17 octobre, 2020

CHILI: ÉBORGNÉS PENDANT LES MANIFESTATIONS; LEUR DOULEUR N’EST PAS VAINE

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PHOTO AFP

Rien ne leur rendra la vue, mais un an après le début de la révolte sociale violemment réprimée au Chili, et alors que le pays se prépare à un référendum historique, plusieurs manifestants éborgnés estiment que leur douleur n’est pas vaine.

Le Journal de Montréal avec l'AFP

INTERVENTION ARTISTIQUE
PHOTO AGENCIA UNO
Selon l’Institut national des droits de l’homme du Chili, 460 personnes ont été gravement blessées aux yeux lors des affrontements avec les forces de l’ordre, consécutifs au soulèvement social du 18 octobre 2019. Deux ont totalement perdu la vue.

Dans la plupart des cas, les lésions oculaires ont été causées par des tirs de fine chevrotine, du calibre 12, ou par l’impact des tirs tendus de bombes lacrymogènes par la police militaire.

Pour certaines victimes, la perte d’un œil n’est pas un sacrifice vain, car le mouvement social a accédé à l’une de ses principales revendications: la tenue d’un référendum, le 25 octobre 2020, pour décider de l’opportunité de changer la Constitution héritée du temps de la dictature militaire (1973-1990).

Pour elles, c’est enfin «le début de la fin» des inégalités de l’ère Pinochet, pendant laquelle le pouvoir économique était concentré dans les mains d’un noyau de familles riches du Chili.

Pour d’autres, en revanche, ce référendum constitutionnel n’est que de la poudre aux yeux et son résultat ne changera rien aux raisons qui ont poussé au soulèvement: la vie chère et l’augmentation du prix du ticket de métro.

«Cauchemars»

Felipe Riquelme, 41 ans, était au cœur de ces manifestations lorsqu’il a été frappé à l’œil par un tir tendu de bombe lacrymogène qui a éclaté son globe oculaire et lui a fracturé le crâne à travers son masque à oxygène.

«J’ai regardé derrière un palmier, j’ai vu un policier pointer une arme sur moi», se souvient-il. «J’ai senti un coup sur mon front et je suis tombé, un bourdonnement dans mes oreilles et une énorme douleur.»

Un an plus tard, il dit voir encore dans ses cauchemars le policier qui lui a tiré dessus.

Un cache-œil noir masquant son œil mort, il est traversé par un mélange «de chagrin, de colère et de frustration», car il ne sait pas qui lui a tiré dessus.

Cependant, cela ne l’empêchera pas de «retourner dans la rue». «Je veux surmonter mes démons, mes peurs et mes cauchemars, car je ne peux pas laisser l’impunité l’emporter sur la démocratie», argue-t-il.

S’il s’estime encore insatisfait de cette mesure «parcellaire» qu’est le référendum, il veut y voir un signe d’espoir dans l’avenir.

Hernan Horta, 52 ans, rejette quant à lui le plébiscite du 25 octobre, estimant que c'est «une parodie, planifiée par une classe politique qui craint de perdre le pouvoir».

Selon lui, ce référendum n’est que «quelques miettes», alors que les manifestants pourraient avoir «tout le gâteau».

Hernan Horta fait partie de la longue liste des blessés par un tir de flashball qui l’a rendu presque aveugle. «Je prenais des photos et ils ont commencé à frapper un enfant. Quand j’ai traversé et commencé à leur crier dessus, soudain “boum”. La seule chose que j’ai ressentie, c’est que j’avais mal à la tête», raconte-t-il.

Documenter les abus

La photojournaliste indépendante Nicole Kramm a vécu les rassemblements à travers l’objectif de ses appareils photo, alors qu’elle s’efforçait de documenter les manifestations.

Le 31 décembre, elle marchait avec d’autres personnes en direction de la Plaza Italia, épicentre des affrontements, lorsqu’elle a été frappée à l’œil gauche.

«Je ne pouvais plus rien faire, ni courir, ni faire quoi que ce soit. Je suis tombée par terre et, immédiatement, j’ai ressenti une douleur si forte que je croyais que ma tête allait exploser», raconte la jeune femme de 30 ans.

À la suite des accusations de violations des droits de l’homme par diverses organisations internationales, la police chilienne a annoncé, après un mois de tergiversations, qu’elle suspendait les tirs de fine chevrotine sur les manifestants.

«Une partie de mon travail est fait par conviction politique et ce qui se passe doit être révélé et dénoncé», estime la photographe qui se rendra dimanche sur la Plaza Italia pour célébrer le premier anniversaire de ce soulèvement populaire. 

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PHOTO ROBERT EVIMO

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