08 décembre, 2006

L’HÉRITAGE DE LA DICTATURE RESTE TRÈS PRÉGNANT DANS LA SOCIÉTÉ CHILIENNE

Lautaro Carmona, secrétaire général du Parti communiste chilien évoque l’impact du régime Pinochet sur le Chili d’aujourd’hui. Interview.

Correspondance particulière.

Quelle est la trace la plus apparente que Pinochet a laissée sur le fonctionnement de la société chilienne ?

Lautaro Carmona. Le coup d’État est intervenu à un moment clé, après la nationalisation du cuivre soutenue par le congrès, après la réforme agraire d’Allende, après la prise de contrôle de l’État sur les ressources hydroélectriques alors à l’abri des monopoles et des investissements des multinationales. Tout ça a été anihilé par Pinochet et ses proches. Aujourd’hui, la société en subit les conséquences avec un manque de représentation de l’État dans tous les domaines.

Les organisations internationales pointent le Chili comme l’un des pays les plus inégalitaires de la région. Est-ce une conséquence directe de la dictature ?

Lautaro Carmona. Le modèle néolibéral mis en place a impliqué une concentration des richesses et une paupérisation de la population jusqu’à une partie des classes moyennes. Que ce soit l’Église ou les organisations internationales, tous se sont rendus compte de l’accroissement des inégalités pendant la dictature, et depuis.

Pensez-vous que la «Concertation » (coalition de partis de centre droite ou de centre gauche qui s’efforce de tenir en main les destinées du pays depuis dix-sept ans - NDLR) possède les clés pour inverser la tendance ?

Lautaro Carmona. Quelle que soit la force politique qui arrive au pouvoir au Chili aujourd’hui, elle peut changer le système. Depuis dix-sept ans, la concertation ne le fait pas, pas par défaut, mais par option. Au lieu de nationaliser certaines entreprises comme ils l’avaient promis, ils ont favorisé de nouvelles privatisations.

Vu de l’extérieur, on s’étonne parfois de voir la gauche chilienne si peu se manifester. Est-ce là encore une conséquence de la dictature ?

Lautaro Carmona. Il y a d’abord eu de gros dommages en matière de capital humain, ce qui a entraîné des difficultés pour s’organiser. Il faut également mentionner tout ce qui a trait à la pression contre les travailleurs et à l’atomisation du monde syndical sous Pinochet. Phénomènes qui se sont entretenus par la suite. Ce fut un véritable démontage idéologique. Car dans chaque entreprise, il existait une culture syndicale forte. Pinochet a pris des mesures comme le remplacement des ouvriers en grève au bout de quelques jours, ou la possibilité de créer un syndicat avec seulement 15 employés. Or souvent ceux-là se trouvent être des « jaunes » qui, n’ayant pas de concurrence d’un syndicat plus important, règlent tout sous la table.

La société civile émet régulièrement de violentes critiques à l’égard du cadre juridico-légal hérité de la période Pinochet. Pourquoi par exemple la Constitution n’a-t-elle jamais été changée depuis ?

Lautaro Carmona. En 1986, les États-Unis au travers de leur ambassade ont fait pression sur la concertation pour exclure le Parti communiste du processus de démocratisation. Du coup, deux visions anti-Pinochet sont nées : la nôtre, celle de la reconquête de la démocratie dans sa plénitude, et l’autre, qui a aspiré à une transition démocratique liée à la dictature. Ce pacte inclut de ne pas toucher à la constitution, par compromis politique. Pour eux la transition démocratique est achevée. D’où la possibilité d’auto-reproduction du système.

Cela peut-il expliquer pourquoi Pinochet n’a pas encore été condamné?

Lautaro Carmona. Ce n’est pas la seule raison. À l’époque où nous avons rassemblé des preuves au Chili, en Argentine et au Paraguay, nous étions accusés de fous, jusqu’à ce que ces documents servent à son arrestation en Angleterre. Puis, sont venus se greffer les scandales de trafics d’armes et de drogue qui ont convaincu enfin la concertation de faciliter les poursuites en justice. Mais tout cela ne reste malheureusement pas exempt d’ambiguïtés.

Entretien réalisé par M. G.