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UN VÉHICULE DES FORCES DE L’ORDRE FACE À DES MANIFESTANTS, À SANTIAGO, MARDI 22 OCTOBRE 2019. PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP |
ÉDITORIAL
Le Monde
Editorial. Le Chili est un pays riche. Mais la privatisation de secteurs-clés a pérennisé un gouffre d’inégalités qui touche y compris les classes moyennes.
Éditorial du « Monde ». Présenté encore récemment par son président, Sebastian Piñera, comme une oasis de stabilité dans une Amérique latine en ébullition, le Chili est en proie, depuis le vendredi 18 octobre, à des émeutes populaires spontanées dont le ressort est évident : des inégalités sociales abyssales et la déconnexion des dirigeants politiques d’avec les réalités. Équateur, Liban, Irak… Ce scénario est à l’œuvre ces jours-ci en plusieurs points du globe. La France des « gilets jaunes » n’est pas épargnée, pas plus que la Grande-Bretagne, où le Brexit traduit pacifiquement une profonde grogne sociale.
Mais le contexte chilien est bien spécifique : l’ultralibéralisme qui domine la gestion de l’économie et de la société n’y a pratiquement pas été remis en cause depuis la fin de la dictature Pinochet (1973-1990). La privatisation de secteurs-clés comme la santé, l’éducation, les transports et l’eau a généré et pérennise un gouffre d’inégalités qui touche y compris les classes moyennes.
Les remboursements de santé par des assurances privées sont minimes et seule une petite minorité des Chiliens bénéficie d’hôpitaux privés de qualité. Les étudiants s’endettent sur des décennies pour financer leurs études dans des universités privées, et le système de retraite par capitalisation conjugue cotisations exorbitantes et pensions dérisoires.
Lire l’analyse : Au Chili, « il n’y a plus d’espoir que le modèle néolibéral de développement porte ses fruits»
Concerts de casseroles quotidiens
Ces dernières années, des mouvements sociaux ont dénoncé cette situation. Mais les émeutes actuelles sont d’une ampleur jamais vue depuis la fin de la dictature. D’apparence dérisoire, l’augmentation du prix du ticket de métro à Santiago, de 800 à 830 pesos (0,98 à 1,02 euro), moyen de transport vital dans une mégapole de 7,6 millions d’habitants, a servi de déclencheur. Son annulation par le gouvernement n’a pas empêché les protestations de se poursuivre et de s’amplifier. Rassemblements et cacerolazos (concerts de casseroles) sont quotidiens.
Le recours à l’armée, qui patrouille dans les rues pour la première fois depuis la chute de Pinochet, et la violence de la répression n’ont fait qu’attiser la colère. Face aux incendies et aux pillages, l’état d’urgence a été décrété dans la capitale et neuf des seize régions du pays, et un couvre-feu imposé. Quinze personnes sont mortes sous les tirs des forces de l’ordre ou lors d’incendies et de pillages de centres commerciaux. Plus de 2 600 personnes ont été arrêtées.
Le président Piñera, 69 ans, élu fin 2017 et qui a déjà été au pouvoir entre 2010 et 2014, a annoncé, mardi soir, une série de mesures sociales, dont l’augmentation de 20 % du minimum retraite. Il a reconnu « un manque de vision » et demandé « pardon ». Mais lui-même personnifie le système qui est dénoncé et la caste du 1 % de la population qui concentre 25 % à 30 % des richesses. Milliardaire, il s’est enrichi durant la dictature et défend la gestion privée généralisée des services de base, l’absence de filets sociaux de sécurité et une législation du travail qui, peu réformée depuis Pinochet, perpétue la précarité.
Le Chili, quatrième économie d’Amérique latine, est pourtant un pays riche. Il s’enorgueillit d’un enviable taux de croissance : 4 % en 2018 et 2,5 % prévus cette année. Il a donc les moyens de combler la « brecha », cette brèche sociale qui alimente malaise et violences. À condition que l’État joue son rôle de protection et se porte garant de services publics de qualité. Des réformes qui, au Chili, supposent de profondes modifications de la Constitution ultralibérale de 1980, dont les dispositions limitant le rôle de l’Etat dans l’économie sont inchangées depuis la dictature.
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