La Cour constitutionnelle a entériné l’interdiction faite à l’ex-président bolivien en exil de se présenter aux élections sénatoriales.
PHOTO JORDI RUIZ CIRERA |
le coup d’État, puis son bannissement loin du pays ne suffisaient pas. La droite putschiste, qui s’était emparée du pouvoir lors de la crise postélectorale consécutive au scrutin présidentiel d’octobre 2019, s’acharne contre Evo Morales. Objectif : tenir le plus longtemps possible l’ancien président de gauche loin de la scène politique et même, l’éliminer politiquement. Lui et les siens. Lundi, la Cour constitutionnelle a confirmé la décision du Tribunal suprême électoral (TSE) d’empêcher la candidature d’Evo Morales aux élections sénatoriales – il entendait se présenter dans la région de Cochabamba. Les poursuites engagées contre lui pour « sédition et terrorisme » interdisaient déjà sa candidature à l’élection présidentielle, ce qui avait conduit son parti, le MAS, à désigner une autre de ses figures, Luis Arce.
L’ex-ministre des Finances d’Evo Morales caracole depuis son investiture en tête de tous les sondages, loin devant les six candidats d’une droite divisée. Aussi, sûrs d’être défaits dans les urnes, ses adversaires tablent sur un coup d’État judiciaire, en s’inspirant d’une méthode déjà éprouvée en Amérique latine contre plusieurs anciens chefs d’État : Luis Ignacio Lula da Silva au Brésil, Rafael Correa en Équateur, Cristina Fernandez de Kirchner en Argentine. Objectif : laisser les putschistes et leurs alliés seuls en piste. Le candidat du MAS est ainsi la cible, comme une soixantaine d’autres personnalités de gauche, d’opportunes accusations de corruption.
Manœuvres dilatoires et « campagne de discrédit »
Depuis qu’ils ont pris les rênes du pays avec la complicité des appareils militaire et policier, les putschistes, qui se donnaient initialement 90 jours, ont en fait multiplié les manœuvres dilatoires pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir. La pandémie de Covid-19 leur a offert, de ce point de vue, une opportunité inespérée : les élections générales ont été quatre fois reportées, avant d’être fixées au 18 octobre. L’annonce, au cœur de l’été, du dernier report, sur la base d’une décision unilatérale de l’autoproclamée « présidente par intérim » Jeanine Áñez, parfaite représentante d’une droite ultralibérale, raciste et intégriste, avait fini par soulever dans tout le pays une vague de contestation violemment réprimée. Cette mobilisation conduite par la Centrale ouvrière bolivienne et les mouvements sociaux réunis au sein du Pacte d’unité a toutefois contraint le TSE à conditionner la date du 18 octobre à l’exclusion de tout nouveau report.
« Le régime veut détourner l’attention de la grave crise économique et du chômage, c’est pourquoi il invente des plaintes et tente d’instrumentaliser les tribunaux internationaux à des fins électorales. » EVO MORALES
La droite et les médias à sa solde se sont, eux, déchaînés, accusant les protestataires d’empêcher, par leurs blocages, l’acheminement de matériel médical et de médicaments destinés aux patients atteints de Covid-19. Jeanine Áñez a même avancé le chiffre de 40 morts, en annonçant, le 4 septembre, la saisie de la Cour pénale internationale contre Evo Morales, accusé d’avoir orchestré les barrages routiers. Depuis son exil argentin, l’ancien président a dénoncé « une campagne de discrédit » conduite par un pouvoir qui «ne se soucie que des intérêts des cliniques, des grandes entreprises et des banques privées ». « Le peuple a été livré à lui-même durant la pandémie. Le régime de facto sait que ses accusations n’auront aucun effet, il veut détourner l’attention de la grave crise économique et du chômage, c’est pourquoi il invente des plaintes et tente d’instrumentaliser les tribunaux internationaux à des fins électorales », a-t-il répliqué.
Luis Arce s’en est pris lui aussi à l’impéritie de Jeanine Áñez et de ses ministres : « Plus de cinq mois se sont écoulés depuis que le Covid-19 est arrivé en Bolivie. Le gouvernement actuel a promis des équipements pour faire face à la pandémie. La seule chose réelle, ce sont les allégations de corruption dans l’achat de respirateurs. » Allusion à l’un des scandales de corruption qui cernent les putschistes : au printemps, le ministre de la Santé avait été limogé suite à des soupçons de malversations dans un contrat d’achat de respirateurs. Il n’a pas été remplacé depuis lors : un militaire sans compétences est chargé de l’intérim. Quant aux équipements médicaux achetés à prix d’or, des médecins ont fait l’amer constat qu’ils n’étaient pas du tout adaptés aux services de réanimation des hôpitaux boliviens.
Une décision « illégale et inconstitutionnelle »
Devant la férocité de ses adversaires, dont les accusations de fraude apparaissent aujourd’hui infondées (lire notre édition du 10 juin), Evo Morales avait refusé le bras de fer, à l’automne dernier : il redoutait de voir la Bolivie sombrer dans de sanglants affrontements. Il prend acte, aujourd’hui, de la « décision inconstitutionnelle et illégale » qui entrave son retour en politique et au pays. « Nous respecterons cette décision car notre engagement, notre priorité, c’est la sortie de la crise. Nous ne tomberons dans aucune provocation, le peuple se gouvernera à nouveau, pacifiquement et démocratiquement », prédit l’ancien syndicaliste paysan, sûr que ceux qui cherchent à le « désactiver » ne pourront pas « interdire le peuple ».
La persécution politique et judiciaire dont il est l’objet, comme la récente condamnation de l’ex-président équatorien Rafael Correa, déchu de ses droits politiques pour un quart de siècle, soulèvent l’indignation dans toute l’Amérique latine. Hugo Yasky, secrétaire général de la Centrale des travailleurs d’Argentine, voit dans leur proscription la main d’une « droite latino-américaine rance, qui prétend défendre la démocratie et la République », mais n’a « toujours pas compris la leçon que l’histoire nous a maintes fois enseignée : le peuple n’oublie pas ceux qui ne le trahissent pas ».
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