23 octobre, 2020

AU CHILI, UN RÉFÉRENDUM POUR SOLDER L’HÉRITAGE D’AUGUSTO PINOCHET

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PHOTO IVAN ALVARADO/REUTERS

Dimanche, 14,7 millions de Chiliens sont invités à décider du sort de la Constitution héritée de la dictature. 
«NOUVELLE CONSTITUTION» 
DESSIN CAIOZZAMA
Gel hydroalcoolique, masque, carte d’identité et stylo à encre bleue. Tels sont les objets dont les quelque 14,7 millions d’électeurs chiliens devront se munir pour indiquer, dimanche, lors d’un référendum, s’ils approuvent un changement de Constitution. Le cas échéant, ils auront à choisir l’organe chargé de rédiger la nouvelle loi fondamentale en optant soit pour une «convention constituante», composée de citoyens élus dans ce but, soit pour une «convention mixte», comprenant parlementaires en exercice et citoyens.

L’annonce de ce scrutin avait constitué, il y a un an, une tentative de sortie de crise à la révolte sociale agitant le Chili. Le pays andin s’était embrasé le 18 octobre 2019. Manifestations massives, mais aussi destructions, pillages et violences: l’augmentation du prix du ticket de métro avait été le détonateur du plus grand mouvement de contestation depuis la fin de la dictature (1973-1990). Plusieurs milliers de personnes avaient été blessées et une trentaine d’autres avaient perdu la vie en marge des rassemblements qui ont duré jusqu’à début mars, stoppés par l’arrivée du coronavirus.
« Dimanche sera un jour historique pour notre pays, car pour la première fois on confiera aux citoyens, mais aussi aux citoyennes, la possibilité de rédiger une Constitution.» Janet Abarca, serveuse
Considérée par beaucoup comme le creuset des inégalités sociales, l’actuelle loi fondamentale cristallise les demandes des manifestants. Au Chili, l’éducation supérieure, les retraites ou encore l’accès à l’eau sont privatisés. «La Constitution a été adoptée en 1980 par le régime de Pinochet via un simulacre de référendum organisé sans listes électorales, sans tribunaux et sans publicité, se souvient Javier Couso, docteur en droit à l’université Diego-Portales, à Santiago. Elle consacre un néolibéralisme radical qui serait inimaginable aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, cantonnant ici l’État à un rôle subsidiaire.»

Le rétablissement de la démocratie n’a pas permis de modifier les fondations de la Constitution, malgré de multiples réformes. La faute en revient à des quorums très élevés - deux tiers ou trois cinquième du Congrès -, figeant toute initiative de transformation du modèle chilien. «Aujourd’hui encore, la grève dans le secteur public est inconstitutionnelle, tout comme la négociation des accords collectifs par branche, alors que seule l’armée peut bénéficier d’un système public de retraites», ajoute Javier Couso. Ces dernières années, les rejets par le Tribunal constitutionnel de réformes emblématiques, portant notamment sur une meilleure défense des droits des consommateurs ou une protection accrue des salariés, ont achevé de convaincre les Chiliens de tourner le dos au document de 1980.

Églises brûlées

«On veut en finir avec la Constitution de Pinochet», lance Janet Abarca, déterminée. Cette serveuse, sans emploi à cause de la pandémie, est venue grossir les rangs du cortège présent jeudi soir devant le palais présidentiel de La Moneda, à l’occasion de la fin de la campagne du référendum. «Dimanche sera un jour historique pour notre pays, car pour la première fois on confiera aux citoyens, mais aussi aux citoyennes, la possibilité de rédiger une Constitution», relève la quadragénaire. En cas de victoire du «oui», crédité de plus de 60% des intentions de vote, le Chili pourrait être le premier pays au monde à se lancer dans un processus constitutionnel orchestré par une assemblée composée, à parts égales, d’hommes et de femmes.

Le scrutin de dimanche ne sera pas un aboutissement, mais plutôt le début d’une course d’obstacles. En avril prochain, les électeurs seront appelés à choisir leurs représentants pour la Constituante et, en 2022, devront ratifier la nouvelle Constitution lors d’un second référendum. «Les résistances seront nombreuses, pronostique le politologue Claudio Fuentes. En avril, la droite conservatrice, qui a déjà intégré la défaite du “non” ce dimanche, pourrait tenir le stylo du futur texte fondamental en bénéficiant de la fragmentation des partis de gauche, accentuée par la présence de candidats indépendants. Cela pourrait générer beaucoup de frustrations…»
En marge des rassemblements pacifiques, de nombreux actes de dégradation et de violence ont été observés dans plusieurs villes du pays
Avec seulement 15% d’opinions favorables, le président conservateur Sebastian Pinera - qui ne s’est pas prononcé publiquement sur son choix - devra composer avec un mécontentement social toujours vif. Dimanche dernier, des milliers de Chiliens sont sortis dans la rue pour célébrer le premier anniversaire du mouvement. Églises brûlées, magasins pillés, attaques de commissariats… En marge des rassemblements pacifiques, de nombreux actes de dégradation et de violence ont été observés dans plusieurs villes du pays.

Les autorités s’attendent à de nouveaux troubles dimanche. «Cela pourrait faire diminuer la participation, estime Mario Herrera, chercheur en science politique à l’université de Talca. Les personnes âgées, vulnérables face à la pandémie et plus sensibles à la violence, se mobiliseront probablement moins.»
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PHOTO CLAUDIO REYES - AFP