01 janvier, 2019

AU BRÉSIL, JAIR BOLSONARO PREND LE POUVOIR


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JAIR BOLSONARO JUSTE AVANT SON
INVESTITURE, LE 1ER JANVIER 2019
PHOTO NELSON ALMEIDA
 
Le gouvernement du président d’extrême droite, qui a été investi ce mardi, risque d’opposer différentes lignes, étatiste contre ultralibérale, proaméricaine contre proasiatique, évangélique et isolationniste.
«  DIEU NOUS EN FAIT CADEAU» 
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Par Claire Gatinois
JAIR BOLSONARO A ÉTÉ ÉLU PRÉSIDENT
DU BRÉSIL LE 28 OCTOBRE 2018
PHOTO MAURO PIMENTEL
À Brasilia règne déjà l’émoi, prélude aux grands événements. Près d’un million de spectateurs étaient attendus, mardi 1er janvier 2019, dans la capitale brésilienne pour assister à ce que Jair Bolsonaro, 63 ans, qualifie de « célébration de la démocratie ».

Plutôt que la démocratie, l’intronisation officielle du président élu en octobre 2018 marque la victoire de l’extrême droite, des militaires, du climatoscepticisme et du libéralisme économique au Brésil. Un tournant radical quinze ans après l’arrivée au pouvoir de la gauche de Luiz Inacio Lula da Silva, l’ancien syndicaliste, gamin pauvre du Nordeste, parti de rien, arrivé au sommet avant de finir en prison condamné pour corruption. « Il ne fait aucun doute qu’avec notre gouvernement, le Brésil changera de direction», a confirmé le président, le 19 décembre, sur Twitter.

Durant la cérémonie, comptant quelque 2 000 invités et dont ont été exclus les chefs d’Etat vénézuélien et cubain, représentants d’un communisme honni par le capitaine de réserve de l’armée, Jair Bolsonaro devait recevoir son prédécesseur, Michel Temer, l’écharpe présidentielle, signant son entrée officielle en fonctions pour un mandat de quatre ans.


Dans un pays en crise, gangrené par la corruption et la violence, le nouveau dirigeant est attendu comme un messie. Auréolé d’une popularité exceptionnelle – 75 % des Brésiliens considèrent que lui et son équipe sont sur la bonne voie –, Jair Bolsonaro devra confirmer qu’il est à la hauteur des espoirs qu’il suscite et possède la carrure d’un homme d’État. Un défi. Pendant près de trente ans, l’homme fut un parlementaire de second rang, davantage connu pour ses provocations et sa vulgarité que pour son sens des responsabilités.

Ensemble baroque de ministres

Pour l’heure, le nouveau chef d’État a plutôt donné le sentiment d’une grande improvisation. Ses interventions ponctuées de propositions aussi péremptoires qu’inconstitutionnelles ont été suivies d’autant de démentis et de renoncements. Son équipe, formée de vingt-deux ministres aux idées souvent contradictoires, compose un ensemble baroque « sans ligne directrice ni cohérence globale », observe le politologue Carlos Melo, professeur à l’institut Insper d’études supérieures d’économie, de commerce et d’ingénierie de Sao Paulo.

Reste que l’ancien parachutiste n’a pas oublié d’où il venait. Son gouvernement, véritable éloge à l’uniforme, compte plus de militaires que l’équipe du général Castelo Branco, arrivé au pouvoir au lendemain du coup d’Etat de 1964. Copiant les pratiques de la dictature (qui a duré jusqu’en 1985), dont il reste un grand admirateur, Jair Bolsonaro a délégué à un homme fort, Paulo Guedes, l’intégralité des sujets économiques. Reconnaissant son inculture en la matière, le président lui a octroyé un portefeuille aux dimensions titanesques : l’économie, les finances, la planification, l’industrie et le commerce extérieur. A tel point que M. Guedes est aujourd’hui considéré comme un président bis.

Formé à la très libérale école de Chicago, le grand argentier, qui permit à M. Bolsonaro de séduire les milieux d’affaires, promet privatisations en pagaille, débureaucratisation, réformes du système des retraites et de l’impôt. Le voici prêt à tailler dans les dépenses de l’Etat, assumant son rôle de « tsar » de l’économie. Entouré d’une équipe de techniciens à son image, Paulo Guedes travaille déjà à l’avancement de la réforme des retraites, sa principale promesse.

Sûr de lui et de son pouvoir, il agit dans la coulisse sans craindre de froisser le chef de l’Etat. M. Guedes a ainsi manœuvré ces dernières semaines pour tenter de faire réélire un renard de la politique, Rodrigo Maia, à la tête de la Chambre des députés. Un homme jugé compatible avec son agenda libéral, sur lequel Jair Bolsonaro et ses fils volubiles, Flavio et Eduardo, ont pourtant émis des réserves.

