22 décembre, 2022

CHILI : ACCORD DU 14 DÉCEMBRE POUR REMETTRE EN ROUTE LE PROCESSUS CONSTITUANT

 
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FRESQUE MURALE JOSÉ CLEMENTE OROZCO

Après trois mois de négociations intenses, les partis politiques - dont le Parti communiste du Chili (PCCh) - ont signé un accord pour relancer le processus constitutionnel.

par Pierre Cappanera

PIERRE CAPPANERA
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En novembre 2019, pendant l’explosion sociale le gouvernement de Piñera et les partis d’opposition - sauf le Parti communiste du Chili - signaient un accord pour écrire une nouvelle constitution. Le terme de cet accord était le 4 septembre. Ce jour là le peuple chilien devait approuver ou refuser la proposition de nouvelle constitution, avec inscription automatique sur les listes électorales et vote obligatoire.

Les Chiliens à 62 % ont repoussé la proposition principalement élaborée par la gauche. Ça a été un choc terrible, vécu de façon personnelle par tous ceux qui y croyaient et qui avaient travaillé et milité pour cette nouvelle constitution. La gauche, ses militants sont entrés en dépression et se sont réfugiés dans le silence. 62% ! Même dans les pires cauchemars, ce scénario n’avait pas existé. Paradoxe : les 4 800 000 voix recueillies ce jour là sont un record absolu pour la gauche en nombre de voix.

Le vote obligatoire a été un piège sur lequel il faut réfléchir et tirer des leçons. Oui des millions de personne, généralement les couches les plus pauvres de la population, ont voté pour la première fois de leur vie, et pas que les jeunes. Ces millions de personnes qui ne s’intéressent pas à la politique, ne sont pas organisés, ne sont pas syndiqués, ne participent pas aux luttes, n’ont pas de conscience de classe… ont voté en suivant la droite. La propagande mensongère de la droite a été particulièrement efficace auprès de ceux qui n’avaient pas les moyens, ni politiques ni culturels, de se défendre du tsunami de fakenews, de mensonges…

Une des villes où existe le plus grand nombre de poblacion et de campamentos (bidonvilles) a refusé à près de 70% une constitution où était inscrit le droit au logement. 50 ans de propagande ultralibérale ont produit leur effet. L’individualisme est devenu une pensée et un mode de comportement dominant.

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Marx et Engels dès 1844 parlaient de l’idéologie dominante comme étant l’idéologie de la classe dominante. On en a vu le 4 septembre au Chili une démonstration éclatante. Ce qui veut dire qu’il faut se battre pour faire venir et revenir au vote les populations qui s’en sont éloignées. Mais pas le poser comme une condition obligatoire. Le résultat n’est pas acquis. C’est sans aucun doute ce qui a profondément affecté les gens de gauche. « On leur a écrit la meilleure constitution possible et ils ne la votent pas!». Retour à Marx de nouveau : l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Ce n’est pas une élite toute éclairée et bienveillante soit-elle qui changera la situation. C’est le peuple qui prendra son destin en main. Et pour ça, il est nécessaire que le peuple s’organise et lutte. La conscience de classe n’est pas inscrite dans les gênes, elle se construit dans les luttes.

Si le Parti communiste du Chili est le parti le plus nombreux au Chili, il n’en reste pas moins que les membres inscrits ne sont que 46 000 : ça ne couvre pas tout le Chili, ça ne permet pas de toucher les 19 millions de Chiliens. À l’initiative de la députée Karol Cariola a eu lieu en août un gigantesque porte-à-porte. Plus de deux millions de foyers ont été visités, soit environ 5 millions d’habitants rencontrés. Il en aurait fallu le double au minimum. Mais pour ça il faut des militants. Pour diffuser l’idéologie dominante, la droite a peut-être moins besoin de gens avec les réseaux sociaux et les médias acquis à sa cause. La gauche pour contrer les mensonges et expliquer ses propositions a besoin d’une force militante.

Lundi 12 décembre, un nouvel accord a été signé. Cette fois le Parti communiste du Chili en est partie prenante. Cet accord est directement issu du nouveau rapport de forces, l’après 4 septembre. La controverse entre la droite et la gauche résidait uniquement dans le fait de savoir si les constituants seront élus ou non à 100%.

L’accord n’est pas ce qu’espéraient le PCCh et d’autres forces de gauche. La proposition communiste est une assemblée constituante souveraine élue au suffrage universel à la représentation proportionnelle. On en est loin.

Il y aura peu d’élus, cinquante, plus environ six sièges réservés aux peuples originaires. Les élections des constituants auront lieu en avril et leurs travaux commenceront en mai. Le gros souci est que ces élus ne seront pas entièrement libres.

