Luis Chihuailaf, fondateur de l’association Escale implantée au cœur du quartier populaire de La Source, s’est éteint dans la nuit de samedi à dimanche, le 31 mai 2020, à l’âge de 80 ans. Il emporte avec lui une partie de l’histoire qui unit le Loiret à une communauté chilienne constituée d’opposants au dictateur Pinochet, ces derniers ayant massivement été accueillis en France, en 1974. Histoire d’un homme qui a fait l’Histoire.
Comme nombre de Chiliens qui ont fui la
dictature de Pinochet, Luis Chihuailaf (littéralement «brume sur le lac » en langue indienne) a eu plusieurs vies. Le fondateur et figure historique de l’association Escale, qui s’est éteint dans la nuit de samedi à dimanche, 31 mai 2020, des suites d’une longue maladie, aura consacré ses vies à améliorer celles des autres. Au Chili, tout d’abord où Luis était « avant tout paysan dans les communautés indiennes », comme aime à le souligner Rodrigo, l’un de ses enfants. Mais aussi comme directeur d’école engagé, militant syndical et politique. « Le coup d’état contre Allende a été un traumatisme », se souvient-il. Lui, avait cinq ans au moment où le gouvernement progressiste est renversé par un coup d’état soutenu par les USA.
OLIVIER CARRÉ ET LUIS CHIHUAILAF
À ORLÉANS, JANVIER 2019.
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Il se souvient encore : « Il fallait deux ou trois heures de marches aux enfants de paysans pour gagner l’école, d’où l’idée de créer un internat, une entreprise que mon père a pu mener à bien ». Un internat qui permettra également aux enfants de bénéficier de deux vrais repas quotidiens. Mais le nouveau maître des lieux, Augusto Pinochet, fait systématiquement taire toute forme d’opposition et de progrès. Luis est arrêté et torturé avant d’être isolé avec sa famille de l’autre côté du pays.
Quelques jours plus tard, il est de nouveau arrêté, puis torturé au point que son fils ne le reconnaît pas. Puis, la providence s’en mêle. « Mon père était entraîneur de football et il avait, dans son équipe, deux militaires qui l’ont reconnu », rapporte son fils. « Ils l’ont alerté qu’ils lui laisseraient 24 heures avant de signaler son évasion ». Grâce à un laisser-passer sanitaire, la famille peut enfin gagner Santiago, la capitale où se trouve la résidence de l’ambassadeur de France. Son épouse profite des festivités du nouvel an 1974 pour accueillir les Chihuailaf. Et c’est un avion affrété par l’Organisation des Nations Unies qui leur permettra de gagner la France. « Jusque sur le tarmac, les militaires nous ont obligé à mettre les mains sur la tête, comme une ultime humiliation », se souvient encore Rodrigo.
C’est sous une pluie battante que les Chiliens arrivent à Roissy. Plusieurs d’entre eux vont prendre la direction du Château de Chamerolles, dans le Loiret. « Les opposants politiques prenaient cette direction, tandis que les autres familles étaient accueillis en Grande Bretagne », se souvient Elgueta Jorge, ancien exilé et proche de Luis. À ce moment-là, tous n’ont qu’une idée en tête : « Retourner au pays dans une semaine ou un mois, c’était une évidence pour nous», assure Rodrigo. « Mon père n’avait pas d’autres projets ». Pourtant, Luis trouve rapidement un emploi d’ouvrier au sein du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) basé à La Source.
Naissance d’Escale
LUIS CHIHUAILAF ACCOMPAGNÉ DE SON ÉPOUSE. DR |
Luis, qui a passé le témoin il y a une dizaine d’années, laissera une trace indélébile dans ce quartier populaire de La Source. Il a rejoint son ami Michel Ricoud dont il aura ignoré, jusqu’au bout, la disparition. Plusieurs personnalités locales (voir encadrés), dont le sénateur Jean-Pierre Sueur, le maire Olivier Carré lui ont rendu hommage. Mais aussi beaucoup d’anciens d’Escale, dont certains y militent toujours à l’image de Samir Baz, vice-président de l’association. Durant cette deuxième vie, Luis aura réussi l’exploit de mettre ses expériences du Chili au service des quartiers populaires. Avec un succès qui force l’admiration de tous.
< Les obsèques auront lieu le lundi 8 juin 2020, à 14h30, à l’église Saint-Yves d’Orléans La Source>
Mourad Guichard