26 avril, 2021

DU TEST À L’AÉROPORT AU CONTRÔLE À DOMICILE: UN WEEK-END AVEC LES PASSAGERS DE RETOUR DU CHILI, D’INDE ET DU BRÉSIL

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PHOTO CYRIL ZANNETTACCI / LIBÉRATION

Reportage. la pandémie de Covid-19 en France dossier

Depuis samedi, les règles d’entrée en France ont été durcies pour les voyageurs venant de pays durement touchés par certains variants du coronavirus. «Libération» a suivi des passagers et les équipes de police chargées de les contrôler

par Miren Garaicoechea

«trois tests en trois jours… Et c’était le moins désagréable de tous !» Après 14 heures de vol, Iris*, 15 ans, et sa famille, viennent de rentrer en France, après plusieurs années d’expatriation à Santiago, au Chili. Au terminal 2E de l’aéroport francilien Roissy Charles-de-Gaulle, il est 8 heures ce samedi matin. Les bagages attendront : la famille vient d’être dépistée au coronavirus, et attend les résultats.

Depuis samedi, les règles d’entrée en France se sont durcies pour les passagers venant de pays où certains variants inquiétants du Covid-19 circulent fortement. Voyageurs du Brésil, de Guyane Française, d’Argentine, du Chili, d’Afrique du Sud et d’Inde doivent désormais tous passer un test antigénique en arrivant à l’aéroport. Celui-ci s’ajoute au dépistage nécessaire pour monter dans l’avion : soit un PCR négatif de moins de 36 heures, soit une combinaison d’un test PCR de moins de 72 heures et d’un test antigénique de moins de 24 heures. Passée l’épreuve de l’ultime test et son résultat à Paris, les voyageurs reçoivent un arrêté préfectoral les obligeant à respecter un isolement de dix jours à domicile. En cas de violation, l’amende s’élève à 1 000€.

Négatif au départ, positif à l’arrivée

À l’arrivée, après avoir renseigné grâce à un QR Code leur adresse de quarantaine, téléphone et mail, la famille du Lot présente son justificatif de domicile (qui peut aussi être une réservation d’hôtel) aux membres de la protection civile, en charge de l’opération avec le concours de la police aux frontières. «Mouchez-vous Madame.» Elise*, combi bleu, charlotte, lunettes de protection et gants les attend dans un des neuf box individuels pour le prélèvement nasal. Ce matin, les passagers de deux vols chilien et indien se mêlent dans l’espace d’attente des résultats, certains bardés d’une visière en plus de leur masque. «C’est normal qu’on nous dépiste», entend-on en trois langues. Isana*, Indienne de 8 ans, crâne joyeusement : seuls les moins de onze ans échappent à l’écouvillon, mais elle a déjà donné en Inde. «Ils y sont allés fort, dans mon nez et ma gorge !»

Elena*, 24 ans, n’y a pas échappé. «C’est long tout ça», souffle-t-elle. La Franco-chilienne, en visite chez sa famille depuis trois mois, a vécu un «ascenseur émotionnel». Depuis l’annonce d’un durcissement des règles, elle a appelé Air France et l’ambassade un jour sur deux. «Je ne comprenais pas s’il fallait un test PCR ou antigénique, de moins de 36 ou 72 heures…» Elle s’est retrouvée coincée, refusée d’accès à l’embarquement au Chili. «La règle avait changé, mon test n’était plus valable pour eux.»

En 1h30, Elena prend un taxi avec un couple de Français, s’arrête sur un parking de zone industrielle proche de l’aéroport de Santiago, où la voiture d’un médecin privé l’attend pour faire un test. «100 balles en tout», lâche, amère, l’étudiante. A Paris, finies les sueurs froides. Après 30 minutes d’attente, Elena* repart, son résultat de test négatif et son arrêté préfectoral de mise en quarantaine sous le bras. La copie de ce dernier sera envoyée à la préfecture de son adresse de quarantaine pour un éventuel contrôle, ainsi qu’à l’Assurance maladie.

Depuis août dernier, une cinquantaine de membres de la Protection civile accueillent les voyageurs à l’aéroport pour les tester. Louis-Clément Kraimps, chef de projet adjoint du centre de dépistage Roissy : «Notre association bénévole a dû salarier une soixantaine de personnes pour assurer cette mission. On a une expertise opérationnelle qui sert pour ce genre de dépistage de masse.» Sous une tente, Oli*, ancien légionnaire de 53 ans bénévole, tique en saisissant les résultats d’un passager : «Quelqu’un est positif ! On en a en moyenne un par jour, alors que la personne était négative moins de 36 heures avant… ça montre bien l’utilité de ces tests.»

