10 mars, 2021

LULA. MAUD CHIRIO : « UN COUP DE THÉÂTRE JUDICIAIRE, MAIS SURTOUT POLITIQUE »

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PHOTO LAHCÈNE ABIB

L’historienne Maud Chirio, spécialiste du Brésil, analyse les ressorts de la décision de la Cour suprême annulant les condamnations de Lula. 

Interview de Rosa Moussaoui

Comment expliquer cette décision d’un juge de la Cour suprême annulant les condamnations de Lula ?

MAUD CHIRIO

MAUD CHIRIO 

C’est un coup de théâtre judiciaire, mais c’est surtout un coup de théâtre politique. Car, aucune donnée du dossier d’instruction n’a été changée. La revendication de ne pas être jugé par le tribunal de Curitiba, qui n’est pas le tribunal « naturel » de Lula, avait été affirmée par la défense dès 2016 : rien dans le dossier d’instruction ne justifiait que ce tribunal en charge de l’enquête sur les scandales de la Petrobras juge Lula, alors que rien ne l’y liait. Ce qui a changé dans l’appréhension par la Cour suprême du cas de Lula tient surtout à une modification des équilibres politiques. Cette décision est un signe de la fissuration de l’establishment appuyant le pouvoir en place.

Le juge Fachin, dans sa décision, renvoie ces affaires au tribunal fédéral de Brasilia. Lula est-il à l’abri d’une nouvelle condamnation ?

MAUD CHIRIO Le tribunal fédéral va récupérer l’instruction menée jusqu’ici par le tribunal de Curitiba. Mais la Cour suprême continue de travailler : elle va mettre en discussion la question de la partialité du juge Moro, celle du lien entre le juge et le parquet. Des fuites laissent à penser que l’intégralité de l’instruction aurait été menée en enfreignant les règles de base relatives au droit de la défense, à l’impartialité du juge. Si c’était le cas, si la Cour suprême devait établir que l’ensemble de la procédure menée par le juge Moro dans le cadre de l’opération « Lava Jato » était une procédure partiale, donc politique, destinée à éloigner Lula de la course à la présidence en 2018, alors tout le dossier d’instruction serait invalidé. Ce qui protégerait bien davantage Lula de la poursuite des procédures judiciaires.

Cette décision de la Cour suprême est-elle un acte d’indépendance du pouvoir judiciaire ?

UNE DU JOURNAL « O DIA »
DU 10 MARS 2021
MAUD CHIRIO Certainement pas. La Cour suprême, dans le cadre d’une évolution autoritaire du système politique brésilien, vient d’affirmer une certaine indépendance par un geste symbolique. Il y a quelques semaines, les mémoires d’un ancien général en chef de l’armée de terre, le général Villas Bôas, en poste en 2018, ont révélé – secret de Polichinelle – que les forces armées avaient fait pression sur la Cour suprême pour que Lula soit emprisonné. Ces aveux désignaient la Cour suprême comme une institution qui n’était plus garante de l’État de droit, du système démocratique. Ce qui a considérablement accru les tensions entre la Cour suprême et l’exécutif fédéral. C’est probablement dans ce contexte-là qu’il faut comprendre ce geste d’indépendance de la Cour suprême. Mais un geste ne suffit pas à garantir l’indépendance de cette Cour suprême, encore moins celle du système judiciaire dans son ensemble, qui est une grosse administration, une bureaucratie complexe, toujours extrêmement politisée.

Quelles seront les conséquences de cette décision sur le scénario de l’élection présidentielle de 2022 ?

    PHOTO MARCELO CAMARGO / EBC
MAUD CHIRIO Il est impossible aujourd’hui de prédire ce qui se passera fin 2022. Il n’est pas certain que Lula soit le candidat du camp progressiste. Tout dépendra de l’évolution de l’opinion, du niveau de rejet du pouvoir en place et de la capacité du camp progressiste à s’unir pour affronter l’extrême droite, qui demeure, même si la popularité de Bolsonaro s’érode, une force politique importante, décidée à s’armer pour garder le pouvoir.   

PHOTO FABRICE COFFRINI / AFP
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