PARIS (AP) -- Les avocats des victimes françaises de la dictature chilienne d'Augusto Pinochet, hospitalisé dans un état critique à Santiago, ont fait éclater lundi leur frustration et leur colère qu'il "pourrait décéder sans avoir été jugé", ni en France, ni dans son pays. "Pinochet restera aux yeux de l'histoire celui qui n'aura jamais été jugé, alors qu'il a été arrêté et placé en résidence surveillée plusieurs fois", a regretté Me Sophie Thonon, l'avocate de la famille d'un Français disparu au Chili. "Ma grande colère, ce sont ces justices trop lentes".
Des juges d'instruction parisiens successifs enquêtent depuis le mois d'octobre 1998 sur la disparition de quatre Français sous la dictature chilienne (1973-1990). Des mandats d'arrêt internationaux, valant mise en examen, ont été lancés contre Pinochet et 18 militaires.
L'un d'entre eux, le général Javier Palacio Ruhman qui a dirigé l'attaque du palais présidentiel en 1973, est déjà décédé, a noté Me Thonon, qui dit avoir reçu récemment l'avis de décès.
"Quand les mis en cause ont cet âge, on fait en sorte de se dépêcher", a encore déclaré l'avocate à l'Associated Press. "Le procès pourrait déjà être audiencé en France", a regretté une autre source proche de l'enquête.
Le parquet de Paris avait pris en effet en décembre 2005 des réquisitions de renvoi devant la Cour d'assises d'Augusto Pinochet et de 15 militaires de son régime. Il appartenait ensuite à la juge d'instruction Sophie Clément de signer l'acte de renvoi.
Entre-temps, la magistrate a cependant reçu, il y a huit mois, les résultats de commissions rogatoires internationales envoyées au Chili en 2002, a-t-on indiqué de sources judiciaires.
"Elle a estimé qu'il était nécessaire de les faire traduire et de les intégrer au dossier", a expliqué Me Thonon. Les traductions ont pris plus longtemps que prévu et sont toujours en cours, selon les sources judiciaires.
Une fois ces documents joints au dossier, la magistrate doit signifier de nouveau la fin de son enquête. Le parquet doit alors prendre de nouvelles réquisitions, et la juge Clément doit signer le renvoi. Une procédure qui peut prendre facilement un an encore.
"Ma grande colère, c'est que Pinochet va sans doute décéder sans avoir été jugé", a déploré Me Sophie Thonon. Si l'ancien dictateur meurt, le dossier continuera cependant d'exister pour les autres accusés. "Mais cela n'aura pas la même portée symbolique", a analysé une source proche de l'enquête.
La juge Clément enquête sur les disparitions de Georges Klein, le médecin personnel du président Salvador Allende, disparu le 11 septembre 1973; d'Etienne Pesle, enlevé le même jour par des militaires de l'armée de l'air; d'Alphonse-René Chanfreau, également interpellé le 11 septembre 1973 et qui n'est jamais ressorti de la "Colonia Dignidad", enclave allemande au Chili; et enfin celle de Jean-Yves Claudet, un militant d'extrême gauche enlevé le 1er novembre 1975 à Buenos Aires (Argentine).
Parmi les militaires visés par son enquête, figurent le général Herman Brady-Roche, ou le général Juan-Manuel Contreras, chef de la DINA, la police politique du régime, incarcéré en janvier 2005.
Paul Schaefer, l'ex-responsable de la "Colonia Dignidad", arrêté en mars 2005 en Argentine, est également visé par un mandat d'arrêt international. Les autres personnes recherchées par la justice française sont des militaires, des responsables de camps et membres de la police politique. AP