue.
Les manifestations étaient prévues depuis longtemps 4 000 policiers avaient été déployés dans la capitale , mais elles ont surpris par leur ampleur. Elles avaient été convoquées par des mouvements de gauche et d'extrême gauche pour commémorer le «Jour du jeune combattant», date anniversaire de la mort de deux jeunes militants du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire), le 29 mars 1985, dans la répression d'une manifestation anti-Pinochet alors que le dictateur était encore au pouvoir. Jeudi, les heurts avec la police ont commencé dans la matinée dans le centre-ville avant de se propager dans les banlieues. Une centaine de bus ont été endommagés par des jets de pierres, des commerces pillés, tandis que dans certaines banlieues des barricades de pneus enflammés bloquaient les rues. La police répliquait armée de gaz lacrymogènes et de canons à eau. «A un certain moment, il y a eu jusqu'à 45 foyers d'incidents» dans la capitale, a indiqué vendredi le sous-secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Felipe Harboe.
Chaos grandissant. Cette année, le Jour du jeune combattant coïncidait avec de nouvelles manifestations convoquées pour protester contre le chaos grandissant dans les transports publics de la capitale. Depuis le 10 février, jour de la mise en place d'un nouveau système, le Transantiago, les habitants ne décolèrent pas. Le Transantiago, élaboré par l'Etat mais sous-traité à des opérateurs privés, était censé rationaliser les lignes de bus, décongestionner le centre-ville, diminuer la pollution et les nuisances sonores. Il n'a réussi qu'à démultiplier la pagaille. Pour beaucoup, notamment dans les banlieues pauvres, les itinéraires chamboulés ont été synonymes d'allongement du temps de transport. Depuis le 10 février, les manifestations contre le Transantiago n'ont pas cessé. Et la cote de popularité de la Présidente est descendue jusqu'à 42 %, la plus basse depuis son arrivée au pouvoir.
La crise des transports cache aussi un malaise social grandissant dans un pays où la croissance économique s'est tassée en 2006 elle est à son plus bas niveau depuis trois ans (4 %) et où les inégalités restent parmi les plus élevées du continent, même si le Chili est parvenu à diminuer fortement le taux de pauvreté. Michelle Bachelet, après avoir accusé «les entrepreneurs privés des transports» de ne pas «avoir tenu leurs promesses sur le Transantiago», a fini par reconnaître les erreurs de son gouvernement et se défaire de son ministre des Transports : «Les habitants de Santiago, les plus pauvres en particulier, méritent des excuses de notre part.»
Pressions. Dans un jeu de chaises musicales, son remaniement, mardi, a affecté trois autres portefeuilles, afin de respecter les équilibres entre les membres de la Concertación, cette coalition qui unit les socialistes avec notamment les démocrates chrétiens. Celle-ci est au pouvoir depuis le départ de Pinochet en 1989, mais beaucoup se demandent au Chili si elle survivra longtemps à la mort du dictateur, le 10 décembre dernier. En cédant aux pressions des appareils des partis lors de son remaniement, Michelle Bachelet a aussi dû reculer sur une de ses promesses les plus symboliques, la parité hommes-femmes au sein du gouvernement, qui n'aura donc duré qu'un an. Désormais, son gouvernement compte 13 hommes et 9 femmes. La présidente chilienne sait pourtant encore se défendre : «Ceux qui criaient au scandale parce qu'il y avait tant de femmes au gouvernement sont parfois les mêmes qui s'indignent aujourd'hui parce qu'il y a un peu plus d'hommes.»