21 décembre, 2020

CHILI. « LE GOUVERNEMENT A OPTÉ POUR QUE LES TRAVAILLEURS PAIENT LA CRISE »

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LA DÉPUTÉE CHILIENNE KAROL CARIOLA
PHOTO EL SIGLO

À l’issue du congrès du Parti communiste du Chili, entretien avec l’une de ses dirigeantes, Karol Cariola, qui porte au Parlement une loi d’imposition des plus riches.

L'Humanité 

LA DÉPUTÉE KAROL CARIOLA
PHOTO MARIO TÉLLEZ
Aujourd’hui âgée de 33 ans, ancienne responsable du secteur étudiant de la Jeunesse communiste chilienne et ancienne responsable syndicale lors du mouvement étudiant de 2010-2011, Karol Cariola a été élue députée du Parti communiste du Chili en 2013. Elle est représentative de cette nouvelle génération de communistes et féministes chiliens.

L’explosion sociale du 18 octobre 2019 a débouché, le 25 octobre, sur un référendum qui lance un processus constituant. Où en est la situation politique au Chili ?

KAROL CARIOLA  Depuis l’explosion sociale, il est impossible d’analyser la situation politique au Chili sans regarder ce qu’il s’est passé ces trente dernières années. Je pense que l’explosion politique actuelle au Chili est très marquée par le processus historique de transition que notre pays a connu depuis que nous avons récupéré la démocratie en 1990. Ce n’est pas un hasard si le mouvement social, si le peuple chilien a décidé de se dresser avec une telle force contre toutes les inégalités sociales, fruits des politiques ultralibérales dont nous avons hérité de la dictature militaire. Le peuple chilien a poussé également avec une très grande force vers un processus constituant pour éliminer la Constitution que la dictature militaire a laissée comme l’un de ses principaux legs. Nous sommes aujourd’hui à un moment où ce qui détermine la position des forces politiques est l’axe autour de l’ultralibéralisme hérité de la dictature militaire. Il y a d’une part les forces antilibérales et d’autre part les forces néolibérales.

Ce mouvement social n’a pas de leader, il n’a pas non plus de direction collective ?

KAROL CARIOLA Les révoltes dans le monde naissent des besoins collectifs. L’unité est fondamentalement l’unité du peuple, des exploités, des opprimés, des personnes dont les droits fondamentaux ont été violés. Même si nous ne pouvons pas reconnaître un seul parti dirigeant ou une seule figure de proue, ce que nous pouvons reconnaître dans ce processus, c’est que les différents participants à cette révolte convergent vers des objectifs communs. Ce qui est merveilleux, c’est aussi la force qui est derrière ce mouvement social, avec toutes les différences des acteurs et actrices qui se sont soulevés. Ainsi, il y a le mouvement féministe avec ses organisations respectives.

D’autre part, il y a le mouvement ouvrier, où s’est développé tout un processus de convergence avec d’autres acteurs sociaux. Nous avons obtenu que l’expression des luttes contre l’inégalité dans tous les secteurs et tous les domaines génère enfin une convergence commune, une lutte à l’intersection des différentes luttes qui se sont produites ces dernières années.

Quelle peut être la place d’un parti comme le Parti communiste à un moment où l’on constate un rejet des partis ?

KAROL CARIOLA Oui, le Chili est un pays très diversifié dans ses différentes expressions, et je pense qu’il ne fait aucun doute qu’il existe un rejet majoritaire de la manière traditionnelle de faire de la politique et du système institutionnel. Nous ne pouvons pas seulement en rester au constat. Je pense que l’origine du problème, plus que les partis politiques eux-mêmes, est le cadre institutionnel dans lequel ont évolué les partis politiques ces dernières années.

Il est devenu de plus en plus évident que le développement d’une véritable démocratie où le peuple est souverain, qui intègre la participation des citoyens n’est pas possible dans le contexte d’un modèle de développement libéral. Il y a une contradiction fondamentale dans la coexistence d’une démocratie complète avec le modèle de développement libéral qui a prévalu dans notre pays pendant toutes ces années. Tous ces partis politiques qui s’accrochent à cette logique institutionnelle, à cette construction conservatrice, à cette politique de consensus, à cette vieille politique, derrière le dos des citoyens, se mettent évidemment à distance du peuple chilien.

Pour notre part, nous avons joué un rôle en tant que parti, parfois plus en marge, parfois à l’intérieur. Mais, au moins, nous essayons de comprendre et de nous mettre au diapason aussi finement que possible avec ce que le mouvement social populaire exprime et demande. C’est là que réside notre différence. Nous avons toujours dit aussi que notre lutte au sein des institutions (Chambre des députés, etc.) ne peut être séparée de la lutte sociale.

«  Aujourd’hui ce qui détermine la position des forces politiques est l’axe autour de l’ultralibéralisme hérité de la dictature militaire. »

Il y a quelques mois, vous étiez à l’initiative d’un impôt sur les super-riches. Où en est-il ?

KAROL CARIOLA À la suite de la pandémie, une des choses qui est devenue évidente est le manque de volonté du gouvernement de donner au peuple les ressources qui lui permettent de survivre. Loin de ça, le gouvernement a opté pour que les travailleurs paient la crise. C’est sur cela que repose cette initiative de taxation des super-riches. Nous disons qu’il ne peut pas être question que, pour faire face à la crise, les travailleurs doivent utiliser leurs propres fonds de chômage ou de pension.

La crise jusqu’à présent n’a été payée que par les plus pauvres, les travailleurs. Les super-riches représentent 0,1 % de la population chilienne, soit environ 1 500 individus, 1 500 personnes qui concentrent 34 % de la richesse de notre pays. Cela permettrait de collecter fiscalement plus de 6 milliards de dollars pour distribuer en pensions ou en salaires d’urgence pendant au moins trois mois à 80 % des familles les plus vulnérables. C’est ce que l’État aurait dû faire depuis le début et ne pas transférer encore plus de ressources aux grandes entreprises. Notre initiative a reçu un large soutien, un sondage a montré que 80 % de la population du Chili soutient cette proposition.

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Depuis plus de six mois, les sondages pour la présidentielle placent le communiste Daniel Jadue en première position. Est-ce que le congrès qui vient de se tenir a pris position sur cette éventuelle candidature ?

KAROL CARIOLA Nous avions pris la décision lors de notre avant-dernier congrès en 2016 de proposer une candidature communiste à la présidentielle. Nous avions envisagé différents candidats. Finalement, ce sont les Chiliens qui, à travers les sondages, ont désigné Daniel Jadue. Aujourd’hui, Daniel Jadue, comme maire, est engagé dans la campagne pour sa réélection. Nous ne l’avons pas encore déclaré comme candidat à la présidence. Il doit continuer à être maire de Recoleta. C’est ce qui lui a permis, en tant que dirigeant communiste, de montrer ce que nous sommes capables de faire lorsque nous parvenons à gouverner localement. À partir de là, nous évaluerons les positions des différentes forces d’opposition. L’objectif est que demain ces oppositions convergent en une seule candidature.

La candidature de Daniel Jadue est celle qui a le plus de force aujourd’hui. Mais nous ne prendrons pas à l’avance une décision qui n’est pas seulement la nôtre, simplement parce que nous, communistes, ne pouvons pas gagner seuls une élection présidentielle. Il faut créer les conditions d’alliances beaucoup plus larges. La meilleure façon de le faire sera par le biais de primaires dans lesquelles les citoyens choisiront entre les différentes options.

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