22 octobre, 2020

CHILI. LE PEUPLE S’APPRÊTE À ENTERRER LA CONSTITUTION DE PINOCHET

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PHOTO  CLAUDIO REYES/AFP
Conquis par le mouvement social né il y a un an, le référendum de ce dimanche devrait permettre aux Chiliens de s’émanciper trente ans plus tard d’une Loi fondamentale héritée de l’ex-dictateur.

Valparaiso (Chili), correspondance.

«NOUVELLE CONSTITUTION» 
DESSIN CAIOZZAMA

Le 18 octobre 2019 est devenu la date symbole au Chili de la résistance et du réveil populaire face aux ravages du néolibéralisme. La révolte des plus jeunes, initialement contre la hausse de 30 pesos (0,03 euro) du prix du ticket de métro, s’est amplifiée jusqu’à devenir une explosion sociale. Le gouvernement du président de droite, Sebastián Piñera, s’est acharné en vain à étouffer par la force militaire et policière ce mouvement social, mais la nécessité de trouver une issue à une rébellion tenace l’a finalement emporté. Ce dimanche 25 octobre a ainsi pu être programmé un référendum qui devrait mettre fin à la Constitution héritée de Pinochet. L’État a lâché du lest dans l’espoir d’une « réconciliation nationale ».

« Nous avons besoin de gagner quelque chose »

« Le premier round est quasi gagné. Il faudrait une catastrophe pour qu’on perde le référendum. » José Canales, fonctionnaire public de Viña del Mar, attend avec impatience la possibilité de connaître la troisième Constitution de sa vie, la première rédigée en démocratie dans l’histoire du pays. « La dictature de Pinochet a transformé une société coopérative très sociale en une société dans laquelle les intérêts individuels priment sur les intérêts sociaux. » Canales appartient à l’une des dernières générations qui ont étudié dans les écoles de l’État avant que ne se produise la municipalisation de l’enseignement pendant la dictature, qui a transformé l’éducation en un marché privé. «  À côté de moi, poursuit-il, s’asseyaient le fils d’une employée de maison, ainsi que le neveu d’un ex-sénateur de la République. Nous partagions le même banc de bois. Il faut qu’on récupère cela. Les militaires ont bien fait leur boulot en nous divisant. La peur est arrivée à un tel niveau que nous avons cessé de nous regarder dans les yeux. Cette nouvelle Constitution me semble une bonne option, pour moi, mes enfants et mes petits-enfants. »

Les Chiliens appelés aux urnes devront répondre à deux questions. D’abord, s’ils approuvent ou refusent le démarrage d’un processus constitutionnel qui mettrait fin à la Loi fondamentale rédigée pendant les années de Pinochet. Ensuite, ils auront le choix entre deux modèles pour son élaboration : ou bien une convention mixte, option que défend le gouvernement – celle-ci serait formée de 50 % de parlementaires en exercice et de 50 % de candidats élus – ou bien une véritable Assemblée constituante, une Convention constitutionnelle dont les 155 membres seraient élus lors d’un scrutin organisé en avril. Outre qu’il serait bien plus démocratique, ce choix-là respecterait aussi une parité hommes-femmes et intégrerait un quota représentatif du peuple mapuche.

Devant la cour d’appel de Valparaiso, Matías Orellana, professeur local, dénonce devant la presse les violences policières. Près de 500 manifestants souffrent de lésions oculaires provoquées par une répression très musclée. Il entend se pourvoir en justice. Mais, six mois après les grandes manifestations violemment réprimées, celle-ci continue de se refuser à fournir les vidéos accablantes des caméras portés par les agents.

