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ENTRETIEN. Luis Arce, le candidat du mouvement vers le socialisme et successeur de l’ancien président Evo Morales, a remporté dimanche la présidentielle en Bolivie dès le premier tour avec 52,4 % des voix, selon un sondage sortie des urnes. Ce résultat est un véritable camouflet pour tous ceux qui œuvrent depuis un an pour évincer la gauche du pouvoir. Les priorités du nouveau chef d'Etat : la santé, l’éducation, l’emploi et la restauration des politiques sociales conduites sous les mandats d’Evo Morales, évincé de la présidence par un coup d’État en novembre 2019. Il se livrait à l'Humanité juste avant le scrutin.
Vous étiez confiants durant la fin de campagne, en raison de son atmosphère.
LUIS ARCE CATACORA PHOTO LUIS GANDARILLAS
Nous constations une écoute attentive des classes populaires et des classes moyennes appauvries, auxquelles nous nous adressions, et nous avions vu un resurgissement des mouvements sociaux. Nous avons travaillé à renforcer tout ce processus, et ces mouvements prennent activement part à la campagne, d’une façon que nous n’avions plus vue depuis longtemps. Tous les camarades nous disent, dans les neuf départements de Bolivie, qu’il y a deux fois plus de personnes impliquées dans cette campagne que dans celle conduite l’an dernier. C’est une force précieuse, décisive pour le Mouvement vers le socialisme (MAS).
Les candidats du MAS aux élections parlementaires, comme vous-même, sont aussi confrontés au climat de violence et de tension entretenu par leurs adversaires…
LUIS ARCE CATACORA Nous sommes confrontés à des violations des droits humains. Nous vivons depuis un an sous le régime d’une dictature, même si elle se dissimule, ne dit pas son nom. Nous sommes persécutés, poursuivis. Cette semaine encore, l’une de nos candidates a été arrêtée par la police, en plein processus électoral ! Ce sont là des procédés lamentables. Il n’y a pas de démocratie. Comment parler de démocratie, lorsque les militants du MAS sont empêchés de faire campagne, d’informer les électeurs sur nos propositions dans certaines zones passées sous le contrôle de groupes paramilitaires, de milices armées ?
Des témoins doivent constater la façon dont nous sommes persécutés, empêchés de faire campagne, cible d’une incroyable propagande.
Après toutes les tentatives d’invalidation de votre candidature, après les entraves posées à celle d’Evo Morales pour le Sénat, qu’est-ce qui peut garantir la transparence de ce scrutin et le respect du verdict des urnes en cas de victoire du MAS ?
LUIS ARCE CATACORA Nous sommes extrêmement préoccupés par ce qui se passe. Le Tribunal suprême électoral est en train de procéder à des modifications qui affectent la transparence de ce processus. Par exemple, lors des précédents scrutins, les tribunaux départementaux rendaient publics les résultats bureau par bureau. Il est désormais question de publier des résultats consolidés par groupes de dix à quinze bureaux. Il se cache là quelque chose qui sème le doute. Avec beaucoup d’anticipation, nous avons adressé au Tribunal électoral des lettres demandant que des observateurs étrangers, des journalistes, des organismes, des fondations intéressés à la question démocratique puissent venir en Bolivie pour voir ce qui se passe dans notre pays. Pas seulement le jour du vote : tout le processus électoral doit être observé. Des témoins doivent constater la façon dont nous sommes persécutés, empêchés de faire campagne, cible d’une incroyable propagande. Nous voulons que ces observateurs restent après les élections. La droite sera défaite, c’est une certitude, malgré ses appels au « vote utile ». Notre peur, c’est que, une fois vaincue, elle proclame coûte que coûte, dès dimanche soir, un second tour. Une telle manœuvre entraînerait des troubles que nous voulons absolument éviter.
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La mission d’observation électorale de l’Organisation des États américains (OEA) a ouvert l’an dernier la voie au coup d’État, en publiant un rapport sur la base de résultats truqués. Comment éviter la répétition de ce scénario ?
