14 mars, 2021

AU CHILI, CES MÈRES À LA RECHERCHE DE LEUR BÉBÉ VOLÉ SOUS LA DICTATURE DE PINOCHET

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PHOTO  RAUL ARBOLEDA / STAFF / AFP
Au Chili, sous la dictature de Pinochet, quelque 25.000 enfants ont été arrachés à leurs parents et adoptés de manière irrégulière, avec l'aval de l'administration. Désormais, les tests ADN permettent de réunir certaines familles, parfois après un demi-siècle de séparation. 

Par Naïla Derroisné

dans un quartier modeste de la commune de Pudahuel, à l’ouest de Santiago, la capitale chilienne, Sonia Molina habite seule dans sa petite maison. Assise sur son canapé dans le salon, cette femme de 63 ans a beaucoup de mal à retenir ses larmes en pensant à l’enfant qu’on lui a volé alors qu’elle était toute jeune. "Chaque jour, j’ai pleuré pour ma fille, je la voyais dans mes rêves, elle venait vers moi. Toute ma vie, j’ai pleuré pour elle", témoigne-t-elle Europe 1. Sonia avait 14 ans seulement quand elle a eu sa première fille, en 1971. Un jour, celle-ci a définitivement disparu, adoptée par un couple de Suédois sans son accord.

25.000 enfants "volés"

Elle fait partie des quelque 25.000 enfants qui ont été mis en adoption de manière totalement illégale au Chili sous la dictature de Pinochet, entre 1973 et 1990. Les parents adoptifs venaient des États-Unis ou d’Europe, étaient prêts à débourser des sommes très importantes pour trouver un enfant. Au total, 18 pays sont concernés. C’est un média d’investigation chilien qui a dévoilé l’ampleur du phénomène en 2014. Des assistantes sociales, des médecins, des juges ou encore des prêtres ont participé à ce vaste système. 

Environ 600 dénonciations ont d’ores et déjà été faites auprès de la justice. Mais le recours aux tests ADN est en passe de réécrire l'Histoire, permettant à certaines familles de se réunir.

Sonia, elle, avait accouché à Santiago avant de s'installer dans le sud du pays. "J’ai dû mettre ma fille en pension pour pouvoir travailler. Ensuite, mon grand-père m’a mariée de force avec un homme que je ne connaissais pas", raconte Sonia. "Un jour, mon mari est allé dire au pensionnat que je n’étais pas la mère de ma fille. C’était un homme méchant ! L’assistante sociale m’a alors demandé le certificat de naissance de mon enfant. Mais ce document était à Santiago, dans l’hôpital où j’avais accouché. Je n’avais pas d’argent pour aller le récupérer. Et puis je ne savais pas lire, je n’ai pas fait d’études, je ne savais pas quoi faire..."

Sonia a continué de voir sa fille en cachette, jusqu’au jour où la petite a été adoptée.

Des enfants arrachés à des familles pauvres

PHOTO NAÏLA DERROISNÉ

Ce scénario faisait partie des nombreuses techniques mises en place pour soustraire les enfants à leurs mères. "L'hôpital faisait croire aux mamans que le bébé était mort-né. Ils ne leur montraient pas le corps, ni leur délivraient de certificat attestant de la naissance du bébé", explique Marisol Rodriguez, fondatrice de l’association Enfants et Mères du Silence, qui se bat pour reconstituer les familles. "À certaines, on leur disait que leur enfant avait des problèmes de santé, qu’au Chili il ne pourrait pas survivre et que leur seule option, c’était l’adoption." 

Cette entreprise rapportait gros : un enfant valait 30 millions de pesos, soit 34.000 euros aujourd’hui. Une somme colossale comparée au prix des adoptions légales qui se faisaient à l’époque. "Les responsables de ces vols disaient que c’était pour aider les enfants à avoir une meilleure vie, pour qu’ils puissent étudier. Mais leur principale motivation, c’était l’argent", pointe Marisol Rodriguez.

Le régime dictatorial d’Augusto Pinochet voulait aussi éliminer la pauvreté. Il fallait donc disloquer les familles les plus démunies, quitte à briser des vies, comme celle de Sonia. "Je veux que justice soit faite pour toutes les mères à qui on a volé les enfants, car personne ne nous a écoutées, on ne nous a jamais prises au sérieux."  

Un banque de données pour recenser l'ADN des mères concernées

Depuis 2014, quand les premières histoires sont sorties dans les médias, les choses ont bougé. Grâce au travail de l'association Enfants et Mères du Silence, plus de 200 familles ont été réunies. Sonia, elle, a retrouvé sa fille en 2019, grâce à des tests ADN que les deux femmes avaient fait chacune de leur côté.

Ema a aujourd’hui 49 ans et vit en Suède, d’où elle a envoyé une petite vidéo à sa mère, dans laquelle elle promet de venir lui rendre visite au Chili. "Je suis heureuse, même si elle est loin de moi. Au moins, je sais qu’elle est là-bas. La seule chose que je veux maintenant, c’est prendre ma fille dans mes bras", confie Sonia.  

Le gouvernement chilien a récemment ouvert une banque de données pour recenser et croiser les empreintes génétiques des personnes concernées par ces vols d’enfants. Actuellement, le projet est en suspens à cause de la pandémie. Mais il représente un immense espoir pour des milliers de familles qui cherchent encore leur enfant disparu. Europe 1, Par Naïla Derroisné, édité par Romain David

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