« L’État s’était engagé à un processus d’aide intégrale, explique-t-il devant les dizaines de Porteños (nom des habitants de Valparaiso) réunis pour le soutenir, mais, ces derniers dix mois, je n’ai pas eu de nouvelles. Beaucoup d’entre nous ont été torturés, d’autres mutilés. » Le jeune homme de 26 ans s’est engagé en faveur du référendum : « Je vous invite à voter “J’approuve”, lance-t-il . Nous avons besoin de gagner quelque chose, ne serait-ce qu’un minimum. »

« Une crise sévère des droits fondamentaux »

Présente aussi, Astrid Oyarzún, membre de la Brigade de la mémoire, des droits humains et du mouvement Valparaíso citoyen, avec lesquels elle a participé aux mobilisations pour exiger une nouvelle Loi fondamentale, souligne l’importance d’y inclure un engagement clair sur le respect des droits de l’homme. « Le slogan du 18 octobre – “Ce ne sont pas 30 pesos, mais 30 ans” – est relié à l’exigence de dignité, de justice, de mémoire, de vérité et de nouveaux textes pour établir un modèle différent du vivre-ensemble. Nous assistons à une crise sévère des droits fondamentaux au Chili, qui a été confirmée par tous les organismes internationaux. Non seulement cette dernière année, mais aussi sous la houlette de plusieurs gouvernements antérieurs. Dans les années 1990, nous avons brandi le drapeau du “Nunca más” (“Plus jamais” – expression utilisée pour rejeter le terrorisme d’État, NDLR), mais le mouvement social de grande ampleur de ces derniers mois a subi aussi une répression sanglante. »

Une troupe locale commence à jouer de la musique dans les rues de Valparaiso. Des gens chantent en faveur du « J’approuve » (le changement constitutionnel) tout en en appelant à la justice et en exigeant la démission du président. Des initiatives similaires organisées via les réseaux sociaux relaient la campagne. Les manifestations ont aussi repris de la vigueur dans le pays, surtout à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement du 18 octobre. Les dirigeants politiques ne se montrent pas et ne sont pas les bienvenus. Leur discrédit reste total à l’égard des militants du mouvement social. Selon l’étude réalisée en janvier par le Centre d’études publiques (think tank de droite !), la confiance dans les partis politiques est tombée à 2 %.

Dépasser la « dissociation entre le monde politique et les citoyens »

À quelques pas, caméra à l’épaule, Danilo Ahumada, président de l’ordre des journalistes de la région, militant du Parti communiste chilien et de la Table sociale de Valparaiso, le confirme : « Il y a en ce moment une dissociation totale entre le monde politique et les citoyens. Cela se reflète dans un processus ligoté, d’abord avec les “deux tiers” (le quorum de deux tiers des constituants qu’il faudrait atteindre pour réaliser des changements structurels, et qui fait partie des mesures stipulées dans l’accord que Piñera a signé en novembre avec tous les partis politiques, à l’exception du PCC – NDLR).  » Le journaliste et militant communiste relève de plus que le processus ne reconnaît pas les organisations sociales, qu’il cherche à s’appuyer sur le vieux personnel politique pour créer la nouvelle Constitution.

Une proposition qui aurait permis aux organisations citoyennes non liées aux partis politiques de se constituer en groupes éligibles pour les élections de la Constituante d’avril a été torpillée par la droite parlementaire ce 15 octobre. « Le mouvement social, précise  Danilo Ahumada, nous a permis de mettre en avant une série de revendications et de nous concerter pour construire des propositions concrètes à travers les assemblées territoriales. Mais si tout ce travail collectif ne s’exprime pas dans la nouvelle Constitution, elle manquera de légitimité populaire. Voilà ce qui est en jeu. »

Si l’aspiration au changement constitutionnel semble irrésistible, la bataille d’après a déjà commencé. Plus de six mois séparent le référendum de l’élection des élus « constituants ». Un bon résultat en faveur du « J’approuve » sera indispensable pour le futur d’un processus qui ne sera pas une promenade tranquille. Comme le conclut Astrid, une jeune de Valparaiso : «Le Chili a besoin de savoir qu’il peut avancer, pousser les clôtures et que toute cette lutte sociale a valu le coup. » 

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PHOTO CLAUDIO REYES - AFP