Ce samedi, c’est tombé sur Maurice*, 51 ans. Le Bordelais revenait de vacances dans sa famille à Chennai, en Inde. Testé vers 9 heures, il a été isolé dès son résultat positif dévoilé. «On m’a donné un masque FFP2 et on m’a isolé dans un espace. J’ai attendu jusqu’à 17 heures, on m’a même offert un repas.» Maurice* n’était pas seul : une dizaine de passagers l’auraient rejoint dans la journée. Une fois libéré, son train raté, Maurice* a dû dormir dans un hôtel près de l’aéroport, avant de rentrer à Bordeaux dimanche. En effet, même si un passager est positif, il doit rentrer chez lui, et donc prendre les transports. Une prise en charge de l’isolement à proximité de Roissy «n’est actuellement pas à l’étude» selon le gouvernement. C’est un lourd fardeau financier pour Maurice*, manutentionnaire dans un supermarché aux revenus modestes, qui a dû débourser 180€ pour la nuit d’hôtel et le nouveau billet train. «C’est comme ça», lance-t-il, résigné.

«On a un peu été traités comme du bétail… Et il y avait tellement de monde, que si on n’était pas positif en partant, on l’était en arrivant !» —  Lisa, étudiante parisienne en quarantaine, de retour du Brésil

Dimanche après-midi, Alexandre Hervy, commissaire adjoint du XVIe arrondissement parisien, et le policier qui le seconde, montent en voiture. Il leur reste à réaliser deux des cinq contrôles de la journée dans l’arrondissement, auprès de deux passagères arrivées quelques heures plus tôt du Brésil. Pour retrouver Marie*, qui dort quand ils l’appellent, il leur faut passer une porte cochère grâce à un livreur de passage. Toquer patiemment aux cinq appartements de l’immeuble, sans succès, avant de trouver son logement au fond de la cour de briques rouges, grâce à l’aide de la gardienne. «On se renseigne auprès des voisins si on peut, et on attend dix minutes pour voir si la personne rappelle», indique Alexandre Hervy. Seul un numéro de rue est indiqué sur le formulaire, sans digicode ni étage. Les policiers devront s’en contenter, et caler ces contrôles quand ils le peuvent, entre deux missions. Le but : «Contrôler la personne assez tôt dans les dix jours de quarantaine, puis la recontrôler éventuellement plus tard, à la moitié ou fin de parcours.»

«Je ne prends pas ça à la légère»

Contrôler Lisa*, étudiante de 23 ans de retour de Belo Horizonte au Brésil, a été plus simple. Sa mère répond au téléphone puis à la porte. Une fois réveillée, Lisa* s’avoue surprise d’être contrôlée «aussi tôt, à peine débarquée», après cinq heures d’attente des résultats du test le matin même – un embouteillage accru par la visite du Premier ministre, Jean Castex, dimanche matin à Roissy. «On a un peu été traités comme du bétail… Et il y avait tellement de monde, que si on n’était pas positif en partant, on l’était en arrivant !», estime-t-elle. Pour ce contrôle, Lisa* pensait que les policiers iraient jusqu’à toquer à sa porte de chambre, pour vérifier qu’elle est isolée dans l’appartement. «On n’a pas à entrer chez les gens», rassure le commissaire adjoint.

L’étudiante compte respecter l’isolement, sans même profiter des deux heures de relaxe autorisées, de 10 heures à midi, pour faire des courses de premières nécessité dans un rayon d’un kilomètre. «J’ai un Covid long depuis six mois. Je l’ai attrapé en pleine quarantaine, alors que j’étais sortie une seule fois faire les courses. Depuis, le dissolvant et le chocolat ont la même odeur nauséabonde, et j’ai des pertes de mémoire. Donc je ne prends pas ça à la légère», confie-t-elle.

Isolée sur la côte nantaise avec son conjoint, Antonia*, 63 ans, croisée à Roissy samedi, se dit «très ennuyée» par cette histoire de contrôle. Elle a découvert les nouvelles modalités de la quarantaine entre deux vols de retour de Pondichéry, en Inde, où elle s’était rendue pour «un traitement médical indisponible en France». Malgré les règles dictées par l’arrêté, elle va tout de même voir lundi son cardiologue à deux heures de route de chez elle. «C’est une urgence vitale. J’ai un cancer du sein et ce rendez-vous me permettra de savoir si on peut enfin m’opérer. Alors tant pis, je laisserai un mot sur la porte pour le policier.» Qu’Antonia soit rassurée : «Ce qui prévaut, c’est du bon sens, assure-t-on au gouvernement. Elle ne sera pas verbalisée si elle va à un rendez-vous médical important.»

*Les prénoms ont été modifiés.

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