Augusto Pinochet, l'ancien dictateur chilien est, selon sa famille et l'hôpital militaire de Santiago, dans un état critique. Le coeur de cet homme de fer a apparemment lâché. Vrai ou faux, la vérité, c'est que ce malade, imaginaire parfois, n'a pas cessé de hanter notre vie et qu'il a toujours trouvé toutes les ruses possibles pour ne pas se mettre à la disposition de la justice. Coïncidence ou non, la vérité est que l'ancien dictateur venait d'être assigné à résidence, et il devait, lundi 4 décembre, se présenter à un juge de Santiago pour s'entendre notifier son inculpation pour la mort de deux anciens résistants.
Trente-trois ans après le terrible coup d'Etat du 11 septembre 1973, il continue à jouer avec nos nerfs et, d'une certaine manière, à se moquer de la justice chilienne et de la communauté internationale.
Personnellement, comme beaucoup d'autres survivants de ses geôles, je n'attends rien de lui. Sa vie est pavée de morts, remplie de trahisons, de manipulations et de mensonges. Je n'ai pas le moindre espoir qu'il reconnaisse un jour les atrocités commises pendant ses quinze années de dictature. Nombre de ses collaborateurs militaires des années les plus noires ont déjà été condamnés, mais pas lui, qui en était l'instigateur et le commanditaire.
Nouvelle preuve de son cynisme légendaire, il a déclaré, le 25 novembre, jour de son anniversaire, "assumer toute la responsabilité politique de ses actes" et avoir fait tout cela "par amour de la patrie". Amour de la patrie ? Depuis deux ans, une centaine de comptes bancaires au nom de Pinochet et de son entourage ont été découverts. De l'argent usurpé à l'Etat, donc au peuple chilien.
Cet homme, déclaré en 1998 semi-sénile par la justice anglaise, laissé en liberté, ne regrette rien. Il martèle que, pour lui, il n'y a rien à regretter. Il n'est pas le seul, d'ailleurs. Une partie importante des armées chiliennes et de la droite n'a cessé de justifier les crimes de Pinochet pendant son règne.
La mort de cet ancien dictateur ne me donnerait aucune satisfaction particulière. Sa disparition fermera pour toujours la porte d'une vérité nécessaire aux victimes et au Chili. Seule une condamnation de son vivant nous permettrait de récupérer une partie de notre dignité perdue dans les cloaques de son régime. Sommes-nous condamnés à entendre, jusqu'à nos derniers jours, ces cris hystériques des partisans de Pinochet, qui ne cessent de résonner à mes oreilles : "Tout ce que vous racontez, ce sont des mensonges. Il n'y a aucune preuve contre lui, le général est un héros." C'est difficile à accepter, mais il faut s'y attendre. Comme si c'était écrit.
De Pinochet, vrai-faux mourant, personne ne peut escompter l'ombre d'un aveu. Mais de la justice chilienne, les familles des morts et des disparus attendent chaque jour que la vérité soit dite. J'ai soutenu avec allégresse Michèle Bachelet, et je la soutiens dans sa démarche difficile. Cette femme, emprisonnée, torturée, exilée par la dictature et qui a gagné l'élection présidentielle haut la main cette année, a sans doute tourné une page politique de l'histoire chilienne.
De cette modeste tribune, je lui demande de toutes mes forces non seulement de ne participer à aucun acte officiel lorsque la mort du dictateur surviendra, mais que la démocratie chilienne ne montre aucun signe d'allégeance envers cet homme qui n'a jamais eu de respect ni pour la Constitution chilienne ni pour le peuple chilien. Si, par malheur, cela arrivait, les cadavres politiques du vieux général continueraient à nous hanter.