20 janvier, 2023

HENRI KRASUCKI, UN HOMME DE CONVICTIONS

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PHOTOS OUEST-FRANCE

HISTOIRE DE LA SEMAINE

Henri Krasucki, un homme de convictions / Engagement Le 24 janvier 2003, l‘ancien secrétaire général de la CGT mourait à l’âge de 78 ans. Militant communiste à 15 ans, il dirige la MOI avant d’être déporté à Auschwitz. Après la guerre, devenu métallurgiste, il adhère à la CGT dont il prendra les rênes de 1982 à 1992.

par Christian Langeois

ARCHIVES DU MUSÉE DE
LA PRÉFECTURE DE POLICE

un hommage « Sous le signe de la clé de sol » était rendu, en mars 2003, à l’espace Oscar-Niemeyer, à celui qui était décédé le 24 janvier. Vingt ans déjà. Une place à Belleville, une rue à Montpellier, une salle de la bourse du travail de Paris portent son nom. Baromètre contemporain de notoriété, « Henri Krasucki », tapé sur un moteur de recherche, renvoie à des centaines de milliers de références, à des vidéos de plateaux de télévision, aux côtés de Simone Veil, aux victoires de la musique, comme à des images à vocation satirique. Moins fréquentées, les archives de l’Institut d’histoire sociale de la CGT recensent à son nom 579 brochures, préfaces, articles, 1 400 discours et déclarations.

Le cinéma, la littérature, Télérama et bien d’autres ont fait de « Krasu » un héros de légende, un mélomane et un homme de haute culture. Tout cela, certes, mais Henri Krasucki fut, de ses 15 ans jusqu’à sa mort, un militant communiste.

En 1928, il a 4 ans lorsque ses parents quittent la Pologne

PHOTO DOMINIQUE GUTEKUNST

Le jeune Henoch, né en 1924 dans la banlieue de Varsovie, devenu Henri, est arrivé à Paris à l’âge de 4 ans. Ses parents, militants du Parti communiste polonais, ont dû quitter la Pologne antisémite, anti­communiste et bigote. Devenus ouvriers du textile, ils s’installent à Belleville. L’école, tout comme les organisations spécifiquement juives créées par les communistes, et le patronage laïc la Bellevilloise vont jouer un rôle essentiel pour Henri. À 15 ans, s’il découvre les concerts, puis l’opéra, il décide de devenir ajusteur métallurgiste par la voie de l’apprentissage.

«Ce Français de fraîche date», comme l’écrit à son sujet une journaliste du Figaro tombée dans les oubliettes, résistant, entré dans la clandestinité à 17 ans, se trouve à la tête de jeunes juifs communistes parisiens de la Main-d’Œuvre ­immigrée (MOI), à combattre l’occupant nazi les armes à la main. Arrêté en mars 1943 par les brigades spéciales de la police française, il est déporté à Auschwitz, puis à Buchenwald.

Henri Krasucki a subi parfois des attaques personnelles, comme en 1987, lors d’un Club de la presse, lorsqu'une journaliste du Figaro-Magazine lui reproche d’être un « Français de fraîche date » qui, « naturalisé en 1947 », se permet de critiquer la politique de la France. Il réplique en racontant l’histoire de son père. « Mes origines n’ont rien d’extraordinaire » explique-t-il à Jean-Claude Poitou, « il se trouve d’ailleurs qu’elles sont les mêmes que celles du cardinal archevêque de Paris (il s'agit de Jean-Marie Lustiger, comme lui d'origine juive polonaise). Ses parents et les miens ont, à peu d’années d’intervalle, vécu la même histoire, bien qu’avec des idées différentes. Je ne peux m’empêcher d’observer que si, par hypothèse, les circonstances de la vie m’avaient fait archevêque, on évoquerait aujourd'hui mes origines avec tact, sans insinuation perfide. Et si je comptais parmi mes ancêtres quelques grands princes polonais, alors là… » (allusion au prince Michel Poniatowski, ministre français). (Wikipédia)

À son retour, il termine son apprentissage, puis, ouvrier ajusteur, adhère à la CGT et milite au PCF. Permanent syndical à 25 ans, il va s’avérer, en 1967, à 43 ans, un dirigeant de premier plan, muni d’aptitudes hors du commun acquises tant dans ses responsabilités syndicales qu’au Bureau politique du PCF, où il fut responsable de la politique culturelle et des rapports avec le monde intellectuel au moment de l’historique comité central d’Argenteuil de 1966.

Henri Krasucki est alors doté d’une légitimité nouvelle. Directeur de la Vie ouvrière depuis 1960, responsable du secteur de la politique revendicative, « équipier » de Georges Séguy devenu secrétaire général de la CGT en 1967, il deviendra à son tour secrétaire général de la Confédération durant dix ans, de 1982 à 1992. Ces années 1980 sont rapidement celles du « renoncement ». Fini le Temps des cerises, Yves Montand, applaudi par Libération, entame la série «Vive la crise»!

Tandis que la CGT tente d’enrayer la destruction de l’appareil productif français, Krasucki a les honneurs du Bébête Show et d’un dessin de Plantu dans le Monde. Peut-il en être alors autrement d’un ouvrier, gréviste de surcroît : il est représenté en personnage vindicatif aux petits yeux méchants, aux oreilles décollées, au long nez d’où perle une goutte, aux joues colorées par l’alcool.

« J’ai conservé mes convictions et je n’en finis pas de les enrichir »

La veille de Noël 1991, le drapeau rouge soviétique est affalé, remplacé par celui de la Russie. Boris Eltsine trinque à l’arrivée des « experts » du FMI. L’Humanité titre « Le saut dans l’inconnu ». À l’approche de son départ, en 1991, Henri Krasucki, tirant le bilan de la décennie 1980, affirme : «  Oui, nous sommes couverts de blessures, de grandes cicatrices pas ­encore refermées (…), pourtant, la CGT est debout. Même affaiblie, elle est en situation de connaître un nouveau départ. (…) Il nous faut lui faire une toilette de printemps.» La tâche en reviendra à Louis Viannet. La CGT est prête à la grande offensive pour les retraites de novembre-décembre 1995.

S’il affirme alors avoir perdu ses illusions, Henri Krasucki précise : «J’ai conservé mes convictions et je n’en finis pas de les enrichir. Au fond, je ne suis jamais blasé, je demeure fidèle comme au premier jour à l’idéal et à l’élan de ma jeunesse.» Et comme une mise en garde aux nostalgiques : «Chaque génération doit faire face à la situation qu’elle trouve sans avoir à la choisir, et chacune a en elle-même les réserves d’esprit combatif, d’intelligence et de droiture, de capacité de se cultiver pour répondre aux exigences de son temps. La connaissance, l’expérience, les choses déjà faites doivent servir. C’est impossible de ne pas commettre d’erreurs. Essayons d’éviter de commettre les mêmes, trouvons-en d’originales.»

Vingt ans après son décès, Henri Krasucki occupe une place particulière dans l’histoire, la vie politique, sociale et culturelle. Une place à laquelle bien peu peuvent prétendre. Il est parmi nous.

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