Aussi stratégique qu’encombrante, la présence de Paulo Guedes met en lumière la fragilité du futur gouvernement. « ll n’est jamais sain de faire reposer tout un pan du programme sur un seul nom », observe Thiago Vidal, économiste au cabinet de conseil Prospectiva. Réputé soupe au lait, le « Chicago boy » pourrait claquer la porte à la moindre contrariété, déstabilisant les milieux d’affaires. S’il tient bon, le « superministre » de l’économie ne rendra que plus visibles les contradictions du gouvernement Bolsonaro et obligera le militaire à endosser un programme impopulaire, passé presque inaperçu pour une partie de ses électeurs.

Nationalisme et étatisme exacerbés

« Les Brésiliens ont peut-être voté pour Bolsonaro parce qu’ils ont acheté le programme libéral de Paulo Guedes comme solution à la crise. Dans ce scénario, le public serait convaincu de la nécessité de prendre sa retraite plus tard, de compter sur moins de services publics et de vivre avec une législation du travail plus flexible. C’est peu plausible, estime le sociologue Celso Rocha de Barros, dans sa chronique au quotidien Folha de Sao Paulo du 18 décembre. Guedes a été absent des débats pendant la campagne. Quand il parlait, Bolsonaro lui demandait de se taire. »

Préoccupé, Jair Bolsonaro a déjà multiplié les petites phrases comme autant de désaveux, semblant condamner Paulo Guedes aux « réformettes ». « Nous ne pouvons pas sauver le Brésil en tuant les personnes âgées », a notamment lâché le président élu lors d’une visite à un centre catholique de Sao Paulo, le 30 novembre, en parlant de l’actuel projet de réforme des retraites.

L’attitude de Jair Bolsonaro, connu pour son nationalisme et son étatisme exacerbés, annonce la confusion qui pourrait régner au sein d’un futur gouvernement dont l’idéologie se heurte au dogme économique défendu par M. Guedes. Une idéologie calquée sur les pensées d’Olavo de Carvalho, un ancien astrologue devenu le philosophe de l’extrême droite brésilienne, qui a poussé le président élu à s’entourer d’une kyrielle de ministres ultraconservateurs, contempteurs du globalisme, adorateurs de Donald Trump et soldats de la chrétienté.

Ainsi de Damares Alves, pasteure évangélique chargée des droits de l’homme, de la femme et de la famille, qui affirme avoir eu une apparition de Jésus au pied d’un goyavier, ou du ministre des affaires étrangères, Ernesto Araujo, hanté par la menace communiste et pour qui le président américain, Donald Trump, est le « sauveur de l’Occident ».

Cette ligne promet de faire des ravages. En témoigne la feuille de route diplomatique d’Ernesto Araujo, révélée mi-décembre par les médias brésiliens. Le diplomate, convaincu que le réchauffement climatique est un « complot gauchiste », entend sortir de « l’axe globaliste Chine-Europe-gauche américaine » en proposant un « pacte chrétien » avec les Etats-Unis et la Russie tout en se rapprochant étroitement d’Israël, pour satisfaire le lobby évangélique.

Ce discours bravache tenté par le repli sur soi est peu compatible avec la balance commerciale du Brésil, dont Pékin, l’UE et les pays arabes restent des clients stratégiques. Peu importe, prétend l’équipe de Jair Bolsonaro. « Le Brésil continuera à exporter du soja, de la viande et du sucre, mais il exportera aussi l’espoir et la liberté », a rétorqué sur Twitter Ernesto Araujo, le 21 décembre.

LA UNE  DE «LA HONTE» AVRIL 2018 – 
LULA SOUS LES VERROUS. LE 11 AVRIL, 
SANS UN TITRE, VEJA PUBLIE UN DESSIN DE 
L’ANCIEN PRÉSIDENT LULA DERRIÈRE LES BARREAUX.
IL S’EST RENDU À LA POLICE QUATRE JOURS 
PLUS TÔT.  « LE CORROMPU EN PRISON », 
SE RÉJOUIT L’HEBDOMADAIRE CONSERVATEUR. 
« La dynamique de Bolsonaro sera celle de constantes négociations, avec le Congrès, mais aussi au sein même des équipes », pense Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales à la Fondation Getulio Vargas de Sao Paulo. « Si, finalement, le président élu arbitrait en faveur de Guedes, nous pourrions assister à l’émergence d’une politique étrangère proaméricaine dirigée par l’Itamaraty [le ministère des affaires extérieures] et une politique commerciale proasiatique dirigée par le ministère de l’économie. Une diplomatie à deux têtes, sans précédent dans l’histoire du Brésil », prédit le politologue Mathias Alencastro. Une situation atypique et instable, à l’image du nouveau chef d’État brésilien.


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