PHOTO MARIO QUILODRAN / AFP |
Des membres des forces armées patrouillent dans les rues de Temuco, capitale de la région d’Araucanie, au Chili, le 17 mai 2022.
Le sud du pays a connu une recrudescence de la violence. Le gouvernement continue de prôner le dialogue, tout en déployant des militaires dans la région.
Dans une volte-face aussi contrainte que symbolique, le gouvernement chilien a finalement annoncé le retour des militaires dans le sud du pays, où depuis des années la population indigène mapuche exige la restitution de terres ancestrales. La décision, annoncée le 16 mai et prolongée lundi 30 mai pour deux semaines, est survenue seulement deux mois après la prise de fonctions de Gabriel Boric (gauche), qui, pendant sa campagne présidentielle, avait pourtant fustigé cette mesure. Elle avait été instaurée en octobre 2021 par son prédécesseur, Sebastian Piñera (droite, 2018-2022), pour endiguer ce qu’on appelle le « conflit mapuche » et les violences qui émaillent la région. Sur ordre du gouvernement entrant, les militaires avaient quitté une partie du sud du pays à la fin du mois de mars.
Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)
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« il est évident que, ces derniers temps, nous avons eu une augmentation des actes de violence sur les routes, nous avons été témoins de lâches attaques », a justifié la ministre de l’intérieur, Izkia Siches, en annonçant « l’état d’urgence » dans les régions de l’Araucanie et une partie du Biobio. Il s’agit d’une militarisation « limitée » aux routes principales, là où les attaques contre des camions représentent une entrave à la circulation et « à la chaîne d’approvisionnement », augmentant le coût de la vie, a souligné la ministre de l’intérieur.
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« Protocole » DESSIN LAUZAN |
« On se retrouve toujours à espérer que le pire n’arrive pas », lâche José Hidalgo, président de l’association des prestataires de services forestiers. Les entreprises forestières privées, installées sur les terres ancestrales des Mapuche – spoliés par l’Etat au tournant du XXe siècle – sont la cible principale des attaques. Les Mapuche, littéralement « peuple de la terre », sont la première population indigène du Chili, soit 1,7 million de personnes dans ce pays de 19 millions d’habitants. Si l’association professionnelle assure avoir noté une accalmie avec la présence des militaires, leur retrait a donné lieu à une nouvelle flambée, avec une attaque recensée tous les 1,7 jour, selon ses calculs. Incendies de camions et de machines, attaques de véhicules transportant des travailleurs… « En général, il y a des revendications, avec des messages réclamant le retrait des entreprises forestières signés des organisations mapuche », assure José Hidalgo.
Un « déficit d’information notoire »
JUAN CATRIL NECULQUEO |
La dernière attaque a choqué le pays : lors de l’assaut d’un camion de travailleurs forestiers, mardi 24 mai, dans la région de l’Araucanie, l’un d’entre eux, un Mapuche de 66 ans, est décédé peu après avoir reçu une balle dans la tête. Les auteurs des faits ? Leur message ? « Notre gouvernement travaille pour trouver les responsables de cet homicide », a assuré Izkia Siches, tandis que l’assassinat, non revendiqué, illustre à la fois le climat de violence et la confusion en hausse dans la région depuis trois ans.
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« Les violences sont multiples et on ne sait pas toujours qui en est à l’origine. Il y a un déficit d’information notoire qui ne permet pas de dresser un diagnostic clair », remarque Antonia Rivas, avocate, anthropologue et spécialiste des droits indigènes. « Le gouvernement a agi de façon erratique et un peu improvisée, avec des décisions prises sur la base de suppositions », estime-t-elle, tandis que l’arrivée d’une nouvelle administration favorable aux droits indigènes avait suscité un fort espoir parmi certaines organisations portant la voix des Mapuche. Antonia Rivas souligne par ailleurs : « La majorité des communautés mapuche rejettent l’usage de la violence. »
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Ce n’est pas le cas de la Coordination des communautés en conflit Arauco-Malleco (CAM) notamment, dont le mot d’ordre est d’attaquer les camions des entreprises forestières – pas les personnes. Dès l’investiture de Gabriel Boric, l’organisation ironisait tout en annonçant la couleur : leur exigence reste l’autonomie, sans compromis avec le gouvernement « hippie, progressiste, sympa » du nouveau président. Le 11 mai, le leader de la CAM, Hector Llaitul, a appelé à « préparer les forces et à rejoindre la résistance armée », face au scénario d’une nouvelle militarisation de la zone, ont rapporté les médias chiliens.
Un ministère des sujets indigènes envisagé
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Le gouvernement se retrouve ainsi face à un mur, celui d’organisations radicalisées qui rejettent le compromis, et à l’immense complexité de négocier avec le reste de la communauté, hétéroclite et sans leadership clairement établi. Le premier déplacement de la ministre de l’intérieur dans une zone emblématique du conflit, Temucuicui, s’était soldé par un fiasco, le 15 mars : des coups de feu avaient mis fin à la visite.
«POUR VOTRE SÉCURITÉ,VOUS N’AUREZ PLUS DE LIBERTÉ. » |
Le gouvernement met en avant « le dialogue », prôné par le président depuis sa campagne, avec un programme intitulé Buen vivir (« bien vivre »), officialisé le 17 mai. Il prévoit un budget multiplié par deux pour la Corporation nationale de développement indigène, organisme de l’Etat chargé depuis 1993 de racheter des terres pour les redistribuer aux Chiliens indigènes en effectuant la demande. Environ 215 000 hectares ont été rachetés à travers ce mécanisme en trente ans, a indiqué au Monde le ministère du développement social à la mi-mars. La création d’un ministère des sujets indigènes est également envisagée.
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Des « pourparlers territoriaux » avec l’accompagnement de l’ONU ont été annoncés. Travaux sur la voie publique, eau potable, amélioration du système de soins : 400 milliards de pesos (450 millions d’euros) doivent être déployés pour la région de l’Araucanie et les provinces Arauco et Biobio. Enfin, un procureur doit enquêter sur les dossiers d’organisations criminelles, comme le narcotrafic et le vol de bois, des délits régulièrement associés à la violence dans la région.
Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)
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