Deux commissions d’experts vont être désignés par les députés et sénateurs. Une première commission aura pour objectif de rédiger dès janvier un brouillon de constitution qui sera remis aux élus lors de leur prise de fonction. Les 24 membres de cette commission d’expert auront le droit de prendre la parole comme les élus. Néanmoins le vote est réservé aux élus. Mais si une majorité des 3/5e des experts ne sont pas d’accord avec le vote alors une commission mixte est créée et doit résoudre le différend. Une seconde commission d’expert aura pour rôle que les élus ne sortent pas du cadre défini par un protocole signé par tous les partis politiques en octobre. Dans ce protocole qui redit beaucoup de choses sur lesquels tout le monde a toujours été d’accord (subordination des forces armées au pouvoir civil, indépendance de la justice, etc…), la gauche a néanmoins fait deux concessions importantes. D’une part le Chili ne pourra pas être déclaré État plurinational. D’autre part le Sénat voit son existence garantie. Dans le projet de constitution refusé le 4 septembre, le Sénat avait disparu au profit d’une Chambre des régions.

Les 50 élus seront donc très encadrés et une pré-constitution leur sera délivrée à leur arrivée. On est vraiment dans une démocratie à souveraineté très limitée. Dans ce nouvel accord, la droite a demandé que le vote obligatoire soit appliqué aussi à l’élection des constituants en avril prochain. Il est possible qu’il devienne le mode de vote systématique au Chili.

Les élus de gauche devront être très bagarreurs et très vigilants pour maintenir les pouvoirs qui leur seront accordés. La droite va tout faire, aidée comme d’habitude par quelques transfuges, pour faire que les « experts » non élus soient le plus puissant possible. Une des choses qu’il sera nécessaire d’obtenir dans cette nouvelle constitution c’est la fin de la subsidiarité, cette fameuse clause qui interdit à l’État tout intervention économique. Qu’au minimum, cette constitution, même si elle n’est pas progressiste, n’empêche pas un gouvernement de gauche de mener sa politique. Ce n’est pas encore acquis.

Il va sans dire que cet accord ne passe pas tout seul comme une lettre à la poste. Beaucoup ont l’impression d’avaler des couleuvres. Cet accord est si loin des rêves que l’explosion sociale avait créés… La question est de savoir s’il fallait oui on non signer cet accord, quitte à participer ensuite au nouveau processus. Si le PCC n’avait pas signé, ça aurait probablement entrainé une crise profonde au sein de la coalition gouvernementale. Est-ce le moment de faire exploser la coalition gouvernementale, de se mettre sur la touche ? Ou bien ça aurait bloqué le processus tout entier et le Chili serait resté indéfiniment avec la constitution de Pinochet.

Lautaro Carmona, le secrétaire du PCC, a déclaré, « je comprends les distances, les jugements critiques, par rapport à ce que nous avons obtenu. Ce que nous avons obtenu dans cet accord est de permettre de rétablir le processus constituant. Je ne serai pas celui qui dira que je trouve étrange que quelqu'un soit en désaccord avec l'accord, alors qu'il est clair que nous avons nous-mêmes, au cours de la discussion, remis en question de nombreuses choses et été en désaccord sur de nombreux points. »

Daniel Jadue, autre dirigeant communiste, était partisan de ne pas signer si les constituants n’avaient pas été à 100% élus. Maintenant que c’est fait, il a déclaré « Bien que ne soit pas ce que le PCC proposait, comme toujours, nous nous joindrons au processus pour disputer l'espace à ceux qui continuent à se croire les propriétaires du Chili !».

La prochaine étape va être les élections d’avril. Elle se dérouleront comme pour les élections sénatoriales. Les régions sont surreprésentées par rapport à la population. En conséquence de quoi les grandes métropoles qui votent à gauche, Santiago ou Valparaiso, ont moins d’élus que des régions moins peuplées mais votent plus à droite. D’autre part, les indépendants ne pourront pas présenter de listes. Seuls les partis politiques pourront le faire. Sur les listes des partis des indépendants pourront être incorporés. Vu le découpage des circonscriptions, la seule solution pour la coalition gouvernementale va être de présenter des listes uniques partout. Ceci promet encore quelques négociations difficiles. C’est la seule solution pour que la droite n’ait pas d’emblée une majorité des 3/5e qui lui donnerait les mains libres. On aurait alors une version modernisée mais tout aussi libérale de la constitution des militaires.

Lautaro Carmona de nouveau : « Il y a eu des mouvements positifs, avec des adversités dans ce processus. Ce n'est pas le cent pour cent du Parti communiste, ni des forces du gouvernement, ni des forces de transformation. Mais c'est ce qui a résulté en termes de restauration d'un processus constituant après l'énorme défaite que nous avons subie après le 4 septembre passé. »

par Pierre Cappanera

membre du collectif Amérique latine du PCF


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