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C’était une promesse de campagne du président Gabriel Boric (gauche), arrivé au pouvoir au Chili en mars 2022. Mais, en voulant l’honorer, le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis et se trouve face à une crise politique d’ampleur. La démission de Marcela Rios, la ministre de la justice, a ainsi été confirmée, samedi 7 janvier, ainsi que celle de Matias Meza-Lopehandia, chef de cabinet, un proche du président.
Ces départs font suite à la décision de M. Boric, le 30 décembre 2022, d’accorder la grâce présidentielle à des personnes qui avaient été condamnées dans le cadre des violences ayant émaillé l’historique mouvement contre les inégalités de 2019. Le chef de l’Etat en avait fait une de ses priorités, justifiée par le besoin de « guérir les cicatrices » de la révolte, violemment réprimée par la police. Selon des chiffres de la gendarmerie du Chili, sollicités par le Sénat et divulgués en janvier 2022, 211 personnes se trouvaient condamnées ou en détention provisoire dans le cadre de délits liés aux manifestations.
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Mais le choix des personnes graciées – douze hommes au total – a immédiatement déclenché une polémique. C’est notamment la libération de Luis Castillo, 37 ans, qui a choqué. Au-delà de sa participation aux manifestations, cet homme présente un profil de délinquant multirécidiviste, cumulant plusieurs condamnations, notamment pour vol avec violence, et cela bien avant la révolte sociale, selon les révélations de la chaîne de télévision T13.
Samedi 7 janvier, Gabriel Boric a reconnu des « erreurs » et des « failles dans l’exécution de [sa] décision » sans en détailler leur nature. La mesure ne répond pas au critère « fixé par le président (…) d’exclure [de la grâce] des personnes qui avaient un casier judiciaire complexe préalable à la révolte », a admis Camila Vallejo, ministre porte-parole du gouvernement, lundi, sans préciser combien d’ex-détenus sont concernés par cette erreur. La grâce ne présente néanmoins aucun vice légal et il « n’est pas possible de la révoquer », a-t-elle souligné.
Une trentaine de morts
La droite était opposée au concept même de grâce pour les personnes poursuivies dans le cadre des manifestations. « La priorité est d’être du côté des victimes, pas des délinquants », a estimé Diego Schalper, député et secrétaire général de Renovacion Nacional (droite), qui a dénoncé une « erreur énorme ». L’opposition a donc quitté la « table de la sécurité », un espace de dialogue entre le gouvernement et l’opposition lancé en novembre 2022 pour formuler des axes de lutte contre l’insécurité, la première inquiétude des Chiliens, selon les enquêtes d’opinion.
Impopulaire, la libération de certains prisonniers de la révolte sociale est devenue, dès la campagne présidentielle de fin 2021 et encore plus depuis la prise de fonction de Gabriel Boric, un sujet embarrassant. La coalition de gauche au pouvoir s’inscrit dans le sillon du mouvement contre les inégalités de 2019, qui a notamment porté des exigences de nouveaux droits sociaux. Gabriel Boric s’est fait l’écho de ces demandes et de leur corollaire, l’écriture d’une nouvelle Constitution. Si le projet formulé pendant un an a amplement été rejeté lors d’un référendum en septembre 2022, sa rédaction doit maintenant être relancée.
Cependant, la révolte sociale a été entachée par les débordements du fait d’individus violents, mais aussi de « l’usage excessif de la force » de la part de la police, dénoncé par l’ONU. Au total, une trentaine de personnes ont perdu la vie et plus de 400 ont été blessées aux yeux. C’est dans ce contexte qu’Amnesty international a dénoncé le « recours disproportionné à la prison provisoire ».
Dans un premier temps, le gouvernement avait misé sur une loi d’amnistie, qui devait être débattue au Parlement. Sans majorité ni consensus politique, le projet a végété, débouchant finalement sur cette grâce, qui ne dépend que de la volonté présidentielle. Selon l’institut Cadem, 64 % des sondés y étaient opposés.
« Erreur tactique et de timing »
La libération des détenus « a été utilisée par la droite pour mettre à mal le gouvernement et faire élire son [candidat au poste de] procureur national », analyse Karinna Fernandez, avocate spécialiste des droits humains. La nomination, le 9 janvier, du nouveau chef du parquet, organisme autonome chargé de mener les enquêtes, a fait l’objet de négociations ardues, alors que le poste est resté vacant pendant cent jours. Mme Fernandez a elle-même été candidate avant de se retirer de la course au mois de novembre 2022. Le chef du parquet « est une autorité qui va avoir une influence sur les affaires de violences policières de la révolte sociale, il a par exemple la possibilité de ne pas donner suite aux enquêtes », explique l’avocate.
Selon Marco Moreno, politiste à l’Université centrale du Chili, le gouvernement a commis « une erreur tactique et de timing. Il a gouverné pour sa tribu politique [l’aile la plus à gauche de la coalition] et s’est privé d’un début d’année avec des bonnes nouvelles concernant le travail de la table de la sécurité ». Tandis que le gouvernement s’approche de sa première année au pouvoir, « il manque de clarté et de cap », estime M. Moreno.
Lors de sa prise de fonction, mercredi 11 janvier, le nouveau ministre de la justice, Luis Cordero, a estimé que, « depuis leur application dans les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, les motifs [des grâces] ont été vecteurs de conflit ». La polémique écorne encore davantage l’image présidentielle qui avait bénéficié d’une très relative amélioration en fin d’année. Selon l’institut Cadem, 70 % des sondés désapprouvaient la gestion de Gabriel Boric début janvier, un rejet au plus haut.
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