08 mai, 2020

LA FRANCE RETIRE SA DÉCORATION À UN TORTIONNAIRE ARGENTIN

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 RICARDO MIGUEL CAVALLO, ALIAS «SERPICO», A ÉTÉ CONDAMNÉ 
À LA PRISON À VIE EN 2011 POUR CRIMES CONTRE DES 
CIVILS PENDANT LA DICTATURE MILITAIRE EN ARGENTINE.
 PHOTO EPA / CEZARO DE LUCA
Ricardo Cavallo, deux fois condamné à perpétuité dans les années 2000 pour crimes contre l’humanité pendant la dictature, avait reçu l’Ordre national du mérite en 1985 à Paris.
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PHOTO CARLOS RAMOS MAMAHUA
«Le tortionnaire argentin Ricardo Cavallo ne pourra plus se prévaloir de l’Ordre national du mérite français. Le gouvernement a finalement décidé de retirer sa médaille à cet ancien militaire condamné à deux reprises à la perpétuité pour des crimes contre l’humanité commis dans son pays pendant la dictature (1976-1983).

Ricardo Cavallo, 68 ans aujourd’hui, a en effet été reconnu deux fois coupable, en Argentine. La première, en 2011, pour des d’enlèvements, des séances de torture, des passages à tabac et des assassinats dans la sinistre Ecole supérieure de la marine (ESMA), transformée sous la junte militaire en camp de détention clandestin d’où ont disparu 5 000 opposants. La seconde, en 2017, pour sa participation aux « vols de la mort », pendant lesquels les prisonniers, après avoir été torturés, étaient drogués puis jetés vivant dans la mer depuis des avions. Ricardo Cavallo a notamment été reconnu responsable de la disparition, en 1977, de deux religieuses françaises, Alice Domon et Léonie Duquet.

PHOTO AGENCE REUTERS
Mais quelques mois avant la fin de la dictature, en reconnaissance de ses services rendus, celui qu’à l’ESMA on surnommait «Sérpico » ou « Marcelo» a été envoyé en France, où l’on ne connaissait pas son rôle pendant les années de plomb en Argentine, comme attaché de la Marine à l’ambassade d’Argentine à Paris. C’est là, le 27 juin 1985, deux ans après le retour de la démocratie, que l’Etat français lui a remis l’Ordre national du mérite.

Sidération


À l’époque, l’impunité était totale pour les tortionnaires de la dictature après le vote de lois d’amnistie en 1985 et 1986. Des milliers de militaires, de policiers et de civils responsables de crimes ont ainsi échappé à la justice.

En 1989, Ricardo Cavallo, toujours libre de ses mouvements, s’est installé au Mexique sous le nom de Miguel Angel Cavallo. Sa véritable identité n’a été révélée que onze ans plus tard par le journal mexicain Reforma. Il a alors été extradé en Espagne, où le juge espagnol Baltasar Garzon avait porté plainte, au nom de la justice universelle, contre de nombreux Argentins pour « génocide et terrorisme d’Etat » pour leurs crimes commis pendant la dictature. Arrêté à l’aéroport de Cancun le 24 août 2000 alors qu’il s’apprêtait à fuir en Argentine, où il se savait protégé, il a été envoyé à Madrid six mois plus tard. Mais alors qu’il attendait d’y être jugé, l’Argentine a annulé, en 2003, les lois d’impunité, permettant son procès à Buenos Aires, où il a été finalement extradé en 2008.

L’Ordre national du mérite, remis par la France en 1985, irritait les organisations de défense des droits humains, qui avaient signé en janvier une lettre demandant aux autorités françaises de la lui retirer. « Nous qui avons subi dans notre chair sa perversion, sa violence et son cynisme, nous n’avons pu qu’être sidérés en apprenant que cette distinction avait été donnée à un tel criminel », avaient écrit Victor Basterra, Miriam Lewin et Lila Pastoriza, survivants de l’ESMA.

Visite du président argentin en France


La décoration était passée inaperçue jusqu’en 2010, date à laquelle le ministre des affaires étrangères français de l’époque, Bernard Kouchner, avait confirmé à une organisation non gouvernementale que la France l’avait bien attribuée.

En 2014, après le rejet de l’appel de Ricardo Cavallo de sa première condamnation, le grand chancelier de la Légion d’honneur lui avait envoyé un courrier afin de l’informer de l’ouverture d’une action disciplinaire à son encontre au sujet des « faits constitutifs du comportement particulièrement déshonorant auquel il s’était livré » pendant la dictature, « susceptibles d’être regardés comme contraire à l’honneur avec les éventuelles conséquences prévues par le code ». L’ancien militaire n’avait jamais répondu à ce courrier, et l’affaire en était restée là.

Le décret retirant à Ricardo Cavallo sa décoration, signé par le président français, Emmanuel Macron, et son premier ministre, Edouard Philippe, date du 30 avril, mais n’a été porté à la connaissance du public que le jeudi 7 mai, à travers un message de remerciement du ministre des affaires étrangères argentin, Felipe Sola.

C’est lors de la visite d’Etat en France du président argentin, Alberto Fernandez, le 5 février dernier, que la ministre argentine de la justice et des droits humains, Marcela Losardo, avait interpellé son homologue française, Nicole Belloubet, à ce sujet, lors d’un entretien dans les locaux du ministère de la justice à Paris. Réuni en séance huit jours après cet entretien, le 13 février, le conseil de l’ordre a estimé que Ricardo Cavallo avait « gravement manqué à l’honneur » et qu’il convenait donc de « lui retirer la distinction qui lui a été accordée ». Le décret « ne sera pas publié au Journal officiel », précise le texte en date du 30 avril.

En pleine crise sanitaire due au coronavirus, Ricardo Cavallo, qui purge ses deux condamnations à perpétuité dans la prison d’Ezeiza, dans la banlieue de Buenos Aires, a demandé à bénéficier de l’assignation à résidence. A la mi-avril, le tribunal a cependant jugé que, bien qu’il puisse être considéré comme faisant partie d’une « population à risque » face à l’avancée de l’épidémie, il n’avait pas été démontré de quelle manière l’urgence sanitaire « augmentait les risques personnels du condamné Cavallo, raison pour laquelle sa demande a été repoussée ».
Angeline Montoya
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GRAFFITI «  FORD FALCON »
SYMBOLE DE LA DICTATURE
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