01 octobre, 2024

NICARAGUA / DÉCÈS D'HUMBERTO ORTEGA, ANCIEN CHEF DE L’ARMÉE SANDINISTE

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HUMBERTO ORTEGA, LORS D’UNE CONFÉRENCE DE PRESSE,
À MANAGUA, LE 20 DÉCEMBRE 1994.
PHOTO PEDRO UGARTE

DISPARITIONS / NICARAGUA / 
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LE MONDE
L’ex-guérillero sandiniste Humberto Ortega, frère du président nicaraguayen, est mort / 
Compagnon de lutte de Daniel Ortega devenu chef de l’armée après la victoire des sandinistes, il avait eu par la suite des relations tumultueuses avec son frère, devenu l’homme fort du Nicaragua. Il est mort le 30 septembre, à 77 ans.

Par Angeline Montoya

Temps de Lecture 3 min.

HUMBERTO ORTEGA, DEBOUT SOUS UN
 PORTRAIT DE CÉSAR AUGUSTO SANDINO,
DANS UNE IMAGE D'ARCHIVE.
 PHOTO WILLIAM GENTILE

il avait formé, avec son frère Daniel Ortega, pendant plus de dix ans, un puissant binôme à la tête du Nicaragua. Mais c’est alors qu’il se trouvait assigné à résidence depuis quatre mois que l’ancien général Humberto Ortega est mort, lundi 30 septembre, à Managua, à l’âge de 77 ans, d’un arrêt cardiaque.

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La veille, la direction de l’hôpital militaire où il était hospitalisé depuis le 11 juin avait publié un communiqué informant d’une « brusque détérioration de son état avec un choc cardiogénique ». « Nous rappelons l’apport stratégique du général Ortega en tant que militant sandiniste depuis son adolescence, son courage lors d’actions militaires (…), ses écrits, plateformes, théories insurrectionnelles et historiques », a déclaré le gouvernement dans un communiqué.

DANIEL ORTEGA ET HUMBERTO ORTEGA, LORS
D'UNE APPARITION AU NICARAGUA, EN 1984.
PHOTO VINCENT FOURNIER

Le texte ne faisait pourtant nullement mention du fait que Humberto Ortega se trouvait en détention à domicile depuis le 19 mai, après un entretien qu’il avait donné au média en ligne Infobae. Il avait alors critiqué la « dictature » mise en place par son frère et avait assuré que ce dernier n’avait aucun successeur, pas même au sein de sa propre famille. Des déclarations qui avaient provoqué l’ire de la vice-présidente, Rosario Murillo, épouse de Daniel Ortega, qui compte bien sur leur fils, Laureano, pour assurer la suite du régime après la mort de son mari.

Formation militaire à Cuba

La réponse ne s’était pas fait attendre. La maison de Humberto Ortega avait été encerclée, ses employés arrêtés, son ordinateur et son téléphone saisis. Souffrant de graves problèmes coronariens, il n’avait cependant pas été tout de suite hospitalisé, malgré les demandes de ses proches. Ce n’est que trois semaines plus tard, après un infarctus, qu’il avait été transféré à l’hôpital militaire. Quelques jours plus tôt, son frère l’avait qualifié de « traître ».

Humberto Ortega est né le 10 janvier 1947 à Juigalpa, au sein d’une famille de gauche opposée à la dictature de la famille Somoza (1936-1979). Avec ses frères Daniel et Camilo – tué en 1978 lors d’un affrontement avec l’armée –, il commence très tôt à militer au sein de la Jeunesse patriotique nicaraguayenne, puis du Front sandiniste de libération nationale (FSLN).

En 1967, il est fait prisonnier une première fois après une tentative d’attaque contre le convoi du dictateur Anastasio Somoza Debayle. Rapidement libéré, il entre dans la clandestinité et part se former militairement à Cuba. Mais en 1969, au Costa Rica, il est gravement blessé alors qu’il tente de faire libérer le guérillero Carlos Fonseca. Il perd la mobilité de ses mains et est de nouveau emprisonné.

Sa libération survient en 1970 après le détournement d’un avion costaricain dans lequel se trouvaient quatre employés américains de l’entreprise bananière United Fruit Company, par un commando au sein duquel figurait notamment celle qui deviendra son épouse, Ligia Trejos Leiva, avec qui il aura trois enfants. De retour à Cuba, Humberto Ortega subit plusieurs opérations chirurgicales, mais ne retrouvera jamais le plein usage de ses mains, et renoncera à la lutte armée.

LES MINISTRES NICARAGUAYENS DE LA PRÉSIDENCE DE L'ÉPOQUE,
ANTONIO LACAYO (À GAUCHE), ET LE GÉNÉRAL DE LA DÉFENSE,
HUMBERTO ORTEGA, AUX CÔTÉS DE LA PRÉSIDENTE VIOLETA CHAMORRO,
LORS D'UN ÉVÉNEMENT À MANAGUA LE 2 SEPTEMBRE 1991
PHOTO - / AFP/ARCHIVOS

Fortune à l’origine douteuse

Daniel et Humberto ont été les principaux idéologues de la tendance « tercériste » (ou « troisième tendance ») du FSLN, qui prônait une action militaire et des alliances tactiques avec tous les opposants à la dictature des Somoza, y compris les élites bourgeoises. Cette stratégie aboutit, le 19 juillet 1979, à l’entrée triomphale du FSLN à Managua et à la chute du somocisme.

Un gouvernement provisoire, dirigé par Daniel Ortega, est mis en place. Humberto devient le commandant en chef de l’Armée populaire sandiniste. Les deux frères se partagent ainsi le pouvoir. Et lorsque Daniel gagne la présidentielle en 1984, il nomme Humberto au poste de ministre de la défense. Là, ce dernier impose le « service militaire patriotique » obligatoire. Lorsque, en 1990, Daniel Ortega perd la présidentielle, remportée par Violeta Barrios de Chamorro (droite), celle-ci maintient Humberto au poste de ministre, ce que Daniel ne lui pardonnera pas.

Humberto Ortega se retire de la vie politique en 1995. Dès lors, il consacre sa vie à l’écriture d’ouvrages ou de mémoires, et à faire fructifier sa fortune personnelle, dont les origines sont douteuses : d’aucuns l’accusent d’avoir bénéficié de la « piñata sandiniste », la redistribution parmi les membres de la direction du parti des biens de l’État qui avaient été confisqués lors du triomphe de la révolution.

Sa relation avec Daniel, revenu au pouvoir en 2007, restera chaotique. Après la sanglante répression des manifestations de mécontentement de 2018, qui a fait 355 morts, Humberto suggère à son frère d’avancer les élections. Daniel Ortega le traite alors de « pion de l’empire », en référence aux États-Unis. Les critiques de Humberto à l’encontre du régime iront croissant.

Selon le quotidien espagnol El Pais, qui cite une source proche de l’ancien général, Humberto Ortega, qui se sentait très malade, aurait donné l’entretien à Infobae en mai comme une façon de « s’immoler à l’approche de la mort », « sa dernière grande contribution à la recherche d’une issue au Nicaragua».


Humberto Ortega en quelques dates

  • 1947 Naissance à Juigalpa (département de Chontales)
  • 1969 Blessé au Costa Rica et fait prisonnier
  • 1985-1995 Ministre de la défense
  • 19 mai 2024 Assigné à résidence par son frère Daniel Ortega
  • 30 septembre 2024 Mort à Managua


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