16 mai, 2022

L’AMNISTIE DES MANIFESTANTS DE LA RÉVOLTE SOCIALE EMBARRASSE LE GOUVERNEMENT CHILIEN

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Il s’agit d’« un engagement, une priorité ». La ministre chilienne de la justice, Marcela Rios, a de nouveau transmis la parole officielle, dans un entretien au journal El Mercurio, le 8 mai, alors qu’une initiative parlementaire sur l’amnistie des personnes détenues à la suite de la répression de la révolte sociale de 2019 est au point mort.

Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)

DESSIN ALEX FALCÓ CHANG

Dès les premiers jours du mandat du président Gabriel Boric (gauche), investi le 11 mars, le ministre chargé des relations avec le Parlement, Giorgio Jackson, annonçait pourtant « l’urgence » de discuter du texte présenté pour la première fois en décembre 2020, afin de « guérir certaines cicatrices laissées par la révolte dans la société ». Preuve de la gêne que représentait déjà le dossier dans la campagne présidentielle, Gabriel Boric, alors candidat, tâchait de rassurer les électeurs frileux en novembre 2021 : « On ne peut pas gracier une personne qui a brûlé une église ou une petite ou moyenne entreprise, qui a pillé un supermarché. » L’attention serait alors donnée, assurait-il, aux cas présentant « un abus grave de la part de l’État ».

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Sérieuse épine dans le pied du gouvernement, le sort des prisonniers de la révolte sociale est directement lié à sa marche vers le pouvoir : le mouvement historique contre les inégalités d’octobre 2019 portait les demandes de justice sociale reprises par la coalition électorale de gauche de Gabriel Boric. C’est aussi cette révolte qui a débouché sur l’écriture d’une nouvelle Constitution, reflétant les principes d’un Etat solidaire défendus par l’actuel gouvernement – le texte sera soumis à référendum au mois de septembre.

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« Usage excessif de la force »

Si des débordements, du fait de certains manifestants hostiles, ont en partie entaché les rassemblements, en 2019, c’est « l’usage excessif de la force » de la part de la police qui est dénoncé par l’ONU. Une trentaine de personnes ont perdu la vie lors des manifestations et plus de 400 ont été blessées aux yeux. Le recours «disproportionné à la prison préventive » est alors dénoncé par Amnesty International.

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Le concept même de « prisonnier politique » ne fait cependant pas consensus. L’opposition de droite, au pouvoir à l’époque de la révolte, rejette cette définition: « Le prisonnier politique n’existe pas au Chili, car personne n’est privé de liberté en raison de ce qu’il pense », argumente au mois de novembre 2021 le ministre de l’intérieur, Rodrigo Delgado. «Offrir une grâce générale n’est pas nécessaire, c’est une grave erreur », avait estimé quelques mois plus tôt, en mai, José Miguel Vivanco, directeur de la section Amériques de Human Rights Watch.

« Il y a une grande stigmatisation des personnes participant à la révolte sociale », relève de son côté Karinna Fernandez, avocate spécialisée dans les droits humains. « Les délits retenus sont en général ceux du port d’arme, de l’incendie (volontaire), de la tentative d’homicide », remarque l’avocate. Le nombre de personnes actuellement privées de liberté, condamnées ou en attente de jugement, pour des délits liés à la révolte sociale est inconnu. « Il y a une absence de chiffres », regrette l’avocate. Sollicité par Le Monde, le ministère de la justice n’a pas donné suite.

« L’opinion est divisée »

PAR LA GRÂCE DES SONDAGES

Le dossier se révèle « complexe » pour un gouvernement dont les grandes figures, y compris le président, ont démarré leur carrière politique dans la rue, lors des mouvements étudiants de 2011, établissant une filiation avec la révolte de 2019, observe Claudia Heiss, politiste au Centre d’Etude du conflit et de la cohésion sociale. « Défendre le projet d’initiative parlementaire, c’est une chose, mais obtenir les votes, c’est différent. Le problème, c’est qu’au Sénat le gouvernement a besoin des votes de la droite. Tout comme à la Chambre des députés. Par ailleurs, il ne bénéficie pas du soutien franc du centre gauche. Et l’opinion est divisée », note Mme Heiss.

Alors que des manifestations résiduelles se poursuivent chaque vendredi sur la place de la révolte sociale à Santiago, troublant la vie du quartier et de la capitale, le maintien de l’ordre fait partie des sujets perçus comme une potentielle faiblesse du gouvernement, selon le dernier sondage de l’institut TuInfluyes, en avril. Par ailleurs, les enquêtes d’opinion ont montré une très rapide chute de la cote de popularité de Gabriel Boric. Selon ce même sondage, la désapprobation de la gestion du président a bondi de 14 points en un mois et fédère désormais la moitié des Chiliens.

Dans ce contexte, l’opposition a interpellé le gouvernement sur la loi d’amnistie. « [Le gouvernement] ne souhaite pas que le projet soit soumis au vote parce qu’il le gêne politiquement, il est très impopulaire. Nous n’acceptons pas d’être complices de ce manque de sincérité », a assuré le sénateur de l’opposition Luciano Cruz-Coke. Esquissant un pas vers l’opposition, la ministre de l’intérieur, Izkia Siches, a annoncé, le 9 mai, la possibilité de « pouvoir discuter des limites » à l’amnistie, sans donner plus de précisions.

CHILI, CAMPAGNE DE DÉNONCIATION
DE VIOLENCES POLICIÈRES