LUIS ARCE CATACORA Cette manipulation est désormais connue et établie. Ce qui n’a pas empêché l’OEA, dans une offense décomplexée au peuple bolivien, de dépêcher pour le scrutin de ce dimanche la même délégation que l’an dernier. L’OEA a montré un manque flagrant de transparence et d’engagement en faveur de la démocratie en Bolivie.
En cas de second tour, de quelles réserves disposerait le MAS, face à une droite et une extrême droite unies ?
LUIS ARCE CATACORA Nous allons gagner dès le premier tour, c’est sûr !
Vous dites vouloir former, en cas de victoire, un gouvernement d’union nationale. Avec quelles forces ?
LUIS ARCE CATACORA Nous ne pensons pas à des forces politiques, plutôt à des secteurs de la société bolivienne. Je sors d’une rencontre avec des chefs d’entreprise, des patrons de PME. Nous sommes ouverts au dialogue avec tous les secteurs, pour être en capacité de pacifier réellement le pays, d’emprunter le chemin du développement.
Nous sommes le seul pays au monde où les écoles sont fermées depuis un an !
De retour aux responsabilités, quelles seraient les priorités du MAS pour surmonter la crise économique mais aussi la crise politique, la polarisation née du coup d’État ?
LUIS ARCE CATACORA Le plus important pour nous dans l’immédiat, c’est la santé, dans le contexte de la pandémie, avec le risque d’une nouvelle vague de Covid-19. Nous devons sortir, aussi, de la crise éducative. Nous sommes le seul pays au monde où les écoles sont fermées depuis un an ! L’éducation des Boliviens ne les intéresse pas, ils se sont montrés incapables de penser des solutions sur ce terrain. Au-delà de ces urgences, nous allons nous concentrer sur la relance de l’économie, sur l’emploi, sur les revenus des Boliviens, en renouant avec nos politiques sociales, avec le soutien aux populations les plus pauvres. C’est ainsi que nous assurerons le retour à la paix, que nous surmonterons la polarisation : avec des politiques claires, justes et résolues en faveur de la santé, de l’éducation, avec des politiques de relance économique et de progrès social.
La vraie raison de ce désastre économique, c’est le retour des options néolibérales.
Comment jugez-vous le bilan économique du gouvernement de facto ?
LUIS ARCE CATACORA Il est très mauvais ! Lorsque nous étions au gouvernement, le taux de croissance était de 4,5 %. Et au dernier trimestre, l’an dernier, il est tombé à 1,1 % ; le pays a plongé dans la récession avant la pandémie. La vraie raison de ce désastre économique, c’est le retour des options néolibérales. Nous allons renouer avec le modèle qui rendu possibles à la fois de bons résultats économiques et des progrès sociaux.
Quel regard portez-vous sur les récentes évolutions politiques en Amérique latine ?
LUIS ARCE CATACORA Ces dernières années furent celles du retour au pouvoir d’une droite néolibérale, avec des conséquences très négatives, un appauvrissement des populations. Regardez ce que ça donne au Brésil ! Regardez les souffrances endurées par le peuple chilien. C’est pour nous une préoccupation. Nous sommes témoins de ce retour du néolibéralisme en Amérique latine. Nous constatons que cela ne fonctionne pas. Notre expérience est celle d’un abandon du néolibéralisme : en puisant dans nos propres ressources, en faisant nos propres choix en toute indépendance, nous nous en sommes sortis bien mieux qu’en recourant au Fonds monétaire international.
Quel rôle jouera Evo Morales si vous gagnez ces élections ?
LUIS ARCE CATACORA Evo Morales reste le président du MAS. Cela tient à sa décision, nous ne pouvons rien en dire, c’est à lui de décider, c’est à lui qu’il faut poser la question. Nous allons constituer un exécutif ouvert à la jeunesse. Nous voulons promouvoir une nouvelle génération, des figures nouvelles, issues des classes populaires, pour préparer l’avenir, aller de l’avant, transmettre et pérenniser l’expérience politique qui est la nôtre.
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui