Le premier procès d’un prêtre pour violation des droits de l’homme s’est ouvert. Mais l’épiscopat argentin est loin d’avoir expié les fautes commises sous la dictature.Réagissant au procès de l’aumônier de la police de Buenos Aires, Christian von Wernich, l’Église catholique s’est bornée à confirmer qu’il faisait toujours partie de la hiérarchie ecclésiastique. L’audience qui s’est ouverte le 5 juillet dernier a pour unique accusé ce prêtre qui participa aux interrogatoires de personnes arrêtées ou “disparues” lors de leur détention dans des centres clandestins. Pourtant, le procès moral et politique ouvert parallèlement doit aussi être celui de l’institution religieuse à laquelle il continue d’appartenir.
Par “institution religieuse”, il faut entendre ici le vicariat apostolique militaire dont Christian von Wernich dépendait, et plus précisément sa branche policière, ainsi que la Conférence épiscopale argentine de l’époque. Il faut y ajouter les structures épiscopales actuelles, tant en Argentine qu’au Vatican. Car, si von Wernich a échappé à la justice, c’est grâce à la protection de l’Église catholique qui, comme elle a coutume de le faire avec les prêtres pédophiles, l’a muté sous un nouveau nom dans une paroisse chilienne, où il a finalement été retrouvé avant d’être extradé. L’accusé s’est ainsi présenté devant ses juges en tant que prêtre de l’Église catholique apostolique et romaine, et vêtu comme tel. Le seul document officiel émis par l’Église argentine confirme que von Wernich fait toujours partie de sa hiérarchie. En mai 2007, alors qu’il ouvrait l’Assemblée plénière de l’épiscopat, son président, le cardinal Jorge Mario Bergoglio, a même laissé entendre que le procès faisait partie d’une campagne de persécution calomnieuse envers l’institution religieuse.
Soutien dogmatique à tous les coups d’État qu’a connus l’Argentine au XXe siècle, l’Église catholique a ainsi joué dans les années 1950 un rôle déterminant dans le renversement du gouvernement populaire de Juan Perón. Mais c’est aussi par son intermédiaire qu’on a importé en Argentine les méthodes de guerre contre-révolutionnaire mises au point par les militaires catholiques français appartenant au groupe Cité catholique pendant la guerre d’Algérie. Certains de ces militaires et aumôniers, comme le colonel Jean Gardes et le prêtre Georges Grasset, se sont réfugiés en Argentine après l’indépendance algérienne. Grasset y est arrivé en 1961 et Gardes, condamné à mort en France, s’y est installé en 1963 grâce à un marché conclu avec les services de renseignements de la marine. La bible de ce mouvement est le livre intitulé Le Marxisme-Léninisme. Ecrit par son fondateur Jean Ousset, il comprend notamment un recueil d’encycliques condamnant le communisme et énonce une doctrine de guerre contre-révolutionnaire. C’est en Argentine, en 1961, qu’est parue la première édition de cet ouvrage hors de France. Son traducteur en espagnol n’était autre que le chef des services de renseignements de l’armée argentine, le colonel Juan Francisco Guevara, et sa préface a été rédigée par le président de
La torture n’est un péché qu’au-delà de 48 heures
Lorsque ce dernier prit sa retraite, la présidence de l’épiscopat comme le vicariat sont passés aux mains d’un autre tenant de la même ligne intégriste, l’archevêque du Paraná Adolfo Tortolo, qui occupa le premier poste jusqu’en 1976 et le second jusqu’à sa mort en 1981. L’homme avait été chargé par les dirigeants des forces armées d’obtenir la démission de la présidente Isabel Martínez. Mais la veuve de Perón a refusé, entraînant la mise en œuvre d’un coup d’État militaire. A la fin de l’année 1975, le président de l’épiscopat en a même annoncé l’imminence, non dans une chapelle de campagne face à des militaires, mais dans un hôtel cinq étoiles, devant un auditoire composé d’hommes d’affaires. Quelques mois plus tard, dans la nuit du 23 mars 1976, les commandants des armées de terre et de l’air Jorge Videla et Ramón Agosti ont rendu visite à Mgr Tortolo et au vicaire Bonamín au siège du vicariat militaire, avant de partir à l’assaut du pouvoir. “Les principes qui régissent la conduite du général Videla sont ceux de la morale chrétienne. C’est un militaire de premier ordre et un catholique extraordinairement sincère et fidèle à sa foi”, a alors déclaré Tortolo, ajoutant que des “mesures dures et violentes” devaient être prises contre la subversion.
Dans son rapport intitulé “Nunca Más” (Jamais plus), publié en septembre 1984,
Lorsqu’en 1983 la dictature tombait en miettes, l’épiscopat s’est démené pour la sauver et négocier avec les partis politiques une issue évitant aux forces armées de subir les conséquences de leurs actes. Le chargé de relations publiques de l’épiscopat, Oscar Justo Laguna, a rappelé devant l’Assemblée plénière des évêques que, lors de sa rencontre avec le général Benito Bignone, dernier dictateur en exercice, celui-ci avait “défendu la torture et affirmé qu’elle lui avait été enseignée par ses aumôniers militaires”. Près d’un quart de siècle plus tard, avec le procès de Christian von Wernich et celui des principaux chefs du service d’informations de l’armée, qui s’est ouvert lui aussi début juillet, le monde politique semble enfin assumer une responsabilité qu’il a esquivée très longtemps.